L’avenir de l’aluminium passe par Elysis, selon le ministre Fitzgibbon

­Pierre Fitzgibbon

« Est-ce que Pierre Fitzgibbon est le ministre de l’Économie ou le porte-parole de Rio Tinto ? » Le député de la circonscription de Jonquière, Sylvain Gaudreault, a talonné le ministre Fitzgibbon, mardi après-midi, lors de la période de questions à l’Assemblée nationale. Il a repris les grandes lignes des anciens employés-cadres de la multinationale qui ont fait une sortie publique la semaine dernière.


Pierre Fitzgibbon a répété que la multinationale souhaitait investir au Québec et que ces investissements passeront principalement par la technologie Elysis.

« Nous avons maintenant la possibilité de produire le premier aluminium vert au monde. J’arrive de voyage et les dirigeants de Rio Tinto se sont encore engagés pour que le Québec reçoive un investissement majeur. »



Le ministre a ajouté que l’entreprise évalue différents projets d’investissements, dont les cuves AP60 « ou peut-être une meilleure technologie. Nous travaillons avec eux ».

Sylvain Gaudreault n’a pas réussi à obtenir des réponses concernant l’utilisation par Rio Tinto des ressources naturelles de la région ainsi que le respect de ses engagements dans les ententes signées avec le gouvernement du Québec.

« Le ministre n’a jamais répondu directement à la question, est-ce que chaque mégawatt va servir à la production de métal primaire ? », a dit au Quotidien le député en sortant du Salon bleu.

Selon l’analyse des anciens cadres, l’entreprise profite de ressources hydrauliques « qui lui procurent des avantages concurrentiels de plus de 400 millions [de dollars] par an, sans apporter sa contrepartie sous forme d’investissements pérennes pour la production d’aluminium primaire, et ce, alors que les conditions de marché et les perspectives d’avenir sont favorables depuis plusieurs années. »



La ministre Andrée Laforest a fait savoir au député de Jonquière, mardi, qu’il recevra une invitation pour la rencontre du 17 juin. 

Je vais attendre de la recevoir, mais bien franchement, je n’irai pas à un congrès de la CAQ 2.0.

Il ajoute que des règles claires ont été établies par Rio Tinto en prévision de la séance et que le discours devra « aller dans le sens de ce que dira Mme Laforest. Alors, on risque de ne pas pouvoir aborder l’éléphant dans la pièce, soit l’investissement pour la production de métal primaire et l’après-précuites. »

Le député de Jonquière, Sylvain Gaudreault, n’a pas l’intention de participer à une «rencontre de la CAQ 2.0». ­

L’élu répète qu’il veut une table de concertation où les échanges pourront être francs et divers.

Le BQ attend aussi son invitation

« La région peut se doter d’un observatoire sur l’aluminium et d’une zone d’innovation », soutient le député bloquiste de Jonquière, Mario Simard. Lui et son collègue de la circonscription Lac-Saint-Jean, Alexis Brunelle-Duceppe, veulent participer à la rencontre du 17 juin initiée par la ministre responsable de la CAQ, Andrée Laforest.

« Je crois que Mme Laforest comprend mal notre idée. Un observatoire, ce sont des universitaires qui étudient la situation et donnent de l’information neutre. Le plus connu est la chaire Raoul-Dandurand sur les États-Unis », souligne Mario Simard.



Lui et son collègue croient qu’un tel outil permettrait d’avoir davantage d’informations sur la gestion des eaux par Rio Tinto ainsi que sur les investissements et la question de l’emploi.

« Rien n’empêche de créer cet observatoire et d’avoir aussi une zone d’innovation! Même que nous pourrions avoir une participation financière de la part du fédéral, ajoute M. Simard. Il manque 200 M$ provenant des contre-tarifs perçus par Ottawa qui n’ont jamais été versés à l’industrie québécoise. Nous pourrions utiliser cet argent pour la zone d’innovation. »

Le député fait ainsi référence aux contre-tarifs perçus en 2018-2019. Lors de la dernière campagne électorale, le Bloc québécois a proposé la mise sur pied d’un fonds de 120 millions qui serait dédié à la transformation de la matière première.

