{"accessibility":"METERED","authors":[{"coverUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm-v2.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2F99cf5e4d-a53e-4408-8dd7-0a70c75fbeb8.png&width=1024&stripmeta=true","description":{"fr":"Chroniqueur"},"email":"ilegare@lenouvelliste.qc.ca","imageUrl":"https://images.omerlocdn.com/resize?url=https%3A%2F%2Fgcm-v2.omerlocdn.com%2Fproduction%2Fglobal%2Ffiles%2Fimage%2Fd902ca05-064e-4daa-a5d5-cdd72df05f30.jpg&width=1024&type=jpeg&stripmeta=true","location":"Trois-Rivières","name":"Isabelle Légaré","source":"Le Nouvelliste","twitter":"isalegare"}],"channel":"Isabelle Légaré","chapters":[{"position":0,"text":"

Dans le confort de notre salon, notre tristesse est profonde et sincère face au sort des Ukrainiens, mais il faut avoir vécu l’impensable pour être capable de se l’imaginer vraiment.

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C’est le cas de Seraj et Berivan.

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«On sait ce que ça veut dire, la guerre...»

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Ils sont kurdes d’origine. Leur pays natal est la Syrie où les bombes explosent depuis le printemps 2011. Leur vie a éclaté avant de prendre racine à Trois-Rivières. Le couple est arrivé à l’hiver 2012.

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Seraj et Berivan ne connaissent pas dans le détail les raisons du conflit entre la Russie et l’Ukraine, mais en voyant défiler les bulletins d’informations faisant état de cette tragédie, ils éprouvent une sensation de déjà-vu.

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La ville assiégée, le sifflement des balles de l’autre côté de la porte, les traces de projectiles sur les bâtiments, les détonations dans la nuit, le silence inquiétant en plein jour, les enfants qui pleurent, le désespoir des parents...

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Des images et des bruits ne s’effacent pas complètement de leur mémoire.

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«Tu ne peux pas oublier, mais la vie continue», commence par dire Seraj.

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«Tu dois survivre malgré les mauvais souvenirs. Tu dois te relever et recommencer à nouveau», ajoute Berivan avec une certitude dans la voix.

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Le téléviseur est branché sur des dessins animés tandis que le feu crépite dans le poêle à bois. La petite Pela, 13 mois, passe des bras de sa mère à ceux de son père pendant que ses deux frères, Muhammad, 7 ans, et Yacub, 4 ans et demi, s’amusent avec les blocs dispersés sur le tapis, dans la salle de séjour.

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Au printemps 2011, Seraj et Berivan étaient de jeunes mariés qui habitaient depuis peu la ville de Homs. Le jeune homme y travaillait comme photographe-vidéaste. La jeune femme avait amorcé des études en informatique.

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«Nous avions une vie normale.»

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Un quotidien qu’ils aimaient jusqu’à ce que leur existence se retrouve au coeur des combats entre l’armée de Bachar al-Assad et les rebelles.

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«En Ukraine, ce sont deux pays qui se font la guerre, alors qu’en Syrie, c’est le gouvernement qui est contre la population», explique Seraj. «Ça se passait autour de nous, parfois juste devant la porte. On ne pouvait pas l’ouvrir et sortir. Ils tiraient partout.»

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Berivan est secouée d’un frisson en écoutant son époux me raconter le chaos dans lequel ils étaient plongés.

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«C’était vraiment quelque chose!», soutient celle qui s’est mise à craindre les gens autour d’elle, à ne plus faire confiance en personne.

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Vivre dans de telles conditions devient physiquement et moralement très difficile. Pour se protéger contre la peur constante de mourir, Seraj s’efforçait de ne penser à rien.

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À plusieurs reprises, son sang-froid a été mis à rude épreuve. Sa seule issue était de s’armer de courage.

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Un jour, Seraj et son frère ont profité d’une accalmie pour aller acheter des aliments à quelques pas de distance du logement qu’ils partageaient. Une sortie essentielle, à leurs risques et périls.

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Un projectile d’arme à feu leur a frôlé la tête en guise d’avertissement.

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«On n’a pas bougé. Si nous avions couru, ça aurait voulu dire que nous étions de l’autre côté.»

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Des ennemis à abattre.

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Après quatre ou cinq mois à vivre sous un stress «épouvantable», affirme Berivan, elle et son mari ont fui cette zone de combats pour retourner dans leur région d’origine davantage à l’abri d’attaques meurtrières.

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La route fut très longue, parsemée de barrages militaires où le couple devait sans cesse répondre aux mêmes questions... «Qui êtes-vous? Où allez-vous? Pour y quoi faire? Qu’est-ce qu’il y a dans votre camion?»

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Quelques kilomètres plus loin, c’était à recommencer.

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Berivan était terrorisée, sachant que des femmes se faisaient enlever et violer.

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Les deux jeunes époux sont arrivés à destination sains et saufs, mais rapidement, ils sont repartis pour trouver refuge en Turquie.

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«Nous étions en sécurité, mais ce n’est pas comme ici, au Canada.»

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Seraj travaillait sans arrêt afin de subvenir aux besoins de sa femme et de leur nouveau-né.

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«J’étais comme un robot.»

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Le jour où Seraj et Berivan ont eu vent que le Canada souhaitait accueillir des Syriens pour leur offrir un travail et une nouvelle vie, ils ont tout quitté pour venir s’établir ici.

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Seraj parlait déjà trois langues, soit le kurde, l’arabe et le turc, avant d’apprendre le français aux côtés de Berivan.

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Le couple est devenu un modèle d’intégration. Deux autres enfants sont venus agrandir la famille qui se sent chez elle à Trois-Rivières, surtout depuis que les parents ont obtenu leur citoyenneté canadienne.

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Seraj est à l’emploi d’une entreprise d’entretien d’aéronefs. Berivan s’occupe de la marmaille à temps plein, elle qui a une formation en service de garde. Faute d’une place en garderie pour la petite Pela, son retour au travail est repoussé.

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Seraj et Berivan suivent de près la situation en Ukraine. Voir toute cette violence les bouleverse.

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«Vivre une guerre, ce n’est pas comme de la regarder à la télé.»

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Le nom de Vladimir Poutine s’impose dans la conversation. L’intervention militaire de la Russie en Syrie n’est pas un secret d’État. Le président russe y a établi sa stratégie avec le soutien de Bachar al-Assad.

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«Poutine a testé son armée là-bas...», commente Seraj avec frustration. La guerre persiste en Syrie et vient d’éclater en Ukraine.

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Berivan et Seraj n’oublieront jamais cette période trouble de leur existence, à la différence qu’ils se servent de leurs souvenirs pour se propulser vers l’avant.

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«Tout ce qu’on a vécu dans le passé nous a donné de la motivation. La persévérance que nous avons aujourd’hui est liée à ce qu’on a vécu dans le passé.»

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