Chronique|

Camionneurs, Ostrogoths et cie

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CHRONIQUE / Aujourd’hui, je vous propose une chronique en deux temps, mais sur des sujets somme toute très similaires. Je veux vous parler du convoi de camionneurs, mais juste avant j’aimerais glisser un mot ou deux sur Stéphanie Harriot, la propriétaire de la pâtisserie Vite des péchés, à Jonquière, qui a décidé de braver les consignes sanitaires en ouvrant sa salle à manger au public avant même que cela ne soit permis par le gouvernement. Que doit-on penser d’une telle démarche? Est-ce légitime de faire entendre son mécontentement en désobéissant ouvertement à la loi?


Historiquement, la désobéissance civile a été mise en œuvre par certains illustres personnages comme Gandhi, Martin Luther King et Nelson Mandela. Loin de moi l’idée de comparer madame Harriot avec ces géants de l’histoire, mais il n’en demeure pas moins que le principe est le même, à savoir le refus assumé et public de se soumettre à une loi ou un règlement jugé inique par celles et ceux qui le contestent. Autrement dit, il s’agit d’exposer ses doléances de manière forte (active), mais pacifique, en refusant de coopérer avec un pouvoir que l’on considère comme illégitime.

Évidemment, une telle démarche peut engendrer des conséquences (amende, emprisonnement, etc.), mais cela fait aussi partie du processus. En acceptant d’être sanctionnée publiquement pour son acte de transgression, la personne cherche à mettre en lumière l’absurdité ou l’immoralité de la loi ou du pouvoir en place. Quoi qu’on puisse en penser, cette démarche a donc le mérite de susciter la réflexion et le débat dans une société qui en a bien besoin. En ce sens, je suis d’avis que l’initiative de madame Harriot était certainement pertinente, ou à tout le moins légitime.



Maintenant, parlons des camionneurs et du «convoi de la liberté». Cela ne surprendra personne si je dis que je suis en profond désaccord avec la plupart de leurs revendications. Néanmoins, je reconnais ici aussi la légitimité de leur démarche et je déplore les moqueries et le mépris dont ils ont été l’objet. Certes, il y avait dans le lot quelques drôles de spécimens, mais évitons les généralisations et les amalgames faciles. Réduire cette manifestation à un rassemblement d’anti-vaccins et d’anti-science, comme l’a fait Justin Trudeau, est bien en deçà de la vérité et ne sert aucunement le débat public.

Que l’on soit d’accord ou non avec eux, force est de reconnaître que les camionneurs ont su canaliser les préoccupations et le ras-le-bol d’une part non négligeable de la population. Ne serait-ce que pour cette raison, je crois que leur initiative aurait mérité un peu plus de respect et de considération, notamment de la part de la classe politique. À ce propos, je déplore profondément l’attitude de Justin Trudeau, dont les propos n’auront finalement servi qu’à alimenter le cynisme et la division. Je ne m’attendais évidemment pas à ce qu’il donne raison aux manifestants, mais il aurait tout de même pu faire preuve d’un peu plus d’ouverture et d’empathie. Quand des gens prennent la peine de parcourir des milliers de kilomètres pour venir manifester, ce n’est certainement pas que pour «rouspéter».

Dans le même ordre d’idée, et au risque de vous surprendre, je dois dire que j’ai ressenti un malaise similaire lorsque Justin Trudeau (encore lui) a traité les fêtards du vol de Sunwing d’Ostrogoths. Sur le coup, j’ai trouvé ça drôle, mais après je me suis demandé s’il était approprié qu’un premier ministre s’adresse ainsi à ses propres citoyens. Selon moi, la réponse est non. Qu’on me comprenne bien, je ne cherche pas à excuser les fêtards ni à cautionner leurs gestes, mais je ne suis cependant pas convaincu que cela méritait une telle répudiation publique. Du moins, pas de cette façon.

Tout cela me semble symptomatique d’une société qui est devenue de plus en plus incapable de réfléchir et de débattre calmement. Non sans raison, nous sommes individuellement et collectivement à bout de souffle et nous nous cherchons parfois des coupables. Dans ce contexte, les voyageurs-influenceurs, les camionneurs et les non-vaccinés sont devenus des cibles toutes désignées et la tentation est forte de leur taper dessus afin d’exorciser nos démons. Moi-même, je me suis parfois laissé prendre au jeu. Mais, en fin de compte, est-ce vraiment utile et constructif?

Au-delà des désaccords, je crois qu’il serait temps que nous réapprenions à nous parler, et plus encore à nous respecter. Personnellement, je ne suis pas d’accord avec les camionneurs et avec madame Harriot, mais je reconnais leur droit à la dissidence et leur liberté d’expression. J’irais même plus loin en les remerciant de nous donner l’occasion de réfléchir et de débattre à propos d’enjeux aussi importants que la gestion de la pandémie et le bien-fondé (ou non) de certaines mesures sanitaires. Ainsi, en mettant de côté nos préjugés et les éléments les plus radicaux présents dans chaque camp, je demeure confiant que nous puissions rétablir les ponts et retrouver un climat social plus acceptable.