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Dans sa besace, un concept de deux tunnels plutôt qu’un qui va réduire le risque technique et financier; un coût revu à la baisse, du moins sur papier; des détails sur les forages en cours (il y en a eu 20 à ce jour, dont 2 dans le fleuve); des projections de hausse de circulation.

Le prix à «payer» pour ce projet révisé est l’abandon des deux voies exclusives de transport en commun annoncées l’an dernier.

Le gouvernement va leur substituer des voies partagées entre autobus, autos et camions. Les horaires et arbitrages restent à déterminer.

Pour le reste, rien de précis encore sur les sorties du tunnel à Québec; pas de modélisations à jour. Ni sur les impacts du télétravail. Ni sur le nombre de véhicules qu’un troisième lien permettrait de soustraire de la circulation actuelle des ponts.

En fait, il n’y a toujours pas d’étude, point. Peu importe le sujet.

À part celle de 2015 de l’ingénieur Bruno Massicotte sur un scénario de tunnel passant par la pointe de l’ile d’Orléans. Scénario abandonné depuis au profit d’un trajet centre-ville à centre-ville.

Le gouvernement de la CAQ aura entendu les mises en garde des scientifiques et experts sur le risque financier et technique de viser un tunnel trop gros.

Les spécialistes de l’aménagement du territoire et du développement durable n’ont cependant pas eu la même écoute.

Il fut un temps où j’avais l’impression que le gouvernement cherchait à nier ou minimiser l’effet d’étalement urbain qu’allait provoquer le troisième lien.

Il évoquait alors la Loi de protection du territoire agricole et celle sur les périmètres d’urbanisation comme une assurance qu’il n’y aurait pas d’étalement.

Aujourd’hui, les promoteurs ne cherchent plus à nier ou minimiser cet effet. Ils le souhaitent.

Depuis quelques jours, les ténors du gouvernement et le maire de Lévis, Gilles Lehouillier, tentent de «réhabiliter» le mot étalement urbain. Ils en vantent les «mérites» et raillent ceux qui s’en inquiètent. C’est le monde à l’envers.

Le ministre François Bonnardel y voit une façon de «corriger l’erreur du passé» de placer le pont Pierre-Laporte à côté du pont de Québec. Cela a concentré le développement à l’Ouest, note-t-il, avec raison.

M. Bonnardel plaide pour un «rééquilibrage» et un étalement vers l’Est.

«Je suis qui, moi, pour dire: \"toi petite famille ou toi, jeune couple, tu vas aller rester dans un condo ou dans une tour à 15 étages\"», dit-il. Le ministre fait ici référence aux projets le long du tramway de Québec et du boulevard Guillaume-Couture à Lévis.

Comme s’il n’y avait rien entre les deux et que la seule densité possible était d’entasser tout le monde dans des tours à condos de 15 étages.

Il y a d’autres modèles. Celui des quartiers centraux de Québec, par exemple. Saint-Jean-Baptiste, Montcalm, Limoilou. On y trouve une densité forte et un style de vie qui peuvent aussi convenir à de jeunes familles. On peut trouver d’autres exemples.

Se pose cependant un problème d’accessibilité au logement ou à la propriété à un coût abordable.

Pour lutter contre l’étalement urbain, il faudrait des règles, soutiens ou mesures fiscales permettant à de jeunes familles d’habiter des quartiers où il y a déjà des services publics. Actuellement, ils n’en ont pas les moyens et il est difficile de les blâmer quand ils choisissent de s’éloigner.

Faute d’avoir pu ralentir l’étalement à l’ouest de Québec de Lévis et dans les couronnes nord, voici que le gouvernement propose d’ouvrir un nouveau front d’urbanisation dans l’est de Lévis.

J’ai hâte de voir ce que la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, pense de la vision de son collègue Bonnardel.

M. Laforest s’apprête à déposer une Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire. L’un des objectifs annoncés est de freiner l’étalement urbain. Mme Laforest s’en faisait à l’avance une fierté.

***

Que penser de la plus récente version du tunnel Québec-Lévis?

Les promoteurs avancent aujourd’hui les mêmes arguments qu’au premier jour, à la différence qu’ils les déclinent dans un ordre différent.

1. Améliorer l’offre de transport en commun

Dans le discours public du gouvernement Legault, le transport en commun est devenu la motivation première pour construire un troisième lien.

Tout le monde en convient. Il faut améliorer l’offre de transport en commun entre les deux rives si on souhaite réduire la part des traversées du fleuve en auto-solo.

Un tunnel centre-ville à centre-ville est certainement une façon d’y arriver. Ce sera objectivement beaucoup plus rapide que tout trajet de transport en commun passant par les ponts.

Reste à voir combien de navetteurs interrives y trouveraient leur compte pour se rendre à destination.

Sur la base de la dernière enquête origine-destination, on peut penser que le nombre est limité. Mais c’est en améliorant la qualité de l’offre qu’on peut espérer intéresser plus d’utilisateurs.

