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Les maires, les chambres de commerce, les acteurs socio-économiques et peut-être des ministres. On les aurait tous vu monter aux barricades.

Aujourd’hui, beaucoup moins.

On a bien entendu le maire Bruno Marchand et la Chambre de Commerce de Québec s’inquiéter que le transfert de 5000 emplois publics vers les régions «appauvrisse» la capitale.

Je ne dis pas que c’était seulement pour la forme.

5000 emplois, ce n’est quand même pas rien (en fait, la réalité sera moindre, j’y reviens dans un instant).

5000 emplois, c’est l’équivalent de la base de Valcartier, de tout le secteur des jeux vidéo ou du siège de la compagnie d’assurances Beneva (SSQ et La Capitale), fait valoir le président de la Chambre, M. Steeve Lavoie. «C’est un peu comme déshabiller Pierre pour habiller Paul».

Malgré la perte, le plan de régionalisation de la fonction publique (1) n’est pas une catastrophe.

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Le premier ministre du Québec, François Legault a dévoilé, jeudi, à Maniwaki, en Outaouais, son plan de régionalisation qui vise à transférer 5000 emplois de la fonction publique hors des centres urbains d’ici 2028. Il était accompagné de la présidente du Conseil du trésor du Québec et ministre responsable de l’Administration gouvernementale, Sonia LeBel, et du député de la circonscription de Gatineau, Robert Bussière.

Les villes de Matane (Bas-Saint-Laurent), Alma (Saguenay–Lac-Saint-Jean), La Malbaie (Charlevoix), Shawinigan (Mauricie), Lac-Mégantic (Estrie), Maniwaki (Outaouais), La Sarre (Abitibi-Témiscamingue), Baie-Comeau (Côte-Nord), Gaspé (Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine), New Richmond (Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine), Thetford Mines (Chaudière-Appalaches), Rawdon (Lanaudière), Rivière-Rouge (Laurentides), Sorel-Tracy (Montérégie) et Victoriaville (Centre-du-Québec) accueilleront bientôt ces bureaux gouvernementaux que se partageront les employés de divers ministères et organismes de l’administration publique.

Ce que souhaite le gouvernement caquiste, qui avait d’ailleurs promis ce plan de régionalisation de la fonction publique lors de la campagne électorale de 2018, c’est transférer des postes de « professionnels » vers des Municipalités régionales de comté dont l’indice de vitalité économique est le plus faible.

« Si on offre à quelqu’un un emploi à 15$ de l’heure et de l’autre, un emploi à 25$ de l’heure, ça ne donne pas la même chose sur l’économie du coin. [...] L’idée, c’est d’avoir, dans nos régions, plus d’emplois de qualité », a lancé M. Legault, en conférence de presse.

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Déjà plus de 1300 postes transférés

Le processus est déjà bien enclenché puisque 1330 emplois ont déjà été transférés vers les régions en date d’aujourd’hui. M. Legault a promis jeudi que le nombre de 2000 serait atteint d’ici le prochain scrutin provincial, prévu le 3 octobre. L’Outaouais compte déjà près de 90 de ces transferts qui proviennent des villes de Québec et Montréal, a confirmé Sonia LeBel. Impossible toutefois pour l’instant de savoir combien la MRC de la Vallée-de-la-Gatineau pourra accueillir de fonctionnaires, au final.

M. Legault et Mme Lebel ont insisté sur le fait que « personne ne sera forcé de déménager ». Québec s’est donné jusqu’en 2028 pour atteindre sa cible. On va procéder par « attrition » pour le transfert des emplois, a-t-on répété lors de l’annonce. Quand des postes deviendront vacants dans les villes de Québec et Montréal, ils seront graduellement affichés en région. Des nouveaux postes seront aussi affichés dans les localités sélectionnées. Dans certains cas, des employés habitant en ville pourront aussi déménagés et être transférés, s'ils le souhaitent.

Créer des « zones d’expertises dans les régions »

La stratégie du gouvernement Legault repose notamment sur la décentralisation et sur le fait que les régions sont parfois mieux adaptées à certains besoins.

«Avec le télétravail, il n’y a plus d’excuses de décentraliser des emplois», a illustré M. Legault, ajoutant que le déploiement de l’Internet à large bande aux quatre coins de la province, d’ici la fin septembre, représentait également un argument supplémentaire pour aller de l’avant avec cette implantation de la fonction publique en milieu rural.

La présidente du Conseil du trésor a d’ailleurs affirmé que l’objectif était de créer des « zones d’expertise dans les différentes régions ». Mme LeBel a mentionné que 55 ministères et organismes avaient reçu des cibles à atteindre en matière de transferts.

