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Comment votre fourchette peut-elle aider le climat?

CHRONIQUE / La production alimentaire contribue à près du tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) à l’échelle planétaire, nous rappelait l’ONU l’an dernier.


Cette donnée couvre l’ensemble du cycle de vie des aliments, de la déforestation à la poubelle, incluant le travail de la terre, les semis, la récolte, le transport, le conditionnement et la chaîne du froid tel que calculé avec la base de données EDGAR-FOOD de l’Union européenne pour 240 pays. Bien sûr, chaque aliment a sa propre empreinte carbone, le pire scénario étant celui de la production de bœuf sur des terres fraîchement déboisées au Brésil. On peut imaginer, mais je n’ai pas fait le calcul, que le meilleur scénario serait un repas de légumes produits dans un potager en régie biologique travaillé à la grelinette derrière votre maison.

La production des aliments (39 %) et le changement d’usage des terres (38 %) s’accaparent la part du lion des émissions de GES, mais dans les pays développés, où on fait peu de déforestation pour la production agricole, la chaîne du froid ne laisse pas sa place avec la moitié des émissions liées à l’électricité et la totalité des émissions de gaz fluorés (1300 à 6300 fois plus puissants que le CO2). Le protoxyde d’azote, surtout lié à l’usage des engrais azotés, compte pour 10 % du bilan. Avec l’augmentation de la population et de la richesse prévue d’ici 2050, le GIEC prévoit une augmentation dans ce secteur, mais indique aussi que c’est l’un des endroits où on peut gagner le plus facilement des milliards de tonnes de réductions d’émissions. Alors qu’est-ce qu’on fait ?

Il existe plusieurs solutions, certaines plus efficaces et moins chères à appliquer, par exemple diminuer le gaspillage alimentaire. C’est certainement un bon début. Dans notre société d’abondance, trop d’aliments sont jetés. Soit. Mais la solution la plus prometteuse est de changer de niveau trophique, c’est-à-dire de se rapprocher d’une diète plus végétarienne que carnivore. 

La production de grains est une activité mondialisée. Les stocks sont échangés à large échelle par le commerce international et ils sont transigés en bourse, souvent bien avant la récolte. Avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il est plus que probable que l’approvisionnement de l’Europe en céréales sera perturbé. Le conflit déstabilise aussi les prix de deux intrants majeurs de l’agriculture, le pétrole et les engrais. Tout cela aura un effet à la hausse sur le prix des aliments. On peut gager que les pressions pour la déforestation de nouvelles terres en zone tropicale se feront sentir dès cet été, pour continuer de fournir l’alimentation animale. Nous en sommes donc rendus à un point où l’alimentation animale entre en compétition avec l’alimentation humaine.

Un article paru le 4 mai dans la revue Nature s’est intéressé à la question de l’efficacité du changement de régime alimentaire pour limiter l’impact climatique de l’alimentation. Les résultats sont surprenants. En réduisant simplement la consommation de bœuf de 20 % d’ici 2050 pour la remplacer par un substitut à base de champignons, on pourrait réduire de moitié la déforestation en milieu tropical. Les mycoprotéines sont produites par fermentation et demandent peu d’énergie et pas de réfrigération. Naturellement, on évite aussi les émissions de méthane dues à la fermentation entérique des bovins et à la gestion des fumiers.

Les auteurs ont modélisé le scénario de référence pour la demande de bœuf entre 2020 et 2050 et constaté que si on continue comme si de rien n’était, la demande pour la viande de bœuf ferait doubler la déforestation. Un remplacement de 20 % de la consommation de bœuf permettrait en revanche de réduire de moitié la déforestation et les émissions de GES. Pour un remplacement de 50 %, la réduction de la déforestation et des émissions de GES serait de 80 %. Bien sûr, cela ne suffirait pas pour stabiliser le climat, mais les bénéfices tant pour la biodiversité que pour le climat seraient majeurs.

Que doit-on en retenir ? Nos préférences alimentaires imposent un fardeau qui sera difficile à gérer pour nos enfants et nos petits-enfants. Il existe toutes sortes d’alternatives pour réduire ce fardeau, parmi lesquelles la réduction de la consommation de viande rouge semble la plus efficace. Certes, l’exemple des mycoprotéines est intéressant, mais beaucoup d’autres sources de protéines animales et végétales peuvent réduire votre empreinte carbone. Enfin, si vous souhaitez quand même manger du bœuf, assurez-vous qu’il vienne d’élevages locaux!