Entendre et écouter ses pleurs

CHRONIQUE / La pandémie de COVID-19 nous a révélé nombre de faiblesses et de craques dans le plancher sociétal, celles qui laissent passer le froid plutôt que la chaleur. Parmi elles, la violence contre les femmes.


Sans grande surprise, de nombreux organismes qui œuvrent auprès des femmes violentées ont vu les pires scénarios se concrétiser. Depuis des années, elles lançaient des cris de détresse : le manque de moyens était – et demeure – criant. En 2020, au Canada, 160 femmes ont été tuées par un conjoint violent. Au Québec, en 2021, elles étaient près de trente à tomber sous les mains d’un homme qui prétendait les aimer. Une sœur, une mère, une fille, une consœur de travail, une proche aidante, une militante, etc.

Au niveau international, l’Organisation mondiale de la santé estime qu’elles sont au moins 35 % à avoir subi de la violence provenant de celui qui prétendait l’aimer. Je reste stupéfait devant tant de haine, de violence, de domination, de possession.



Je sais qu’il y a tant d’autres filles et jeunes femmes, non seulement chrétiennes, mais aussi d’autres confessions, qui sont victimes d’enlèvements, de viols, de conversions et de mariages forcés, non seulement au Pakistan, mais dans de nombreux autres pays du monde. Qui nous aidera ? Qui parlera en notre nom ? Qui se soucie de notre situation ? »

Être femme, donc, être doublement condamnée 

L’électrochoc pandémique aura-t-il enfin pour effet de mieux comprendre ce phénomène pour qu’un jour, soyons optimistes, il soit éradiqué ? Petit à petit, les jalons de la lutte contre ce type de violence sont posés. Au niveau international, l’un d’entre eux est un rapport qui s’intitule Entendez ses pleurs, produit par l’organisation Aide à l’Église en Détresse (AED). Il se penche sur un phénomène méconnu : les cas d’enlèvements, de conversions forcées et de victimisations sexuelles des femmes et des filles chrétiennes.

Chaque année, l’AED reçoit de nombreux témoignages de ses partenaires. Dans six pays en particulier – Mozambique, Nigeria, Pakistan, Irak, Syrie et Égypte –, des cas de violence contre des femmes et des jeunes filles chrétiennes nous sont racontés plus souvent qu’ailleurs.

Un exemple frappant est le Pakistan. Les recherches suggèrent que les chrétiennes pourraient représenter jusqu’à 70 % des femmes et des filles mariées et converties de force. Le « pourraient » rappelle à quel point ce type de recherche est difficile, car il ne peut se baser sur les statistiques d’un recensement ou bien celles d’arrestations liées à ces affaires. En effet, dépendant des régions et des personnes, les autorités ont tendance à traiter ces cas avec une désinvolture certaine, minimisant la situation, ou pire, ne retenant aucune charge contre les criminels.



L’exemple de Maira Shahbaz – qui signe courageusement/héroïquement l’avant-propos du rapport – représente bien cette situation. À l’âge de 14 ans, elle a été enlevée, torturée et violée, mariée de force et soumise à des travaux forcés. Elle a réussi à s’échapper et à porter plainte, mais sans qu’aucune accusation ne soit portée contre l’agresseur. Pire : aujourd’hui âgée de 16 ans, elle, ainsi que sa famille, doivent se cacher pour échapper à la vindicte populaire. « Je sais qu’il y a tant d’autres filles et jeunes femmes, non seulement chrétiennes, mais aussi d’autres confessions, qui sont victimes d’enlèvements, de viols, de conversions et de mariages forcés, non seulement au Pakistan, mais dans de nombreux autres pays du monde, écrit-elle. Qui nous aidera ? Qui parlera en notre nom ? Qui se soucie de notre situation ? »

En Irak et en Syrie, les femmes chrétiennes et yézidis ont été vendues comme esclave et concubine, ou bien comme femme de ménage. Lors de son vol vers l’Irak en mars 2021, le pape François a reçu d’un journaliste présent à bord une liste de prix d’esclaves produite par le groupe État islamique. Le prix le plus bas (62 $) concernait les femmes âgées de 50 et 60 ans. Le prix le plus élevé était réservé aux filles d’un à neuf ans (218 $). Des mères de famille, des enfants, des femmes célibataires : si elles étaient chrétiennes ou bien yézidis et qu’elles se trouvaient sur le chemin de l’État islamique, leur vie et leur liberté ne tenaient plus qu’à un fil. Même après la défaite de l’État islamique, certaines manquent toujours à l’appel, plus d’une centaine, selon l’Église locale iraquienne. Le silence n’aide en rien. C’est une chape de plomb que l’Église essaie de briser. En vain : la honte, la peur du jugement, mais aussi les tabous liés aux atrocités qu’elles ont vécues font en sorte qu’on ne parle pas d’elles ou, pour celles qui ont réussi à s’échapper ou bien ont été libérées, qu’elles n’en parlent pas.

Ces cas et des centaines d’autres – voire des milliers – s’ajoutent à tous les cas de violences contre les femmes qui doivent être dénoncés et pour lesquels la société civile doit agir avec fermeté et rapidement. Ce rapport est une petite pierre dans la construction d’un monde meilleur. Car pour mieux lutter, il faut d’abord écouter et entendre ses pleurs.

Une visioconférence présentant le rapport aura lieu le 8 mars prochain, à 17 h. 

Info : www.acn-canada.org.

Mario Bard

Aide à l’église en détresse Canada