La ministre caquiste responsable de la région, Andrée Laforest, a invité le député de Jonquière à la rencontre. ­

Les députés fédéraux insistent sur la nécessité de convier l’ensemble des acteurs régionaux lorsqu’il est question du métal gris. C’est pourquoi ils veulent être présents le 17 juin prochain.

L’ERD veut une rencontre avec tous les acteurs

Le conseiller municipal et chef par intérim de l’Équipe du renouveau démocratique (ERD), Marc Bouchard, abonde dans le même sens.

Il continue de croire qu’il faut un lieu où tous les acteurs de la région pourront discuter. « Peu importe la forme, que ce soit à l’invitation de Mme Laforest ou autre, je veux seulement que tous les intervenants se parlent. Ceux du municipal, du provincial, du fédéral et de l’industrie. »

Il croit Julie Dufour lorsqu’elle dit que la Table régionale de concertation sur l’aluminium devrait se rencontrer dans les prochaines semaines. « La région n’est pas assez grosse pour se diviser. Il faut se serrer les coudes pour sortir gagnants », croit M. Bouchard.

Les mairesses satisfaites

Invitées à la rencontre, les mairesses Julie Dufour et Sylvie Beaumont sont pour leur part satisfaites de pouvoir s’asseoir à la même table qu’Andrée Laforest, ses collègues de la CAQ, ainsi que des représentants de Rio Tinto.



« C’est une belle formule et nous pourrons avoir plus d’informations ainsi que les prévisions », souligne la mairesse d’Alma. Elle ajoute que l’industrie de l’aluminium a évolué rapidement, au cours des derniers mois. « L’usine Alma est en très bonne situation et le marché est à son meilleur. »

Les élus d’Alma souhaitent principalement la concrétisation du projet d’usine de billettes et celui d’Elysis.

À Saguenay, la mairesse Julie Dufour a pu mettre cartes sur table avec le premier ministre, lors de sa visite à Saguenay, il y a quelques jours. « Nous voulons une usine de remplacement à Jonquière. C’est la priorité. »

Les députés bloquistes Mario Simard et Alexis Brunelle-Duceppe veulent faire partie de la rencontre le 17 juin.

Cette dernière envisage la rencontre du 17 juin comme un accès supplémentaire aux principaux intervenants dans ce dossier. « On ne se le cachera pas, il s’agit d’une initiative à saveur électorale de la part de Mme Laforest », a commenté Mme Dufour, répétant que M. Legault a été clair qu’il faudra des engagements de la part de Rio Tinto pour un investissement supplémentaire du gouvernement.

Julie Dufour et Sylvie Beaumont ne voient pas cette rencontre comme un affront à la Table de concertation sur l’aluminium. « Je n’ai assisté à aucune rencontre de cette table, je ne suis donc pas en mesure de faire une évaluation de sa pertinence », commente la mairesse d’Alma.

Le groupe, dont le porte-parole est l’ex-directeur des communications pour l’Europe et l’Asie, Jacques Dubuc, également porte-parole dans la région pendant 25 ans, a même transmis une missive au premier ministre François Legault au cours des dernières semaines. Ils veulent le sensibiliser à la situation actuelle, qu’ils trouvent inacceptable. En plus de la lettre, l’envoi comprend un sommaire exécutif complet, lequel se veut une analyse des différentes ententes depuis la signature du bail de la Péribonka en 1984.

« [Il] comprenait des engagements pour la construction des trois alumineries. Les alumineries d’Alma et de Laterrière ont été construites et celle de Jonquière ne l’est toujours pas », plaide Jacques Dubuc, au cours d’une entrevue accordée au Quotidien en compagnie de son ex-collègue, Myriam Potvin, consultante en communication et en relation avec le milieu, aujourd’hui à la retraite.

Le ton du document transmis au premier ministre traduit bien le malaise qui habite ces ex-employés, qui en arrivent à un jugement très sévère.