«Un ministère comme le Tourisme, comme la Faune, l’Environnement et le MAMH, ce sont des ministères avec des missions régionales beaucoup plus élevées, donc ils ont des cibles plus élevées de régionalisation. Ce n’est pas anodin. C’est pour s’assurer que ce n’est pas n’importe quel emploi qu’on régionalise juste pour cocher un emploi et dire que c’est fait», a expliqué Mme Lebel.

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Un plan accueilli avec enthousiasme

Le député de Gatineau, Robert Bussière, a applaudi l’annonce du premier ministre Legault. Selon lui, l’ouverture de postes de la fonction publique à Maniwaki va redonner « un souffle nouveau » à la MRC de la Vallée-de-la-Gatineau.

«Les pertes d’un seul emploi entraînent souvent le déménagement de toute une famille. Ce sont nos adultes, mais aussi nos jeunes qui ont quitté, et malheureusement ce sont nos commerces qui se vident et qui ferment. C’est ce qui se passe dans nos régions quand on perd des emplois», a-t-il rappelé.

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Pour la mairesse de Maniwaki, Francine Fortin, cette annonce était très attendue. Plusieurs développements immobiliers sont en cours sur le territoire de la municipalité, souligne-t-elle. Maniwaki sera prête à accueillir les futurs fonctionnaires, assure la première magistrate.

«Par les années antérieures, on a perdu beaucoup d’emplois de qualité à la ville de Maniwaki et dans la Vallée-de-la-Gatineau. Ça va faire en sorte qu’on va attirer de nouvelles familles parce qu’on va parler de salaires très bien rémunérés. Ce que les jeunes familles recherchent, c’est la nature et des emplois bien rémunérés et non des emplois au salaire minimum», a réagi Mme Fortin.

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La préfète de la MRC de la Vallée-de-la-Gatineau, Chantal Lamarche, s'est dit très satisfaite du plan du gouvernement Legault. La communauté devra cependant faire un effort pour attirer des gens sur le territoire, croit-elle.

«Au milieu des années 1990, on a perdu 140 emplois au MTQ. Dans les années 2000, on a perdu encore d’autres emplois. Nos écoles se sont vidées. Ça va nous permettre de remonter notre économie et de faire connaître notre région. Nous, comme population, comme élus et comme commerçants, on a un travail à faire pour se faire connaître et pour attirer les gens, mais je suis confiante», a-t-elle commenté.

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Il en aurait peut-être été autrement il y a 20 ou 30 ans, lorsque l’économie de Québec était beaucoup plus dépendante du gouvernement.

La Commission de la Capitale avait alors reçu le mandat de veiller sur les effectifs et activités gouvernementales. On craignait un glissement des lieux de décisions vers Montréal.

Depuis, le maire Labeaume a ici et là rappelé les «obligations» du gouvernement envers sa capitale, mais il y a longtemps que ce n’est plus une obsession de chaque instant.

La capitale n’a plus autant besoin d’être maternée maintenant que son économie tourne à plein régime.

Le bénéfice de ces emplois sera plus important pour des régions dévitalisées que le dommage causé aux grandes villes qui les perdront.

Au plan politique, c’est un choix parfaitement justifiable. C’était d’ailleurs un engagement électoral de la CAQ.

Si on croit aux régions et à une occupation vigoureuse du territoire, il faut que celles-ci puissent profiter elles aussi de l’impact économique d’une présence gouvernementale.

Les 15 localités ciblées (2) sont à bonne distance des grands centres. Au moins 75 km et le plus souvent davantage. Elles ont été choisies parce que leur population est âgée et que le taux de travailleurs y est faible.

Pour ces localités, l’ajout d’emplois de qualité, combiné à la présence de familles, peut contribuer à faire une différence. C’est le pari que fait le gouvernement.

À condition de pouvoir les accueillir.

Loger les employés de l’État dans des immeubles existants ou en construire de nouveaux ne devrait pas être trop compliqué. Le véritable enjeu sera de pouvoir offrir des logements qui répondent aux besoins des familles.

Il est assez ironique que le gouvernement confirme son plan en même temps qu’on apprenait qu’une crise du logement se dessine en région, selon un récent rapport de la SCHL (3).

Les chambres de commerce avaient déjà attiré l’attention sur cette réalité dans un «Livre blanc» paru en 2019. (4)

«L’offre locative réduite est un frein pour s’établir en région. Avoir la possibilité de faire l’expérience d’une région et de sa qualité de vie avant de s’y installer définitivement est important pour les nouveaux arrivants, qu’il s’agisse de migrants interrégionaux ou d’immigrants».

On comprend que la crise du logement n’a pas la même ampleur partout. J’imagine que le problème est moins aigu dans les localités dévitalisées, mais ça reste à voir.

