Virage vert chez les grandes industries: plusieurs mains sur le volant

Les mentalités ont beaucoup évolué au fil du temps au sein des grandes industries, alors qu’un certain virage vert, entre autres changements, s’est amorcé. Le devoir environnemental des entreprises s’arrête toutefois là où celui d’autres commencent, dans un «système complexe» où plusieurs ont tendance à «pelleter la responsabilité dans la cour de l’autre».


Parmi ces autres, il y a les investisseurs, les gouvernements et les consommateurs, fait valoir le directeur de la Chaire en éco-conseil à l’UQAC, Claude Villeneuve. Car la responsabilité assumée par l’entreprise se limite généralement du «berceau à la barrière», soit de l’extraction des ressources à la mise en vente du produit, et qu’elle n’est donc pas seule à avoir son mot à dire.

«Ce n’est pas de la faute de GM si quelqu’un laisse tourner son pick-up à la porte du dépanneur en allant chercher une pinte de lait», image le biologiste, ajoutant que les concessionnaires n’ont pas plus à voir avec la décision du gouvernement du Québec de permettre la vente de tels véhicules jusqu’en 2034.

La question du «découpage de la responsabilité» n’en est que plus importante. D’autant plus qu’elle se pose dans un «système où les avocats sont rois».

Donc les entreprises disent : ça, ce n’est pas de mes affaires, c’est le gouvernement qui est supposé s’en occuper. Le gouvernement essaie de patcher des trous et le citoyen dit : ce n’est pas de ma faute, moi j’ai des responsabilités x, y ou z et de toute façon, ma contribution à la pollution, c’est rien.

Un exemple à suivre

Malgré tout, certains font le choix de se responsabiliser, notamment dans l’industrie de l’aluminium. Un projet de recherche mené par la Chaire en éco-conseil et AluQuébec vise à intégrer les objectifs de développement durable des Nations Unies dans tout l’écosystème, chez les grandes entreprises comme les plus petites. Toujours en tenant compte du rôle, des responsabilités, du cycle de vie et de la capacité de chacun à agir dans son milieu.

Considérant que les entreprises ont toutes un champ d’expertise et des contraintes qui leur sont propres, et qu’il n’est pas réaliste de penser que chacune peut atteindre l’ensemble des mesures espérées, il est nécessaire de penser le virage vert dans une certaine «globalité» au sein d’une industrie.

«Les équipementiers par exemple n’ont pas les mêmes enjeux d’efficacité énergétique que les transporteurs ou ceux qui font de l’électrolyse. Ils n’ont pas non plus les mêmes enjeux de GES. Par contre, si des équipementiers sont très soucieux de la conception et de l’efficacité énergétique de leurs équipements, ils peuvent avoir un très faible impact sur leurs propres émissions de GES, mais un très fort impact sur la réduction des GES de ceux qui vont acheter leurs équipements.»

De telles considérations dans le projet avec AluQuébec expliquent notamment pourquoi il s’agit d’un «très bel exemple de ce qui peut être fait au niveau des entreprises», aux yeux de Claude Villeneuve. «On a vraiment une intégration de tous les niveaux. Ça, c’est de l’innovation. Ça n’existe pas, c’est la première fois que c’était fait.»

S’intéressant depuis pratiquement 50 ans à l’environnement, le professeur titulaire au département des sciences fondamentales de l’UQAC et directeur de l’infrastructure de recherche Carbone boréal a été témoin d’une grande évolution chez les entreprises en cours de route. D’abord avec une responsabilisation envers les employés, ensuite envers l’environnement, et finalement envers la société, pour en venir à ce qu’on appelle les pratiques ESG (environnement, société et gouvernance), adoptées aujourd’hui par «la plupart» des grands joueurs.

La transition s’est d’ailleurs faite relativement rapidement au Saguenay-Lac-Saint-Jean, où la question du développement durable se pose «depuis 30 ans», soit depuis la création de la Région laboratoire du développement durable, dont Claude Villeneuve fût l’instigateur, en 1991. L’organisme à but non lucratif a fini par changer de nom – pour Centre québécois de développement durable –, mais pas de vocation.

Une «guerre de communication»

Parmi les enjeux qui restent presque entiers toutefois, à l’échelle mondiale, il y a ces «guerres de communication» entre les différents groupes. Avec d’un côté certaines entreprises qui tentent de trouver des raccourcis pour contourner la loi tout en paraissant «plus vertueuses que les autres», et de l’autre, des organisations militant pour la défense de l’environnement, qui pour des fins de visibilité et de financement, peuvent en venir à déformer la vérité, prévient Claude Villeneuve.

Il devient donc pour le moins difficile pour les consommateurs de naviguer entre ces tranchées et d’y voir clair. Le professeur utilise en exemple la scierie de Produits forestiers Résolu à La Doré, qui se veut «zéro déchet».

«Si la personne qui s’achète un 2 par 4 exigeait d’avoir un 2 par 4 qui vient de la scierie de La Doré, il y aurait zéro déchet dans la production de son 2 par 4. L’idée, c’est que cette information-là, soit elle n’est pas communiquée adéquatement, soit elle est cachée par le fait qu’on dit : dans la forêt boréale, on coupe du bois plus vite qu’il revient – ce qui est faux, mais tu peux le raconter, raconter l’erreur boréale.»

«Ce sont les progrès qui restent à faire. Les progrès qui sont liés avec l’honnêteté ou la transparence dans la communication, qui se rallient aux objectifs de gouvernance, et les pratiques qui sont de faire sa contribution totale et complète au pays dans lequel on vit», conclut Claude Villeneuve.