« Par ailleurs, Rio Tinto a été sévèrement critiquée pour la destruction de sites ancestraux de Juukab Gorge, en Australie, qui a pu se produire en raison d’une approche très discutable. Malheureusement, Rio Tinto se comporte de la même façon au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Comme en Australie, quoi qu’elle en dise, elle mène une gestion obscure et condescendante, sans consultation avec les communautés locales ou les représentants des Premières Nations », écrivent les signataires Jacques Dubuc et François Tremblay, un ex-directeur du centre de recherche.

Ce mouvement a débuté il y a plusieurs mois, lorsque Jacques Dubuc a reçu un appel d’un ami de la région qui ne comprenait pas le mutisme de la multinationale par rapport à des investissements dans une nouvelle usine d’électrolyse. C’est à ce moment que Jacques Dubuc a constitué un réseau d’ex-cadres de l’entreprise afin de réaliser une analyse sérieuse des différentes ententes pour établir si Rio Tinto avait complété ou non les obligations contractuelles qu’elle avait à l’endroit du gouvernement du Québec.



Myriam Potvin et Jacques Dubuc, deux cadres à la retraite de Rio Tinto, ont présenté au <em>Quotidien</em> le résultat d’une analyse sur les différentes ententes intervenues entre Québec et la multinationale de l’aluminium. 

« Le bail de la Péribonka comprenait des investissements uniquement dans l’électrolyse. L’usine de Vaudreuil, les installations portuaires et la division énergétique ne faisaient pas partie du bail. Il s’agit d’investissements que l’entreprise doit faire uniquement dans l’électrolyse. Ça ne comprend pas les sommes investies dans l’entretien des installations », reprend l’ex-porte-parole.

En 2006-2007, une entente de continuité a été conclue avec l’échéance du bail de la Péribonka, et c’est à ce moment qu’est né le projet AP60, lequel ne comprend toujours que 38 cuves, pour une capacité de 60 000 tonnes métriques. L’entente signée spécifiait une aluminerie de 450 000 tonnes.

Dans le document qui accompagne la lettre au premier ministre, les ex-cadres résument ce qui n’a pas été réalisé par l’entreprise.

En 2022, la troisième aluminerie n’est toujours pas confirmée. Jacques Dubuc rappelle que le rapport annuel de Rio Tinto pour l’année 2021 ne fait aucune mention d’une expansion pour la production d’aluminium au Québec, ce qui signifie que l’entreprise ne songe pas vraiment à aller de l’avant, malgré l’annonce de 16 cuves additionnelles.

Le réseau d’anciens dirigeants analyse également l’entente survenue lors de l’acquisition par Rio Tinto de la société Alcan. Il en ressort que le siège social de Montréal n’est plus qu’une coquille vide et que le centre de recherche de Jonquière, qui comptait pas moins de 160 personnes, a vu ses activités réduites significativement, avec aujourd’hui moins de 100 chercheurs et techniciens qui y travaillent.

Le budget de soutien au développement industriel régional est quant à lui passé de 3 M$ en 2006 à moins de 1 M$ en 2022. Sur cet aspect, Jacques Dubuc questionne que Rio Tinto ait accordé une aide financière à la patinoire du Patro de Jonquière en puisant dans ce qu’il reste du budget dédié au développement industriel.

Myriam Potvin juge de son côté que la situation est devenue gênante. Elle fait même le constat qu’elle a travaillé pendant toutes ces années pour l’avoir des actionnaires, malgré l’espoir que l’entreprise redonne à la communauté pour les privilèges énergétiques dont elle dispose. « Rio Tinto doit payer 100 $ d’électricité pour chaque tonne d’aluminium produite dans la région. Dans les autres pays, les producteurs doivent payer jusqu’à 500 $ d’électricité pour la même tonne de métal. Ce sont des avantages qui génèrent 400 M$ par année. »

Les cadres à la retraite rappellent d’autre part que la valeur des avantages hydroélectriques consentis par Québec n’est plus la même qu’en 1984. L’explosion des coûts de l’énergie et l’utilisation d’hydroélectricité permettent à Rio Tinto de produire l’aluminium le plus vert de la planète à une époque où la lutte contre les changements climatiques s’impose.