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La semaine dernière, Steven Guilbeault, ministre de l’Environnement du Canada, a annoncé que le projet pétrolier Bay du Nord, au large de Terre-Neuve, était autorisé sous réserve de 137 conditions, dont celle d’être carboneutre en 2050. La belle affaire !

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Le ministre a défendu la décision gouvernementale sur la base d’un rapport d’évaluation de l’Agence d’évaluation des impacts du Canada (AEIC). Selon sa déclaration, c’est la première fois qu’on impose l’obligation de carboneutralité à un projet au Canada. Est-ce la vérité ou un effet de la restriction mentale ?

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Soyons systématiques. La notion de carboneutralité réfère à une opération comptable qui donne un bilan zéro lorsqu’on oppose les émissions et les suppressions d’émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour équilibrer un budget, il faut réduire les dépenses et augmenter les revenus. Pour être carboneutre, il faut réduire les émissions et augmenter le captage de GES. Comme pour un bilan financier, il y a des règles, des normes et des bonnes pratiques pour la vérification des affirmations de carboneutralité.

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Il est tout à fait possible pour un projet industriel d’être carboneutre. Nous l’avons démontré avec le projet Énergie Saguenay. Parmi les bonnes pratiques, l’affirmation de carboneutralité implique de définir un périmètre pour comptabiliser les émissions. Dans le cas d’un projet ou d’une entreprise, les frontières de calcul doivent idéalement tenir compte du cycle de vie du produit, mais il peut aussi être restreint à une installation. Dans le cas d’un gouvernement, les règles de comptabilité sont limitées au territoire national et à l’année de déclaration, ce qui est discutable en termes de crédibilité. Par exemple, nous importons au Canada beaucoup de produits fabriqués en Chine, mais les émissions pour la production et le transport ne sont pas imputées au bilan canadien. En revanche, nous exportons beaucoup d’aluminium vers les États-Unis, mais les émissions des alumineries sont comptabilisées au bilan du Québec. Cela pourrait avoir un certain intérêt entre joueurs de taille égale, mais aux Nations Unies, un pays est un pays et les règles s’appliquent en théorie également à tout le monde.

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Il y a une différence entre le terme carboneutralité et le terme « zéro-émissions ». Dans le second cas, il suffit de ne produire aucun gaz à effet de serre dans le périmètre et l’année considérée. « Zéro-émissions » ne tient pas compte du cycle de vie.

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En anglais, la carboneutralité se traduit « net-zero-emissions ». Cela exprime la notion de bilan comptable. Il s’agit du bilan des émissions et des absorptions ou des suppressions d’émissions de gaz à effet de serre. En gros, chaque tonne de GES émise par une activité comme le transport doit être neutralisée par une absorption équivalente comme la plantation d’arbres supplémentaires. Un plus est annulé par un moins. On peut alors considérer que le bilan ne contribue pas au réchauffement du climat. Dans le cas d’un produit ou d’une activité carboneutre, il faut d’abord définir un périmètre de référence et établir un inventaire des sources d’émissions pour ensuite équilibrer le bilan avec des activités compensatoires. Le périmètre peut aller d’une installation, un bâtiment ou même englober l’ensemble du cycle de vie, de l’extraction des ressources jusqu’à la disposition des déchets.

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Le terme zéro-émissions quant à lui signifie que le produit ou l’activité n’émet aucun gaz à effet de serre pendant son opération. Par exemple, une voiture électrique tout comme une centrale au charbon équipée d’un système de captage et de stockage du CO2, peuvent être zéro-émissions. Cela ne veut pas dire qu’elles soient carboneutres pour autant. En effet, si on considère leur cycle de vie, l’extraction des ressources, leur transformation et leur transport ont émis des gaz à effet de serre. Il peut même y avoir des déplacements d’impacts, par exemple si l’électricité qui propulse la voiture vient d’une centrale thermique qui produit des émissions de GES.

