Les deux camps ayant atteint une forme d’équilibre, c’est l’arrivée des premiers navires de guerre qui pouvait faire pencher la balance. Le sort a voulu qu’une frégate britannique, suivie par une deuxième, ainsi qu’un vaisseau arborant les mêmes couleurs, apparaissent sur le fleuve. Lévis a dû lever le siège de Québec, prélude à la capitulation officialisée par le gouverneur Vaudreuil, le 8 septembre 1760.
Attendre, c’est aussi ce que fait notre région depuis tant d’années, eu égard aux projets d’expansion de Rio Tinto. Entre autres choses, on souhaite l’agrandissement de l’aluminerie d’Alma et la modernisation du Complexe Arvida, dont la vie utile arrivera à son terme en 2025. Longtemps, la multinationale aura invoqué les conditions du marché pour éviter de se commettre. Le prix du métal gris n’était jamais assez haut.
Puis, l’embellie est survenue, tellement soutenue que les dirigeants ont adopté un ton plus nuancé. Il n’en fallait pas davantage pour que le gouvernement Legault saisisse la balle au bond. Sa volonté de faire bouger les choses n’a jamais été aussi manifeste que mardi, lorsque le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, a levé le voile sur sa Stratégie québécoise de développement de l’aluminium.
Il a dégagé une enveloppe de 475 millions $ à l’échelle de la province, mais clairement, une tranche substantielle sera canalisée au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Stimuler la recherche. Soutenir des projets structurants. Susciter des investissements d’envergure en s’appuyant sur le virage vert de l’industrie. Ces objectifs témoignent de l’ampleur de ses ambitions, qui seront concrétisées au moyen de prêts et de subventions.
Mercredi, c’était au tour de Rio Tinto de s’exprimer. Elle a confirmé une intention énoncée pour la première fois en 2019. Grâce à un investissement de 110 millions $, l’usine-pilote AP60 du Complexe Jonquière accueillera 16 nouvelles cuves d’ici la fin de 2023 (il y en a 38, à l’heure actuelle). Du même coup, 12 emplois seront créés et on en consolidera une centaine.
La vraie nouvelle est que Sébastien Ross, directeur par intérim des opérations Atlantique, situe ce projet dans un contexte de transition. C’est pourquoi la multinationale réalisera bientôt une étude préliminaire. Elle pourrait mener à l’ajout d’un nombre de cuves beaucoup plus important.
« On se donne six mois, maximum, pour conclure sur l’étude », a précisé Sébastien Ross, sans ouvrir son jeu davantage. C’est donc là que nous sommes rendus, un pied dans le présent et l’autre en suspension, puisque rien n’est garanti. De nouvelles déceptions pourraient suivre, ce qui rend l’attente aussi inconfortable que le fut celle de nos ancêtres. Après tout, l’enjeu est majeur : la place qu’occupera l’aluminium dans l’économie de cette région.
Cette semaine, il était normal de céder à l’euphorie du moment, comme l’ont fait certains élus, ou de succomber aux charmes équivoques du fatalisme. Les deux nous vont si bien. Comme en toutes choses, cependant, la meilleure attitude consiste à pratiquer ce qu’on appellera, faute de mieux, l’attente vigilante. Une pratique dans laquelle sont passés maîtres les syndicats du secteur de l’aluminium.
Encore cette semaine, leurs représentants ont affiché un sain scepticisme, tout en trouvant matière à se réjouir dans les annonces effectuées par le gouvernement et Rio Tinto. Gardant le cap sur leur étoile polaire, les emplois et la pérennité de l’industrie chez nous, eux aussi rêvent de voir plein de bateaux dans nos eaux. Des bateaux chargés de bauxite et de lingots.