C’est un passage obligé du primaire : l’enseignant ou l’enseignante nous demande de conjuguer le verbe « faire » au présent de l’indicatif. Dans mon cas, elle l’avait demandé à toute la classe en même temps :
« Je...
— ...fais !
— Tu...
— ...fais !
— Il...
— ...fait !
— Nous...
— ...faisons !
— Vous...
— ...faisez !
— Vous faisez, vraiment ? »
Évidemment, tout le monde tombait dans le panneau. En tout cas, dans ma famille, j’entendais plus souvent des « qu’est-ce que vous faisez ? » que des « qu’est-ce que vous faites ? » (ça a changé depuis). Je n’ai pas été élevé à l’Académie française, et c’est la bonne vieille langue québécoise populaire qui se parlait à la maison.
Donc, le plus souvent à l’école, mais parfois aussi par nos parents, nous avons appris à dire « vous faites » et « vous dites ». Ça ne signifie pas qu’on ne trébuche jamais, car c’est la terminaison en « -ez » qui serait la plus logique dans ce contexte, mais on finit par s’y faire et à l’intégrer dans son langage (quoique certaines personnes n’y arrivent jamais, ça ne leur entre tout simplement pas dans la tête).
Mais vous êtes-vous déjà demandé d’où elle venait, cette satanée exception ?
Je vais vous donner un indice par le truchement d’un bon vieux cantique de Noël : « Adeste fideles [...] / Venite venite in Bethleem / Natum videte [...] / Venite adoremus. »
Et si je vous disais que tous les mots qui se terminent en « -te » dans cette chanson en latin se traduisent respectivement par « accourez », « venez » et « voyez » ?
Vous avez bien compris : « faites » et « dites » sont des descendants de la forme impérative des verbes « facere » (« facite ») et « dicere » (« dicite »).
Pourquoi ont-ils ainsi percolé en français ? On pense simplement que, étant donné que ces verbes étaient le plus souvent utilisés oralement à l’impératif (« faire » et « dire » sont des verbes extrêmement usités), ce dernier a fini par prendre la place de l’indicatif. On s’appuie notamment sur le fait qu’un phénomène similaire s’est produit avec l’italien, dans toutes les conjugaisons.
Maintenant, le problème avec ces deux exceptions, c’est qu’elles en ont créé d’autres. Pas avec « faire », car tous ses dérivés suivent la même conjugaison. On écrit donc « vous défaites », « vous refaites », « vous contrefaites », « vous satisfaites », etc.
Mais avec « dire », c’est l’apocalypse ! Certes, on écrit « vous redites », mais on écrira plutôt « vous vous dédisez », « vous interdisez », « vous contredisez », « vous prédisez », « vous médisez »... Fou, n’est-ce pas ?
Et imaginez-vous donc qu’il y a une exception à ces exceptions : « maudire », qui se conjugue sur le modèle de « finir » (« vous maudissez »)... sauf (on en est au quatrième niveau d’exception) son participe passé, qui revient se mouler au verbe « dire » (« maudit, maudite »).
***
Une dernière chronique en rappel, cette fois du 17 juin 2017, et intitulée « Voir double, c’est pas simple ». Je vous retrouve le week-end prochain pour de nouvelles chroniques.
Les consonnes doubles, je ne vous apprendrai rien, sont la bête noire de bien des gens en français. C’est vrai que la logique est royalement bafouée lorsque certains mots de la même famille prennent tantôt une consonne simple, tantôt une consonne double. C’est le cas, notamment, de « pomme » et de « pomiculteur ».
Parfois, l’anglais vient aussi nous compliquer la vie. Ainsi, il faut se rappeler qu’il y a deux d à « address » mais un seul à « adresse ».
Tiens ! Faisons un petit jeu-questionnaire. Dites-moi si ces mots sont orthographiés en français ou en anglais : « traffic », « giraffe », « courrier », « haggard », « aggression », « lotto », « millionnaire ». Réponses à la fin.
Même quand la logique est respectée, certaines personnes restent étanches aux consonnes doubles. Par exemple, s’il y a un sujet dont on a longuement parlé ces dernières années, ce sont bien les accommodements raisonnables. Malgré cela, des gens continuent d’écrire « accomodement ». Pourtant, personne n’écrit qu’une chose n’est pas « comode » ni qu’il ou elle vient de s’acheter une nouvelle « comode » pour sa chambre. Le rapprochement entre ces mots de même famille ne semble pas se faire.
Les consonnes doubles sont un des problèmes auxquels les rectifications orthographiques de 1990 se sont attaquées. Ces changements n’ont pas tout réglé, mais vous seriez quand même surpris du nombre d’incongruités qui ont disparu.
Par exemple, saviez-vous que, selon l’orthographe traditionnelle, nous devrions écrire « persifler », « interpeller », « combatif », « boursouflure », « imbécillité », « innomé », « chausse-trape » et « chariot » ?
Pensez-y : pourquoi deux f à « souffler », mais pas à « boursouflure » ? Pourquoi deux r à « charrette » et « charrue », mais pas à « chariot » ? Pourquoi deux l à « imbécillité » et non à « imbécile » ? Pourquoi on nomme une personne, sinon elle reste innomée ? On peut appeler quelqu’un... mais il faudrait l’interpeller ?
La « réforme » a ainsi corrigé quelques-uns de ces illogismes. On la critique quand même parce que les motifs ne sont pas constants. Par exemple, on n’a pas voulu doubler le m de « pomiculteur » sous prétexte que l’étymologie du mot « pomme » est « pomum » et que « pomiculteur » la respecte. Par contre, « imbécile » vient d’« imbecillus ». Si on avait suivi la même logique, on aurait dû ajouter un l à « imbécile » et non en enlever un à « imbécillité ».
Bref, on sent que, parfois, les décisions ont été prises en fonction non pas de l’étymologie, mais de la perception que pourrait avoir le public (imaginez le scandale si on nous avait dit qu’il faudrait désormais écrire « une pome »).
Les réponses de mon petit jeu ? Seuls les mots « courrier » et « millionnaire » requièrent des consonnes doubles en français. Pour tous les autres, ce sont des consonnes simples (les autres mots de la liste sont donc écrits en anglais). Dans la langue de Shakespeare, on écrit « courier » et « millionaire », avec des consonnes simples.
Perles de la semaine
Quelques mémorables citations de l’année 2021, encore une fois captées par le « Bêtisier » d’Olivier Niquet à Ici Première. Reconnaîtrez-vous leurs auteurs et autrices ?
« Don’t forget that in April, don’t te découvre pas d’un fil. »
« C’est là qu’on va recevoir des quantités faramoniques de Pfizer et de Moderna. »
« J’ai pas besoin d’un passeport vaccinal : j’ai juste besoin d’une attestation que je suis vaccinée. »
« Je pense que le mot dictature est utilisé dans un sens figuré, qui est accepté dans la langue française en vertu de t’sais j’veux dire... »
« Le Canada est un pays où nos processus judiciers sont transparents. »
Questions ou commentaires ?
steve.bergeron@latribune.qc.ca.