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On pourrait donc être à la fois zéro-émissions et carboneutre si on tient compte du bilan carbone du cycle de vie de l’auto électrique et qu’on achète une quantité équivalente de crédits compensatoires. Une analyse de cycle de vie réalisée par le CIRAIG pour Hydro-Québec a comparé les impacts de deux véhicules roulant au Québec sur 15 000 kilomètres. Les émissions pour l’auto électrique étaient de 16 tonnes de CO2 contre 50 tonnes pour l’auto équivalente équipée d’un moteur à essence. Si on achète 50 tonnes de crédits compensatoires pour la seconde et 16 tonnes pour la première, les deux deviennent carboneutres sur leur cycle de vie, mais seule l’auto électrique est considérée zéro-émissions dans sa phase d’opération.

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Ces distinctions peuvent paraître jésuitiques, mais elles ont une certaine importance pour démêler les discours politiques comme celui du Parti libéral du Canada, qui promettait un Canada carboneutre en 2050. Cela ne veut pas dire qu’on arrêtera d’exploiter les sables bitumineux…

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Sur un mode plus léger, il existe des produits qui sont carbonégatifs, c’est-à-dire qu’ils absorbent dans leur cycle de vie plus de CO2 qu’ils n’en émettent. C’est le cas du bois d’œuvre, mais il y a d’autres exemples. Les huîtres, par exemple, accumulent du CO2 sous forme de carbonate de calcium très stable dans leurs coquilles. Beaucoup plus de CO2 que n’en émettent leur élevage, leur cueillette, leur transport et leur dégustation. Alors, en mangeant vraiment beaucoup d’huîtres, on pourrait peut-être rendre carboneutre le Canada ! ! ! C’est peut-être le plan secret de notre gouvernement. Bon appétit !

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Revenons au projet Bay du Nord présumé carboneutre en 2050, selon le ministre de l’Environnement. C’est une fausse prétention.

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Dans le cycle de vie d’un tel projet, on trouve des sources d’émissions de GES de la conception en passant par la fabrication et l’opération des plateformes de forage, le transport des employés et celui du pétrole vers les raffineries, le raffinage, la distribution et la combustion dans les moteurs et finalement lors du démantèlement des plateformes à la fin des opérations. Entre 70 et 85 % des émissions de GES se produisent à la phase combustion. Mais on pourrait se limiter à la carboneutralité des opérations; or, ce n’est même pas le cas.

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Seules les émissions des opérations de la plateforme sont identifiées dans l’étude de l’AEIC, l’entreprise doit fournir au ministère de l’Environnement son inventaire de GES annuel, les moyens de réduction envisagés et une explication s’il ne réussit pas à les mettre en œuvre. L’article 6.4 de la décision du gouvernement canadien indique pour sa part que le projet devra « émettre zéro kilotonne de CO2 équivalent à compter du 1er janvier 2050 ». On est très très loin de la carboneutralité ! Le promoteur pourrait atteindre sla cible imposée par le ministre en cessant ses activités le 31 décembre 2049.

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Chaque tonne de GES supplémentaire réduisant la marge de manœuvre de l’humanité pour stabiliser le climat, le gouvernement canadien fait de l’écoblanchiment, car le projet émettra des GES chaque année d’ici 2050 et ces émissions ne seront pas compensées par des suppressions équivalentes. Par analogie, un projet qui affirme vouloir être carboneutre en 2050 est comme un plan d’affaires qui promettrait d’équilibrer son budget dans trente ans tout en accumulant des déficits chaque année. Une belle recette pour la faillite !

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Si on en croit les promesses de tout un chacun, tout le monde sera carboneutre en 2050… Or, selon le GIEC, la stabilisation du climat passe par la carboneutralité tout de suite, pour tous les nouveaux projets et dans l’ensemble du cycle de vie.

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Il ne faut pas prendre la carboneutralité à la légère. Si quiconque vous affirme qu’il est carboneutre, exigez de voir son bilan, questionnez son périmètre, examinez la qualité de ses crédits compensatoires et demandez le rapport de ses vérificateurs. Si les citoyens ne se montrent pas vigilants, on se fera passer de la camelote !

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C’est clairement le cas ici.

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