C’est ce que conclut la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire dans son rapport étoffé de 70 pages déposé mardi matin, en plus de 150 pages d’annexes.
Présidée par l’ancien député péquiste Alexandre Cloutier, mandaté en mars par le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) et sa ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, la Commission émet cinq avis et autant de recommandations.
On demande en premier lieu au gouvernement de faire adopter une loi sur la liberté universitaire, où on devra entre autres «consacrer l’autonomie universitaire et la liberté universitaire comme des conditions essentielles à l’accomplissement de la mission de l’université».
La liberté universitaire y serait définie et on saurait à qui elle s’applique, a expliqué M. Cloutier, lors d’une conférence de presse tenue à Québec où il était accompagné des quatre autres commissaires qui signent le rapport avec lui.
«Il faut avoir une seule définition de la liberté universitaire et elle devrait être la même pour tout le monde. On ne peut pas avoir six définitions de la liberté universitaire au Québec», a exprimé le président de la Commission, insistant sur le fait que tout le territoire québécois devra être soumis à cette même loi, sans exception.
«Il n’existe pas de droit de ne pas être offensé», a-t-il ensuite résumé, faisant référence à la récente décision de la Cour suprême en faveur de l’humoriste Mike Ward contre Jérémy Gabriel.
«Traumavertissements» pas obligatoires
Le rapport édicte que les enseignants ne peuvent pas se faire imposer d’avertir leurs élèves que certains contenus controversés ou même traumatisants seront présentés, ce que la Commission nomme des «traumavertissements».
Les universités «peuvent toutefois prévoir des espaces spécifiques afin de permettre aux étudiantes et étudiants d’exprimer leurs préoccupations et de discuter librement entre eux, sans jugement et sans crainte d’être offensés», ajoute-t-on.
M. Cloutier donne en exemple le pavillon de la culture des peuples autochtones Nikanite de l’Université du Québec à Chicoutimi, où il est vice-recteur aux partenariats, aux affaires internationales et autochtones.
Cette loi forcerait de plus chaque établissement à se doter d’une politique sur la liberté universitaire et d’un comité dont le mandat consistera à entendre les litiges sur la liberté universitaire.
Alors que l’année électorale s’amorce, qu’il ne reste qu’une session parlementaire avant la campagne et que le premier ministre François Legault avait lui-même indiqué ne pas pencher vers l’adoption d’une nouvelle loi dans ce dossier, que ce se passera-t-il si aucune loi n’est adoptée?
«À mon avis, on va nager dans la confusion, dit M. Cloutier. Tant qu’il n’y aura pas une définition arrêtée de la liberté universitaire et qu’il n’y aura pas de mécanisme applicable dans chacune des institutions, tout le monde va être pour la tarte aux pommes. D’ailleurs, c’est ce qu’on a constaté dans nos travaux, tout le monde est pour la liberté universitaire. Mais ça se complexifie quand vient le temps de dire ce que ça veut dire et comment on la met en application. C’est à ces deux questions qu’on essaie de répondre.»
Oui au mot en N
Confusion vue lors de situations récentes, comme l’utilisation du mot en N par des professeures en classe dans les universités Concordia, à Montréal, et d’Ottawa, en Ontario.
«Il n’y aurait rien eu, d’emblée [dans un établissement du Québec]. On dit que la liberté universitaire, c’est le droit d’aborder tous les sujets, tous les mots, dans une logique de respect de la mission de l’université. Mettons que des étudiants se seraient plaints, ils auraient eu à se tourner vers un comité. Le comité aurait regardé la loi et aurait dit que la loi permet de le faire. Donc, ce serait mort là», a répondu M. Cloutier, appuyant sur un contexte de respect nécessaire.
Le président de la Commission ne craint pas que cette future loi soit taxée d’anti-woke, du récent mouvement associé à une hypersensibilité aux droits des minorités. Il y voit même un argument de vente à l’international pour les universités québécoises.
«La loi va être la célébration de la libre circulation des idées au Québec et risque d’être un modèle à travers le monde! On peut même penser que ça va devenir un attractif pour d’autres étudiants de venir étudier au Québec, parce qu’ils vont savoir qu’ils ont le droit de s’exprimer librement en classe», ajoute-t-il.
Pas une partie de Scrabble
Yves Gingras, l’un des commissaires et professeur au Département d’histoire à l’Université du Québec à Montréal, a bien signifié ce que la loi souhaitée par la Commission permettrait. «En réaffirmant le droit d’apprendre veut dire que dans un cours de science politique dans lequel tu parles de Pierre Vallières, tu ne peux pas ne pas dire que son livre s’appelle Nègres blancs d’Amérique. C’est une part du savoir. Tu ne peux pas le dire en d’autres mots, ce n’est pas une partie de Scrabble», a illustré M. Gingras.
Par communiqué, la ministre McCann dit accueillir «avec beaucoup d’intérêt les recommandations de la Commission. Nous allons les analyser et rapidement rendre publiques les intentions de notre gouvernement à cet effet. Les audiences publiques, les mémoires et les témoignages confirment les préoccupations de la communauté universitaire à l’égard de cet enjeu, et je les entends. C’est un principe qui m’est cher».
Soulignons que la Commission a sondé sur la question 1079 membres du corps professoral des universités québécoises, tandis que 992 membres de la communauté étudiante ont participé à une table ronde en ligne. Cinq journées d’audiences publiques ont été tenues fin août et 46 mémoires ont été déposés.
Élargies aux cégeps?
La Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ–CSN), qui représente 85 % des chargées et chargés de cours universitaires, déplore que la Commission n’aborde pas la précarité d’emploi des chargés de cours, qui donnent entre 50 à 60 % des cours universitaires.
«Face à l’absence de réelles protections du lien d’emploi, les personnes chargées de cours restent vulnérables face aux plaintes étudiantes et vont plus difficilement choisir d’aborder des sujets complexes en classe, même si ceux-ci sont jugés importants pour l’avancement de nos savoirs», a commenté par communiqué la vice-présidente de la FNEEQ, Christine Gauthier.
La FNEEQ demande de plus que les recommandations soient aussi appliquées aux cégeps.