Le verbe plonger s’applique tout aussi bien à cet engouement qui, à vrai dire, ne s’est jamais attiédi. Si le désir de se laisser avaler, malaxer, brasser dans un mosh pit est devenu moins pressant au fil des ans, l’autrice continue d’enrichir sa collection de vinyles et de cassettes aux accents punk, tout en suivant le destin de ses anciens héros. Ceux, à tout le moins, qui sont toujours de ce monde.
« J’aime particulièrement le punk français, des groupes comme les Wampas, La Souris Déglinguée, les Garçons Bouchers, Bérurier Noir et Parabellum. Je trouve que dans leurs textes, il y avait une belle poésie, une certaine rigueur dans la forme », a raconté Stéfanie Tremblay, à l’occasion d’une entrevue accordée au Progrès.
Plus près physiquement, il y avait les musiciens qui animaient la scène locale au tournant du millénaire. Eux et les adolescents qui dansaient sur leurs compositions formaient une communauté tissée serrée. Entrer dans cette constellation n’était pas simple, cependant. Surtout pour une fille qui ne jouait d’aucun instrument et qui n’avait pas l’âme d’une chanteuse.
« Dans le livre, je décris ma première expérience de mosh pit, à l’occasion du festival Polliwog tenu au stade Richard-Desmeules. J’avais trouvé ça stressant, mais ça fait partie de l’expérience d’un concert, même si ce n’est pas toujours sécuritaire, reconnaît l’autrice. J’en ai mangé, des coups de poing. »
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Naissance d’une vocation
Une autre stratégie pour « faire partie de la gang » fut de prendre des photos pendant et après les spectacles. Comme ça se passait dans l’ancien temps, celui de la pellicule qu’on faisait développer à la pharmacie, l’adolescente montrait ses images deux ou trois semaines plus tard. « Tout le monde voulait les voir », se souvient Stéfanie Tremblay.
Ce qu’elle ne pouvait anticiper, c’est que ce hobby déterminerait son choix de carrière, centré sur les arts visuels. C’est d’ailleurs une exposition présentée à Québec, au Lieu, qui a donné naissance au texte que la Peuplade mettra en marché le 19 avril. Il accompagnait une sélection de 200 photographies tirées de sa collection punk, qui en comprend 2000.
« Ce que j’ai trouvé tripant, c’est le travail réalisé avec les collègues de la maison d’édition. On a enlevé des trucs. J’en ai rajouté. On a aussi regroupé des photos dans des pages roses, comme celles des fanzines que vendait le poète Frank Laliberté, se remémore Stéfanie Tremblay. La première fois que j’en ai acheté un, c’était à un concert de WD-40. Ça avait été une révélation. Après, moi aussi, j’en ai fait. »
Dans Musique, il y a quelque chose de ce côté « lousse », spontané, des fanzines. On y trouve des textes épousant la forme de récits et d’autres, très courts, tenant parfois à l’intérieur d’une phrase. La langue est crue, bien sûr, mais ce serait une erreur de se laisser obnubiler par le versant glauque de la mouvance punk.
Mon livre est triste à 10 % seulement. À la base, c’est un livre d’amour et d’amitié. L’amour des autres et de la musique. L’amour adolescent qui prend toute la place. Il n’y a rien de laid, là-dedans. Juste de la beauté et de la poésie.
« Mon livre est triste à 10 % seulement. À la base, c’est un livre d’amour et d’amitié. L’amour des autres et de la musique. L’amour adolescent qui prend toute la place. Il n’y a rien de laid, là-dedans. Juste de la beauté et de la poésie », assure Stéfanie Tremblay, qui se dit excitée à l’idée d’être publiée par une maison d’édition reconnue.
C’était son plus grand rêve et comme il lui reste plein d’expériences à évoquer, Musique pourrait devenir le point d’ancrage d’une trilogie. Couvrant les années 2005 à 2012, son deuxième récit poétique sera prêt à la fin de 2023. Il s’appellera Drogue et pourrait être jumelé à un album de chansons originales. « Quand j’aurai fini le troisième livre, je serai enfin une adulte », lance l’autrice en souriant.
Dans l’immédiat, toutefois, elle a hâte au lancement de Musique, tenu à la librairie Point de suspension de Chicoutimi, le 21 avril à 17 h. Comme un DJ fera jouer des chansons punk créées dans l’Hexagone, peut-être que Stéfanie Tremblay retrouvera le goût de plonger dans un mosh pit.
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LES MÈRES, FIGURES MÉCONNUES DE LA SCÈNE PUNK
Quand elle s’est initiée à la musique punk, Stéfanie Tremblay était trop jeune pour prendre conscience de la dimension politique du mouvement. Le ressentiment qu’affichaient les jeunes issus des classes laborieuses, pour qui l’avenir semblait irrémédiablement bouché, l’adolescente n’était pas outillée pour le comprendre.
« Je trouvais ça beau, un écorché qui s’exprimait de cette façon. Un musicien ou un membre du public. J’étais impressionnée. Je voulais être ça, mais la réalité dans laquelle je vivais était différente, souligne-t-elle. Je venais d’un milieu à l’aise, sans être riche. Quand on rentrait chez nous, il y avait de la soupe faite par ma mère. On était aimés, ce qui n’était pas le cas de tout le monde. »
Dans le livre Musique, l’autrice revient plusieurs fois sur le rôle des mères, en lien avec la scène punk. Elles étaient nombreuses à montrer plus que de la tolérance, une véritable ouverture face aux choix effectués par leurs enfants. « Dans le punk, la figure de la mère était importante, très présente », confirme Stéfanie Tremblay. Quand des jeunes assistaient aux pratiques des groupes locaux, par exemple, il n’était pas rare que la mère de l’un des musiciens vienne offrir des croustilles.
Quant aux lieux où se vivait la musique, ils ne se trouvaient pas toujours où on les imaginerait. Les pratiques se déroulaient fréquemment dans les parcs industriels, là où on pouvait libérer des tonnes de décibels sans déranger personne. C’est là que les musiciens et leur entourage passaient le plus clair de leurs fins de semaine.
« En ce qui touche les spectacles, ça se passait beaucoup dans les salles communautaires et les sous-sols d’église. Pour voir des groupes de la région, j’ai été à Alma, Saint-Nazaire et Dolbeau, entre autres. J’ai fonctionné comme ça de 13 à 30 ans, soit jusqu’au moment où les musiciens ont commencé à avoir des enfants », relate Stéfanie Tremblay d’un ton amusé. Daniel Côté