DURANT LA PANDÉMIE | 20% des hommes en couple victimes de violence conjugale

Selon l'étude, 20 % des hommes disent avoir été victimes d'une forme de violence, qu'elle soit physique, verbale ou psychologique. De plus, 6 % affirment avoir été victimes de violence physique, une proportion deux fois plus grande que chez les femmes sondées.

Un homme en couple sur cinq confie avoir été victime d'une forme de violence conjugale, depuis le début de la pandémie. L’enquête menée par la Dre Mélissa Généreux est alarmante: les hommes seraient plus nombreux que les femmes à subir de la violence physique par leur partenaire de vie.


Selon l'étude émanant de l'Université de Sherbrooke, 20 % des hommes en couple disent avoir été victimes de violence, qu'elle soit physique, verbale ou psychologique. De plus, 6 % affirment avoir été victimes de violence physique, une proportion deux fois plus grande que chez les femmes sondées.

Je pense que ça va prendre du temps pour qu’on les interprète de façon réfléchie. On est beaucoup dans une phase de choc, on est un peu frappés par ces données-là.

L'analyse des données, récoltées entre l’automne 2020 et 2021 auprès de 10 000 personnes, dont 4000 hommes, a en effet réservé quelques surprises.

Les hommes de 18 à 24 sont plus nombreux que les plus âgés à vivre de la violence conjugale physique (15 %). Selon l'étude, plus l’homme avance en âge, moins il subit de violence physique. «Pour les femmes, on n’a pas vu cette relation d’âge», mentionne la Dre Généreux.

Difficile de trouver une explication à cette corrélation. La médecin spécialiste en santé publique, qui est aussi candidate pour Québec solidaire, croit que le taux d’anxiété particulièrement élevé chez les femmes de cette tranche d’âge pourrait fournir un début d’explication. Les hommes hétérosexuels de 18-24 ans ont plus de chances de fréquenter une femme de leur âge. Les cas d’anxiété ont bondi chez celles-ci depuis deux ans, et elles pourraient utiliser un mauvais mécanisme de réponse en étant agressives physiquement, verbalement ou psychologiquement envers leur conjoint.

«Je ne suis pas en train de légitimer les gestes de violence, mais pour moi, c’est un indicateur de détresse de la part de l’agresseur», explique la Dre Généreux.

Sans passeport, plus de violence

Autre élément étonnant, les hommes qui n’avaient pas deux doses de vaccin, lors du coup de sonde d’octobre 2021, ont rapporté en grand nombre être victimes de violence physique, psychologique ou verbale.

«À l’automne 2021, il n’y avait plus vraiment de confinement, sauf pour les non-vaccinés. C’est vraiment marquant de voir que parmi les confinés de l’automne 2021, ceux qui n’avaient pas de passeport vaccinal, 30 % rapportaient subir de la violence conjugale, et 17 % de la violence physique!» s’exclame avec découragement Mélissa Généreux.

Mélissa Généreux est médecin spécialiste en santé publique et professeure à la faculté de médecine et des sciences de la santé à l'Université de Sherbrooke.

Son hypothèse est que ces hommes, confinés puisqu’ils n’étaient pas vaccinés, étaient à l’écart du fonctionnement régulier de la société, et donc plus exposés à des situations violentes à la maison.

Dénoncer la banalisation

Professeure à la faculté de médecine et des sciences de la santé de l'Université de Sherbrooke, la Dre Généreux constate que la violence faite par les femmes n’est pas prise autant au sérieux que celle commise par les hommes.

«Je ne comprends pas trop pourquoi une femme aurait plus le droit d’utiliser la violence sous toutes ses formes que les hommes, dit-elle. À la télé, c’est rare que tu voies un homme frapper une femme, parce que ce n’est pas accepté, alors que c’est moins rare de voir une femme donner une claque au visage d’un homme. On n’est pas symétrique dans ce qu’on accepte. Pour l’équité des genres, ça va dans les deux sens.»

Les données recueillies par la Dre Généreux et son équipe permettent d’appuyer ce qui se passe sur le terrain. Selon ce que des organismes communautaires ont rapporté à Philippe Roy, beaucoup d’hommes demandant de l’aide vivent une situation de violence conjugale et n’osent pas en parler.

«Les hommes vont avoir tendance à minimiser leur détresse. On ne peut pas penser que cette situation de violence est sans impact», martèle Philippe Roy.

Les deux collègues de l’Université de Sherbrooke, aussi membres de l’Institut universitaire de première ligne en santé et services sociaux, dénoncent la banalisation face à la violence conjugale que peut vivre un homme. Cette façon de réagir de la part de l’entourage ne l’encourage pas à demander de l’aide.

«Les hommes vont avoir tendance à minimiser leur détresse. On ne peut pas penser que cette situation de violence est sans impact, renchérit M. Roy. La forme physique ne protège pas contre la violence psychologique.»

Les données sont saisissantes. Lorsqu’il y a un indice de violence conjugale dans les réponses aux questions du sondage, les risques de souffrir d’anxiété, de dépression, d’idées suicidaires ou même de consommation excessive d’alcool sont accrus considérablement.

Par exemple, les victimes de violence sont trois fois plus sujettes à une dépression qu’un homme qui a une relation saine avec son ou sa partenaire de vie.

«La violence psychologique et verbale est banalisée chez les hommes autant que chez les femmes, déplore la Dre Généreux. Ces types de violence ne sont pas aussi bien reconnus parce qu’on ne fait pas de lien avec la dangerosité physique. Mais la santé psychologique est importante!»

Une dispute, ça arrive, mais si on sent que ce qui motive notre conjoint ou notre conjointe est d’avoir l’emprise sur l’autre, de créer la peur, c’est inacceptable.

«On ne peut pas garder ça pour nous»

Philippe Roy et Mélissa Généreux doivent maintenant digérer l’ensemble des données décortiquées. Ils les présenteront lors d’un webinaire, ce mardi, proposé par la Coalition estrienne santé et bien-être des hommes. Des gens de partout au Québec promettent d’y assister. «C’est une information qu’on ne peut pas garder pour nous», indique la médecin.

Et ensuite? «Au sortir d’une crise, il ne faut surtout pas penser que ça va se replacer en un claquement de doigts, affirme Mélissa Généreux, qui a étudié le même phénomène après des événements tragiques comme à Lac-Mégantic. Il y a une relation tendue qui s’est installée, une relation de pouvoirs qui s’est cristallisée, des comportements qu’on a fini par accepter dans notre quotidien. Les gestes pourraient se continuer.»

Elle souhaite que le dossier de la violence conjugale devienne un dossier de santé publique. Au-delà de l’approche clinique et communautaire, lorsqu’une situation devient aussi importante et menace la santé de milliers de gens, «il faut traiter ça comme une problématique».