Me Fradette a qualifié le style d’interrogatoire mené par le policier Éric Gauthier de « pire que dans District 31 », estimant qu’on a violé son droit de garder le silence et discrédité son avocat pour tenter d’obtenir des aveux.
« Je ne peux pas laisser passer ça. Ça porte ombrage au travail des enquêteurs de la Sûreté du Québec et leur crédibilité est remise en question », a dit, en entrevue, le président du syndicat des policiers.
Selon le policier qui est lui-même enquêteur, ce n’est pas vrai qu’on doit arrêter de poser des questions dès que l’individu invoque son droit au silence. « Il y a des limites que nous imposent les tribunaux, mais on a le droit d’insister et de tenter d’obtenir des aveux. On a une marge de manœuvre avant que tout ça devienne une détention illégale. Ce n’est pas après le premier refus de parler. »
Dominic Ricard estime que l’interrogatoire peut aussi permettre à un suspect de s’innocenter et aiguiller les enquêteurs sur une autre piste. « C’est le travail que la population attend de nous. Pour résoudre des crimes, il faut poser des questions, mais certains ne parleront jamais et on respecte leurs droits. »
Selon lui, le procureur des poursuites criminelles et pénales connaît bien le droit et n’hésiterait pas à retirer des accusations s’il devait constater que ceux d’un individu n’ont pas été respectés. « Ça s’est déjà vu. »
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Lors des travaux de la cour, Me Fradette s’est interrogé sur la formation continue des policiers pour que leurs méthodes respectent les jurisprudences des tribunaux. « Ça faisait partie de notre mémoire présenté au Comité consultatif sur la réalité policière (créé par la ministre de la Sécurité publique Geneviève Guilbault en décembre 2019 et dont le rapport a été présenté en mai dernier) où nous avons demandé que les policiers, quelle que soit leur fonction, qu’ils soient gendarmes ou enquêteurs, aient de la formation continue obligatoire. »
Le comité a décidé que ce serait 30 heures par année, tout ça sous la supervision de l’Institut national de police.
« La société évolue, le droit évolue, les décisions des tribunaux fixent nos balises et on fait des mises à jour. »
Dans sa plaidoirie, Me Fradette a pointé l’insistance du policier à aborder la question du suicide avec l’athlète almatois. Sans en connaître tous les détails, Dominic Ricard affirme qu’il n’y a là rien d’inhabituel. Que ça fait partie du travail du policier de s’assurer que le suspect qu’il a devant lui n’a pas des idées noires.
« Même si toute comparaison est boiteuse, il y a des crimes pires que les autres. Être accusé d’un crime sexuel, quand tu n’as jamais eu affaire à la justice, ça peut avoir des conséquences graves. On a vu aussi des personnes accusées à tort, on a vu ça chez des professeurs. Un professeur ayant une bonne réputation et accusé à tort pourrait décider de poser un geste irréparable. On doit donc s’assurer que la personne va bien et quand elle ne parle pas, c’est difficile de voir à quoi elle pense, si elle a des idées noires. Si on n’est pas rassuré, on ne peut pas la laisser partir. »
Cette plaidoirie, affirme M. Ricard, déconsidère le travail des policiers « et je ne peux pas me permettre ça ».
C’est l’argument sur lequel repose la plaidoirie que Me Jean-Marc Fradette a présentée au juge Pierre Simard, jeudi matin, pour justifier l’arrêt des procédures en faveur d’Yvan Truchon. « Il faut mettre la société à l’abri des gens comme ça [les interrogateurs de la SQ]. La réalité dépasse la fiction, c’est pire que District 31 ! »
Selon l’avocat, cette technique, la méthode Reid, ne respecte par le droit fondamental au silence et de ne pas s’incriminer, allant même jusqu’à violer le droit à l’avocat en dénigrant les conseils que celui-ci donne à son client.
