Votre première question me rappelle la célèbre réplique « si j’aurais su, j’aurais pas venu », du film « La guerre de boutons ». Car il y a des gens qui, malgré des années de scolarité, n’arrivent pas à employer l’auxiliaire « être » quand ils devraient recourir à « avoir ». Ils et elles se le sont fait répéter des dizaines de fois, mais rien n’y fait : leur discours est toujours truffé de tournures comme « ils ont parti, elle a revenu, ils ont arrivé, je m’ai perdu, je m’ai trompé »...
Profitons donc de votre question pour réviser certains usages.
Vous serez peut-être surpris d’apprendre que, dans trois des quatre cas que vous croyez fautifs, l’auxiliaire retenu est tout à fait correct. Il existe en effet un certain nombre de verbes qui peuvent se conjuguer tantôt avec « avoir », tantôt avec « être », lorsqu’ils sont employés de façon intransitive (sans complément d’objet). Quand l’auteur choisit « avoir », c’est qu’il souhaite insister sur l’action, et s’il opte pour « être », c’est qu’il veut plutôt mettre l’accent sur le résultat de cette action. C’est le cas de « débarquer », « déménager » et « disparaître ».
« Je m’apprêtais à partir quand les voisins ont débarqué avec leur caisse de bières. »
« Désolé, je ne peux plus partir : les voisins sont débarqués avec leur caisse de bières. »
« J’ai déménagé l’été dernier. »
« Je suis déménagé depuis l’été dernier. »
« Quand je me suis retourné, elle avait disparu. »
« Les dinosaures sont disparus depuis des millions d’années. »
Par contre, dès que ces verbes se retrouvent avec un complément d’objet direct (autrement dit lorsqu’ils sont utilisés transitivement, comme vous le mentionnez), on n’a plus le choix : c’est l’auxiliaire « avoir » qu’il faut employer.
« Je suis montée à l’étage. »
« Elle a monté ses affaires à l’étage. »
« Nous sommes passés vous voir, mais vous étiez absents. »
« Il a passé son examen hier. »
« Elle n’habite plus ici, elle est déménagée. »
« J’ai déménagé les meubles de ma voisine. »
Examinons maintenant certains cas particuliers, car même dans les cas où les auxiliaires sont interchangeables, la Banque de dépannage linguistique note certaines tendances.
Paraître, apparaître et disparaître
Même si les deux auxiliaires peuvent être employés avec ces trois verbes, la BDL note que c’est « être » qu’on utilise le plus souvent avec « apparaître », alors qu’« avoir » s’impose plus naturellement avec « disparaître ».
Pourquoi? Hypothèse : en choisissant « être » avec « apparaître », on peut faire une liaison (« il est (t)apparu ») et éviter l’hiatus (« il a apparu ») aux deuxième et troisième personnes du singulier. Mais la BDL faire remarquer qu’au Québec, de nombreux locuteurs préfèrent recourir à « être » quand ils conjuguent « disparaître ».
« Il est apparu [ou “il a apparu”, plus rare] soudainement à la fenêtre. »
« Mon argent avait disparu [ou “était disparu”] de mon portefeuille. »
Quant à « paraître », on opte généralement pour « avoir » lorsqu’il est synonyme de « faire semblant, avoir l’air », alors que l’usage est plus hésitant quand ce verbe signifie « se présenter, se montrer » en parlant d’une personne.
« Elle m’a paru fatiguée. »
« Il n’est pas paru publiquement depuis des années. »
Mais lorsqu’il est question d’une publication, on retourne à la même règle de base : « avoir » pour l’action, « être » pour l’état.
« Cet article a paru dans l’édition de la semaine dernière. »
« Il y a plusieurs mois que cette information est parue dans les journaux. »
Demeurer
Avec « demeurer », on emploie « avoir » lorsqu’on veut dire « habiter, résider, vivre, loger », et « être » quand « demeurer » est synonyme de « rester ».
« J’ai demeuré 20 ans à Québec. »
« Elle est demeurée à sa place toute la matinée. »
Monter
Dans le cas de « monter » employé intransitivement (sans COD), on utilise majoritairement « être », sauf lorsqu’il est question d’un niveau ou d’un prix, où « avoir » se rencontre plus souvent.
« Elle n’est pas montée à bord de l’avion. »
« Le niveau de la rivière a monté pendant la nuit. »
« Les prix du lait et de l’essence ont beaucoup monté récemment. »
Tomber
De nos jours, le verbe « tomber » est presque exclusivement accompagné de l’auxiliaire « être ». Mais ça n’a pas toujours été le cas. Auparavant, on recourait à « avoir » encore une fois lorsqu’on souhaitait insister sur l’action. Aujourd’hui, cette forme est considérée comme désuète. Il peut arriver que le verbe « tomber » se retrouve avec un complément d’objet direct (et commande donc l’auxiliaire « avoir »), mais ces tournures sont tellement rares ou familières (« tomber la chemise » pour « enlever un vêtement », « tomber une personne » pour « séduire ») que cela ne vaut presque pas la peine d’en parler.
***
Quant à votre deuxième question, la Banque de dépannage linguistique nous explique que, si la radio est un média exclusivement audio, la télévision et le cinéma, eux, sont des médias audiovisuels : on les regarde, mais on les écoute aussi. Certes, « regarder » est le verbe consacré et il est beaucoup plus courant, mais « écouter » n’est pas fautif. D’ailleurs, des expressions tout à fait correctes en télé comme « cotes d’écoute », « chiffres d’audience », « auditoire », « heures de grande écoute » ne font-elles pas référence à l’ouïe?
Les deux verbes sont donc acceptés. Par contre, il est presque certain que vous emploierez « regarder » ou « écouter » dès que votre vue ou votre ouïe seront dérangées.
« Taisez-vous! J’écoute la télévision! »
« Excusez-moi! Pouvez-vous retirer votre chapeau? Cela m’empêche de regarder le film. »
Perles de la semaine
L’industrie minière peut dormir sur ses deux oreilles : la relève est là!
« Le métal le plus dur de tous est l’ébène. »
« La bauxite n’est autre que le minaret d’aluminium [minerai]. »
« Le soufre prend feu facilement : il est très comestible [combustible]. »
« Le neptunium est extrait de la planète Neptune. »
« Le sel vient de la mer, ou alors des mines, où l’on fait son abstraction [extraction]. »
Sources : « Le sottisier du bac », Philippe Mignaval, Hors Collection, 2007 et
« Le sottisier du collège », Philippe Mignaval, Éditions Points, 2006.
Questions ou commentaires?
steve.bergeron@latribune.qc.ca