Notre préoccupation quotidienne est de savoir si nous aurons assez de place pour accueillir tout le monde. C’est un combat quotidien. Avec nos partenaires communautaires et publiques, nous avons ouvert des sites additionnels pour accueillir jusqu’à une cinquantaine de personnes, de jour comme de nuit. Le recrutement de tous les professionnels nécessaires est un défi de taille. De plus, avec la pandémie, il nous a fallu absolument offrir nos services aux femmes en situation d’itinérance. L’ouverture de notre Maison à une clientèle mixte aura été beaucoup plus complexe qu’envisagé. Heureusement, l’équipe tient le coup.
Un phénomène de plus en plus visible
L’itinérance au Saguenay-Lac-Saint-Jean avait coutume d’être plutôt invisible, cachée aux yeux de monsieur ou madame Tout-le-Monde. Cette invisibilité est de moins en moins vraie. Le centre-ville de Chicoutimi a été et est encore un secteur fortement fréquenté par nos usagers. La combinaison entre l’accès restreint aux lieux publics et la crise du logement qui fait rage dans notre ville laisse beaucoup de monde dehors. L’habitation d’une partie du stationnement à étages, par des personnes en situation d’itinérance, pendant quelques semaines au début de l’année, est un exemple frappant de la détresse vécue. La situation ressemble en tout point à la réalité des grands centres. Nos partenaires et nous-mêmes avons également constaté que des personnes avaient d’ailleurs quitté les plus grandes villes pour tenter leur chance en région. Au final, il n’est pas plus simple d’être en situation d’itinérance, quel que soit l’endroit que l’on choisit.
L’état de santé se détériore
Les problématiques rencontrées sont de plus en plus lourdes. Il n’y a pas de « meilleure » drogue, mais il y en a de la « pire ». En peu de temps, la mauvaise qualité des drogues consommées a été remarquée par l’ensemble des intervenants du réseau. Les consommateurs eux-mêmes ont confirmé que la qualité et l’accessibilité étaient très problématiques. Les overdoses ont augmenté, les épisodes de problématiques de santé mentale et les cas d’agressivité ont aussi augmenté significativement. La surpopulation dans nos services n’a vraiment aidé personne. La vie de groupe n’est pas faite pour tout le monde. L’atmosphère est tendue, à la Maison d’accueil. Malgré la réouverture de la plupart des services, le lien de confiance est difficile à recréer. Il faut vivre avec un sentiment de désespoir généralisé et une perte d’acquis significative pour bon nombre de nos usagers. On a une bonne pente à monter.
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Prendre conscience et agir
Il est désolant de constater que l’itinérance est à ce point présente dans un pays riche comme le nôtre. Un endroit où l’on se considère généralement à l’abri de ce genre de malheur. Malheureusement, nous croyons que nos choix individuels peuvent nous maintenir loin de cette problématique. Nos préjugés nous portent à croire que les itinérants sont des paresseux ou des profiteurs qui se complaisent dans ce mode de vie. Bref, les sans-abri ont choisi de vivre en marge de la société. Ce message trop souvent véhiculé semble en perte de vitesse. Les évènements des dernières années semblent avoir eu un impact positif sur la solidarité. Collectivement, nous avons pris connaissance de la fragilité de nos proches et de nos amis. Nous avons compris que le filet social est important et que les petits gestes peuvent changer les choses.
Le malheur aura eu ça de bon. Au niveau de l’engagement de l’État, jamais autant de financement pour la lutte contre l’itinérance n’a été reçu dans notre région. Les organismes communautaires ont su saisir les occasions et ont développé des initiatives originales et adaptées aux besoins rencontrés sur le terrain. Toutefois, force est de constater que l’argent n’est pas l’unique nerf de la guerre. Un ensemble de mesures concertées doivent être mises en commun pour s’attaquer au phénomène de l’itinérance et peut-être, un jour, vaincre cette problématique. Il faut investir en amont, il faut prévenir en s’attaquant aux causes primaires de la pauvreté et de l’itinérance. Pour éviter de constamment augmenter le nombre de lits disponibles aux personnes en situation d’itinérance, il faut un réel plan de lutte à la pauvreté et aux inégalités sociales, nous devons miser sur l’éducation et la prévention. L’inclusion sociale et le vivre-ensemble sont des remèdes efficaces pour se sortir de l’itinérance.
En passant, il y a une réelle crise du logement abordable et sécuritaire au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Ce n’est jamais par choix de dormir dehors en hiver. C’est plutôt une tragique absence de choix, de possibilités. Souhaitons que la situation devienne un réel enjeu lors des prochaines élections provinciales.
Michel St-Gelais Directeur général
Maison d’accueil pour sans-abri de Chicoutimi