Il y a aussi d’autres façons d’améliorer l’offre interrives et sans doute pour moins cher. Par des navettes fluviales et terrestres biens coordonnées, par exemple.

Ou par de véritables voies dédiées sur Guillaume-Couture, plutôt que par des tronçons de voies réservées ici et là. C’est d’ailleurs ce qui était envisagé dans la première version du tramway (2010) puis par le SRB.

Si l’objectif premier était vraiment le transport en commun, voici le meilleur moyen d’envoyer un message très fort, tout en coupant les coûts de moitié: construire un seul tunnel et le réserver au transport en commun.

On sait cependant que ça n’arrivera pas. Du moins pas sous un gouvernement de la CAQ dont la promesse est de livrer un tunnel autoroutier. Et qui vient de montrer que les voies de transport en commun sont pour lui malléables.

2. Améliorer la fluidité de la circulation

C’était le tout premier argument des promoteurs : un nouveau lien pour réduire la congestion aux ponts.

Cet argument est cependant plombé par le fait que les deux tiers et plus de la circulation actuelle sur les ponts ont leur origine et leur destination dans l’ouest du territoire. Passer par un tunnel au centre-ville impliquerait un long détour peu productif.

On peut ici spéculer sur le pourcentage de navetteurs qui voudront emprunter une autoroute 20 encombrée pour aller prendre un tunnel qui les mènera sur des artères de Québec encombrées elles aussi.

Si on ne fait rien, les prévisions démographiques font que la circulation va s’intensifier sur un pont Pierre-Laporte dont la capacité théorique est atteinte depuis 1989, plaide le ministère des Transports du Québec.

Cela signifie que les temps d’attente pour traverser au pont Laporte vont s’allonger et dépasser même ceux de Montréal.

Le gouvernement tient ici un «bon» argument.

Les citoyens qui s’installeront dans l’est de Lévis et dans Bellechasse pour profiter du tunnel n’iront pas alourdir la congestion aux ponts actuels.

Offrir un transport en commun «irrésistible» serait aussi un moyen de limiter la hausse annoncée de la congestion.

3. Rééquilibrer l’aménagement du territoire

Il y a déjà de l’étalement urbain sur la rive sud, plaide (avec raison) le gouvernement. Aussi bien le faire davantage vers l’est, ce qui évitera d’aggraver la congestion aux ponts, plaide le gouvernement.

L’argument est aussi qu’un troisième lien va permettre de revitaliser des villages vieillissants dans Beaumont ou Bellechasse en permettant à de jeunes familles d’y construire des maisons.

Le gouvernement en fait un enjeu d’occupation du territoire.

L’argument est intéressant. Mais où va-t-on tirer la ligne entre une occupation souhaitable du territoire et un étalement urbain coûteux qui ajoutera de la pression sur les terres agricoles?

Pour un gouvernement qui dit rechercher une plus grande autonomie alimentaire pour le Québec, traiter l’étalement urbain avec autant de légèreté n’est pas très cohérent.

4. Offrir une option pour le transport de marchandises

L’argument revient depuis le premier jour, mais n’est toujours pas documenté.

Combien de camionneurs en provenance de la Côte-Nord ou du Saguenay vont prendre le tunnel pour aller dans le bas Saint-Laurent sans même faire d’arrêt à Québec? La question est la même dans l’autre sens.

C’est quand même étonnant que le promoteur du projet n’en ait encore aucune idée.

En théorie, on veut permettre à des camionneurs d’éviter de traverser la ville de Québec en allant faire un détour par les ponts. D’accord. Mais combien sont vraiment concernés?

S’il faut de surcroit que le transit des camions dans le tunnel soit limité à certaines heures, comme l’évoque maintenant le gouvernement, l’argument perd encore de sa pertinence.

5. Assurer la sécurité du réseau routier

La ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault parle des véhicules d’urgence, mais la question se pose de façon plus large.

S’il arrivait quelque chose qui rendait l’un ou l’autre des ponts actuels inutilisables pour une longue période (bris, attentat, séisme, etc.) que se passerait-il? Quelles en seraient les conséquences sur la vie et l’économie de la région?

L’argument du besoin d’une solution de rechange est éminemment valable.

***

La première pelletée de terre promise par la CAQ pour l’automne 2022 n’aura peut-être pas la magnificence espérée par les citoyens pressés. On ne verra pas dans le cadre de la photo officielle un tunnelier derrière, prêt à commencer à creuser.

Normal. Un projet de cette ampleur nécessite des années d’études et de préparation. Il y a une limite à vouloir brûler les étapes.

D’ici là, l’annonce des ministres Bonnardel et Guilbault en territoire conquis de Lévis aura probablement réussi à convaincre ces plus pressés que le gouvernement avance et va tenir sa promesse. Pour le meilleur et pour le pire.

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