L’accord avec un sujet collectif ou quantitatif fait aussi partie des règles de grammaire dans lesquelles on peut se perdre. C’est d’ailleurs un des exemples qui devait figurer dans ma chronique sur les participes passés, mais que j’ai dû retrancher, faute d’espace. Par exemple, dans la phrase « le peu d’attention qu’elle m’a accordé(e) ne m’a pas offusqué », doit-on faire l’accord avec « peu » ou avec « attention »?
Ici, c’est avec « peu », parce que c’est le manque d’attention qui aurait pu offusquer le narrateur. Si la phrase avait été « le peu d’attention qu’elle m’a accordée m’a quand même encouragé à continuer », l’accord se serait fait avec « attention », car on comprend que la quantité d’attention a été suffisante.
Dans le cas de « majorité », la réponse est simple : c’est à l’auteur de décider de faire l’accord au singulier ou au pluriel, selon son intention. S’il veut insister sur la collectivité, l’ensemble, il optera pour le singulier, et s’il préfère mettre l’accent sur la pluralité, le nombre, il fera l’accord au pluriel.
En résumé, Radio-Canada et TF1 ont toutes les deux raison ici.
« La majorité des électeurs a perdu ses élections, le candidat libéral n’ayant remporté le vote qu’avec 35 pour cent des voix. »
« Une majorité d’étudiants croient que les frais de scolarité sont trop élevés. »
Cela dit, il y a quand même des tendances qui se dégagent. Par exemple, lorsqu’on fait précéder « majorité » de l’article « une », l’accord se fait presque toujours au pluriel, parce que le choix de cet article nous indique qu’il y a moins d’insistance sur le mot « majorité », contrairement à l’article défini « la ».
Je dois toutefois vous remercier pour votre question, qui m’a permis de me mettre à jour sur un autre aspect. J’avais en effet appris à l’université qu’il fallait éviter de dire « grande majorité », plusieurs ouvrages considérant qu’il s’agit d’un pléonasme, car une majorité est forcément grande. Nous devions plutôt employer « vaste majorité ».
Mais en fouillant ce sujet, et après mûre réflexion, il m’apparaît qu’une majorité n’est pas toujours grande. Par exemple, dans un groupe de trois personnes, la majorité n’est constituée que de deux individus. Le pléonasme survient seulement lorsqu’on parle de « la plus grande majorité », car une majorité est automatiquement plus grande.
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« J’aimerais que vous parliez de l’adverbe "honnêtement". Pour moi, quelqu’un qui utilise ce mot signifie que ses propos précédents étaient malhonnêtes. Il devrait employer l’expression "en toute franchise". Autres formes qui me dérangent : "ami personnel" et "en mon nom personnel". Il me semble qu’il n’y a pas plus personnel qu’un ami ou que son propre nom [Claude Beaulieu, Gatineau]. »
Commençons par vous rassurer sur l’adverbe « honnêtement », dont l’usage est tout à fait correct comme synonyme de « franchement ». Il suffit de regarder dans un Petit Robert ou un Petit Larousse pour en avoir le cœur net.
Il n’y a pas d’anglicisme sous roche non plus (cette tournure est aussi employée en anglais d’une manière tout à fait semblable au français). Il s’agit en fait d’une forme elliptique. Voici des exemples avec, entre parenthèses, les mots qui sont sous-entendus.
« (Réponds-moi) honnêtement, qu’en penses-tu? »
« (Pour parler) honnêtement, son projet est nul. »
La leçon à retenir, c’est que si vous voyez un mot qui semble dériver de son sens premier, prenez quand même le temps de vérifier dans un dictionnaire. Le français est une langue qui adore les sens figurés ou légèrement décalés. C’est d’ailleurs une de ses richesses.
Mais dans les deux autres cas que vous soumettez, vous avez raison : il s’agit de traductions littérales de l’anglais. En fait, le problème ici est une incompatibilité entre des formes consacrées par l’usage.
Prenons « ami personnel ». Les anglophones disent « personal friend ». On comprend très bien ce que cela signifie. Mais en français, l’usage a plutôt consacré « ami intime ».
Dans des contextes différents, il peut être accepté d’employer « personnel » au sens d’« intime », par exemple pour parler de souvenirs, mais lorsqu’on fait référence à un ami, c’est l’adjectif « intime » qui s’est imposé en français.
Quant à « en mon nom personnel », le Grand dictionnaire terminologique privilégie « parlant en mon nom », ce qui, j’en conviens, n’est pas très courant. En fait, l’adjectif « personnel » n’apporte ici rien de plus. On peut simplement recourir à « en mon nom » et le sens sera complet.
Il faut mentionner aussi que l’expression « in my personal name » ne semble pas consacrée par l’usage anglais non plus. On la rencontre régulièrement, mais elle ne figure pas dans les dictionnaires. La manière de dire la plus courante est plutôt « on my behalf ».
Perles de la semaine
Il y a longtemps que nous ne sommes pas allés voir les perles de traduction de la chronique Hein?, dans la revue Protégez-vous... Je vous confirme que ça ne s’améliore guère...
« Handmade sliced noodles [nouilles tranchées faites à la main] »
Main des nouilles en tranches
« Hulled sesame seed [graines de sésame mondées] »
Graine décortiquée par sésame
« No need to buy a disposable face mask every time. Spend it on ice cream instead [Pas besoin d’acheter un masque jetable chaque fois. Offrez-vous plutôt une crème glacée]. »
Pas besoin d’acheter un masque jetable chaque fois. Passez-le sur de la crème glacée.
« Let It Snow white tea bath gel [Gel douche au thé blanc Qu’il neige] »
Gel douche au thé blanc Laisse la neige
« Spring door stop [butoir de porte à ressort] »
Arrêt de porte de printemps
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