***

L’économie locale n’est pas en péril, mais le transfert d’emplois en région aura un impact négatif sur Québec. C’est mathématique.

Ces emplois offrent un salaire moyen de plus de 60 000 $. C’est de l’argent (ou ce qui en reste après impôt) qui ne sera plus dépensé dans les commerces, services et événements culturels de Québec et Lévis.

Des conjoints et conjointes laisseront leur emploi en ville pour prendre pays en région.

Cela signifiera quelques centaines d’élèves en moins dans les écoles et une perte d’effectifs et d’expertise alors qu’il y a déjà pénurie de main-d’oeuvre.

Objectivement, ce n’est pas une bonne nouvelle économique pour Québec.

Mais on va s’en remettre.

À preuve, plus du quart des 5000 transferts d’emplois annoncés (1330) ont déjà été réalisés depuis 2018 sans qu’on s’en aperçoive.

Il est vrai que la pandémie a bouleversé l’économie des centres-ville.

Dans l’hécatombe des affaires perdues, il est difficile d’établir quelle part provenait du transfert d’emplois en région.

L’automne dernier, la Chambre de commerce et industrie de Québec a sommairement évalué la perte de revenus à 257 M $ par an. Le triple si on y additionne les effets indirects et induits des départs.

Ce calcul préliminaire tenait pour acquis que les 5000 emplois proviendraient de la Capitale, soit 1.4 % de nos 357 000 emplois.

Dans les faits, ce sera moins.

Une partie des emplois proviendront de Montréal et d’autres seront créés en région, ce qui réduira d’autant le nombre de transferts.

Environ la moitié des 62 900 emplois actuels dans la fonction publique sont basés à Québec, 20 % à Montréal et 30 % en région. S’ajoutent 49 500 emplois dans une quinzaine d’organismes publics qui ont aussi ciblé dans le plan de transfert.

Il va de soi que les emplois déjà offerts en région vont y rester, ce qui veut dire que les transferts viendront de Québec et de Montréal.

Si on applique la même proportion que pour les emplois actuels (excluant ceux des régions), ça donnerait 3500 emplois en provenance de Québec et 1500 de Montréal.

Mois que les 5000 évoqués par la Chambre de commerce donc.

Pour ses calculs, la Chambre a utilisé un salaire moyen de 51 399 $. Comme ce sont surtout des emplois de professionnels qui seront transférés, il serait plus juste de parler de salaires moyens de 62 000 $.

Ces précisions sur le nombre de transferts réels et sur le montant des salaires ne changent pas pour l’essentiel l’ordre de grandeur évoqué par la Chambre de commerce.

Le plan de régionalisation privera l’économie de Québec de revenus de quelques centaines de millions de dollars par année.

***

Le Conseil du Trésor parle d’un impact «mineur». C’est possible, mais le mot «mineur» est tout relatif. Ce qui est mineur pour les uns ne l’est pas nécessairement pour d’autres. J’aurais préféré voir de vrais chiffres.

Je n’ai pas réussi à en obtenir et le Plan de régionalisation rendu public la semaine dernière n’en touche pas un mot non plus. J’ai compris que la Chambre de commerce avait aussi demandé (en vain) à voir l’analyse du gouvernement.

En 1998, le gouvernement du Québec avait institué une «clause capitale» pour tous les mémoires soumis au conseil des ministres.

Cette clause obligeait le Conseil du Trésor à porter une «attention particulière» à l’impact sur la Capitale de toutes les demandes des ministères et organismes publics. (5)

Je me suis demandé si cette clause existe toujours et si le Plan avait été analysé sous cet angle.

Au moment d’envoyer ce texte, je n’avais pas réussi à obtenir de réponse, ni du Conseil du Trésor ni du cabinet de la ministre responsable de la Capitale Nationale.

Si la clause y est toujours, personne ne semblait le savoir. Cela suggère que ce n’est plus une clause capitale.

---

(1) «Plan gouvernemental de régionalisation de 5000 emplois de l’administration publique», Secrétariat du Conseil du Trésor, 2022, 26 pages.

(2) Matane, Alma, La Malbaie, Shawinigan, Lac-Mégantic, Maniwaki, La Sarre, Baie-Comeau, Gaspé, New Richmond, Thetford Mines, Rawdon, Rivière-Rouge, Sorel-Tracy, Victoriaville.

(3) «Rapport sur le marché locatif, Canada et régions métropolitaines», Société canadienne d’hypothèque et de logement, février 2022.

(4) «Pour des régions économiquement dynamiques», Livre Blanc des chambres de commerce, novembre 2019.

(5) «Au coeur du dynamisme de la capitale nationale», Plan d’action du Secrétariat du Conseil du trésor, 1999, 18 pages.

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