En tant que chercheure, je m’intéresse au bien-être des enfants et je me questionne sur les effets qu’engendre le regard des adultes et des institutions sur eux. Ce regard n’est pas désintéressé ni anodin : il scrute et sert souvent à évaluer et cibler ce qui diverge de l’attendu, de ce qui devrait être, bref de la norme. On veut s’assurer de la droiture de leur développement, de l’atteinte de leur plein potentiel et éviter tout ce qui pourrait leur être nuisible, et cela le plus tôt possible. À première vue, ce regard est favorable aux enfants. Toutefois, en confrontant de plus en plus tôt les enfants à « la » norme, en utilisant une définition de plus en plus étroite de la normalité et en évacuant toute référence à leur contexte social, des conséquences insoupçonnées peuvent survenir. Celle notamment d’avoir de plus en plus d’enfants qui sont étiquetés pour des troubles et des difficultés, ce qui vient créer un goulot d’étranglement dans l’accès aux services scolaires et psychosociaux. Des signes que la médicalisation durant l’enfance prend de l’ampleur.
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La médicalisation survient quand un problème non médical est transformé en un problème médical, lorsqu’on le considère comme un trouble ou une maladie et qu’on utilise des mots, des explications ou des solutions médicales. À ne pas confondre avec médication, qui est une des étapes. Il existe plusieurs exemples de médicalisation dans nos vies quotidiennes, pensons notamment à la grossesse ou à l’accouchement qui sont tout à fait naturels chez les femmes, mais qui se passent rarement hors de l’hôpital et des interventions médicales. Dans le cas des expériences de médicalisation durant l’enfance, les comportements, peu valorisés socialement (manque de concentration, agressivité) ou causant possiblement un tort à l’enfant ou à autrui (p.ex. difficultés scolaires, désorganisation), sont souvent ceux qui font l’objet d’une prise en charge médicale. Cela vous surprendra peut-être, mais ce ne sont pas seulement les professionnels de la santé qui médicalisent. En fait, la plupart des étapes se font avant l’entrée dans le bureau du professionnel! Tous y participent, incluant les institutions scolaires et médiatiques. Dès que nous pensons à des causes biomédicales (c’est génétique, c’est son cerveau), que nous utilisons un langage (c’est un symptôme, on dirait un diagnostic de X), ou envisageons des solutions médicales (les pilules), le processus de médicalisation est enclenché.
La médicalisation découle souvent d’un idéal de bienveillance et de désir d’aider et on pense rarement aux contrecoups potentiels : effets secondaires de la prise de médicaments non nécessaires; accentuer les déficits plutôt que valoriser les forces; réduire l’identité de l’enfant à une étiquette (on sait bien, tu es comme ça à cause de ton diagnostic) et tout le stigma et la diminution des attentes qui s’ensuivent…Sans oublier l’individualisation des problèmes sociaux, où l’on soigne des individus pour des problèmes qui peuvent émaner de la société et pour lesquels les solutions les mieux adaptées passeraient plutôt par la révision des politiques publiques et le questionnement des valeurs sociétales.
À force de parler de mes préoccupations au sujet de la médicalisation, j’ai reçu des témoignages de parents qui se montrent critiques et qui questionnent cette quête de diagnostic ou refusent de recourir aux médicaments comme solution unique. Ces parents, par ce que j’appelle leur résistance, se placent à contre-courant de la tendance actuelle et informent sur un angle inédit de la médicalisation durant l’enfance. Si vous vous reconnaissez, contactez-nous ! Mes collègues et moi sommes en plein recrutement pour ce projet qui vise à identifier les caractéristiques des parents qui résistent et à comprendre les formes, la durabilité et les raisons de la résistance. À long terme, nous espérons que cela aidera à trouver des pistes pour limiter la médicalisation durant l’enfance, tout en contribuant au bien-être des enfants et des adultes qui les entourent.
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Pour participer à la discussion en rejoignant la page YouTube de l’UQAC le 19 avril, à midi.