Mais récemment, je me suis demandé si beaucoup de gens croient que, lorsqu’ils doivent féminiser un nom se terminant par « -eur », ils ont pleinement le choix entre « -eure » ou « -euse », selon leur humeur du jour, voire au gré du vent.
Ça a commencé par un collègue de travail qui a écrit « une chauffeure » dans un de ses articles. Puis ce communiqué de l’ACFAS nous parlant de « chercheures ». Finalement, cette artiste « parfumeure » de la région de Magog…
J’ai donc fouillé un peu plus et lorsque je suis tombé sur l’entreprise de Laurie Coulombe, qui gagne sa vie depuis maintenant sept ans sous le nom « LC Coiffeure à vélo » à Montréal, je me suis dit qu’il fallait remettre quelques points sur les i.
Avoir une bonne raison
Il faut d’abord savoir qu’en français, la façon la plus courante de féminiser les noms en « -eur » est de remplacer cette terminaison par « -euse ». La féminisation en « -eure » est exceptionnelle. Autrement dit, pour décider de féminiser en « -eure » plutôt qu’en « -euse », il faut vraiment avoir une très bonne raison.
La Banque de dépannage linguistique explique qu’avant le développement de la féminisation, dans les années 1970 et 1980, la terminaison en « -eure » était restreinte à quelques « noms issus de mots latins ayant une finale en "-(i)or" et exprimant une comparaison », tels « inférieur » et « supérieur ».
Au Québec, on a opté pour la féminisation en « -eure » seulement dans le cas de noms où il n’y avait pas de forme féminine existante (certains viennent de noms latins en « -or » auxquels aucune forme féminine latine ne correspondait). C’est ainsi que « docteur » nous a donné « docteure », « pasteur » s’est féminisé en « pasteure », etc.
Mais s’il y avait déjà un équivalent féminin existant (par exemple l’adjectif « chercheur », qui donne « chercheuse » au féminin), c’est cette forme qui était privilégiée. Et comme les féminins en « -euse » sont plus courants, cette forme a été retenue beaucoup plus souvent.
Ainsi, parmi les féminins en « -euse » qu’on entend parfois erronément en « -eure », il y a une chercheuse, une chroniqueuse, une contrôleuse, une entraîneuse, une metteuse en scène, une monteuse, une orienteuse, une régisseuse, une traiteuse…
Objets inanimés
J’ai quand même pris le temps de communiquer avec Mmes Laurie Coulombe et Alexandra Bachand pour savoir ce qui les avait motivées à adopter les mots « coiffeure » et « parfumeure ». Une de leurs raisons est commune : les mots « coiffeuse » et « parfumeuse » désignent également des objets, soit un meuble dans le cas d’une coiffeuse et un « vaporisateur à poire » pour ce qui est de la parfumeuse (je précise toutefois que cette définition est surtout utilisée dans le commerce, je n’en ai pas trouvé de traces dans les dictionnaires).
« J’ai choisi de contourner la langue française et d’utiliser la désignation au masculin. D’abord, les premières années à partir de 2015, j’ajoutais un e à "parfumeur", puis maintenant je laisse au masculin. J’ai remarqué que cela a certainement eu un petit impact en France, plus conservatrice », commente Mme Bachand dans un courriel.
« Le nom "coiffeuse" est encore tabou dans le métier. C’est encore mal vu. Le mot "coiffeure" m’a apporté une notoriété maintenant positive », déclare pour sa part Laurie Coulombe, m’avouant qu’il y avait eu de l’opposition à ses débuts.
« Mais plus maintenant. Il y a sept ans, on me disait que ça n’avait pas de bon sens, que je ne pouvais pas déformer les mots comme ça, mais je l’ai fait pareil, car je suis têtue. »
Cette façon de voir les choses va évidemment à l’encontre d’un autre mouvement, qui plaide pour que le féminin soit plus présent non seulement à l’écrit, mais également à l’oral. Or, dans les formes en « -eure », on n’entend pas le féminin. C’est un peu pour cette raison que le mot « autrice », que presque personne n’utilisait ici il y a cinq ans à peine, a fait une superbe éclosion : le féminin y est audible, contrairement à « auteure ».
Péjoration exclusivement féminine?
Des femmes qui préfèrent les formes masculines et qui souhaitent qu’on les désigne comme le maire, le ministre ou le médecin, il y en a encore plusieurs. On s’abstient donc de lancer des pierres, s’il vous plaît, même s’il y a évidemment matière à débat. Je ne suis pas coiffeur ni parfumeur, donc je ne peux pas remettre en question le sentiment vécu par ces deux dames quant aux formes féminines de leur nom de profession.
Mais une chose est certaine : si, dans ces milieux respectifs, le sentiment d’infériorité quant à la forme féminine pousse des professionnelles à adopter une forme plus près du masculin, eh bien Houston, nous avons un problème. Il n’est certainement pas normal que le féminin se batte avec une forme de péjoration et pas le masculin.
Par exemple, est-ce qu’un torréfacteur est honteux de son nom de métier parce qu’il porte le même nom que la machine qui sert à torréfier les grains de café? Est-ce la même chose pour un testeur? Un répartiteur? Un mesureur? Un baliseur?
Il est vrai que la terminaison en « -euse » est souvent associée à des objets inanimés (laveuse, souffleuse, tondeuse) et à plusieurs adjectifs populaires québécois à connotation négative (niaiseuse, senteuse, écornifleuse). Mais comme le souligne la BDL, cette impression s’estompe généralement avec l’usage.
D’où l’importance de changer les mentalités, d’abord dans ces milieux, mais aussi dans la société en général.
Perles de la semaine
Les séries de la LNH approchent, donc le Sportnographe devrait amorcer une nouvelle récolte de perles bientôt. En voici quelques-unes de l’hiver 2022.
« Y a eu une longue séquence de pas de sifflet. »
« La meilleure manière d’apprendre, c’est dans les tranches [tranchées]. »
« Si tu veux juste des choses faciles, c’est dur de grossir comme humain. »
« On a fait la puck travailler beaucoup. »
« Si tu te concentres juste sur les victoires, ça peut être très nuageux dans ton procès pour les joueurs [processus]. »
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