Le meilleur exemple, selon Me Fradette, se trouve dans la question posée par l’enquêteur Éric Gauthier à Yvan Truchon, lorsqu’il lui demande : « Yvan Truchon est-il un prédateur sexuel ou un homme qui a trébuché une seule fois ? Si je remets Yvan Truchon en liberté, est-ce que je mets dans la rue un homme qui va violer une fille de 16 ans sur le trottoir ? »
« Par cette question, il laisse entendre à Yvan Truchon que pour être libéré, il doit dire qu’il a fait une erreur. Une seule. Il doit s’incriminer. Il ne lui offre pas la possibilité de dire qu’il est innocent. Son seul but c’est d’obtenir des aveux. »
Cette technique, ajoute Me Fradette, met une pression en créant un état d’anxiété, grâce à l’alternance entre la minimisation et la maximisation du crime.
« Quand on lui parle de Guy Cloutier, on lui dit : “Tu vois, ce que tu as fait n’est pas si grave. Raconte-nous ce qui s’est passé”. Après, on lui demande s’il est un prédateur sexuel et on lui parle de suicide. On monte la pression », a plaidé l’avocat lors d’une plaidoirie qui a duré tout l’avant-midi.
En introduction, le criminaliste avait tenu à mentionner que la décision que devra prendre l’honorable Pierre Simard aura certes une incidence sur l’avenir d’Yvan Truchon, mais qu’elle touche l’ensemble des citoyens canadiens qui pourraient, un jour ou l’autre, voir leurs droits bafoués dans une salle d’interrogatoire de la police.
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« Les tribunaux sont le rempart de l’État contre ces attaques aux droits constitutionnels au nom d’une prétendue résolution de crimes. L’État est fort et a des pouvoirs quasi illimités pour priver les citoyens de liberté, et le droit à l’avocat est un contre-balancement de ces énormes pouvoirs. »
Pendant près de trois heures, l’avocat a tenté de fournir tous les exemples de la tentative du policier Éric Gauthier d’obtenir des aveux coûte que coûte, malgré la volonté évidente de l’accusé à garder le silence.
« Au bout de 15 minutes, il savait qu’Yvan Truchon ne parlerait pas. Mais ça dure 90 minutes de plus. À partir de ce moment, sa détention était illégale. Et il ose dire que c’est parce qu’il s’inquiétait de son état psychologique en raison de son silence ! »
« C’est parce qu’il s’inquiète pour son état psychologique qu’il lui dit qu’il se comporte comme un enfant de 10 ans ? Qu’il lui dit que ses mains sentent le caca ? C’est parce qu’il s’inquiète pour son état psychologique qu’il l’attaque en lui demandant s’il est dangereux pour ses petits-enfants? Ça, monsieur le juge, c’est pernicieux. C’est une horreur, dire ça à quelqu’un. »
Selon Me Fradette, il y aurait eu un moyen très facile de s’assurer du bien-être psychologique d’Yvan Truchon : lui dire qu’il serait remis en liberté sous conditions après l’interrogatoire. « Mais quand je lui ai posé la question, il m’a répondu qu’il ne lui a pas dit parce qu’il ne le lui avait pas demandé. Il aurait fallu que la souris prise au piège demande de partir ! »
Le policier, selon l’avocat, tente sans cesse de lui faire renoncer à son droit au silence en alternant les stratégies. Ainsi, il lui dit qu’il veut l’aider. Il utilise une métaphore, une petite embarcation (lui) qui va croiser l’immense vague faite par un paquebot (l’enquête de la SQ) : « Vas-tu saisir la main que je te tends ou te laisser submerger par la vague ? »
« Il lui dit laisse-moi t’aider. Est-ce que c’est le comportement d’un policier qui se soucie de l’accusé ou plutôt qui cherche à augmenter la charge psychologique pour obtenir des aveux ? Si ça, c’est pas une menace... »
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Rappel à l’ordre
Depuis 2016, a ajouté Me Fradette pour conclure sa plaidoirie, de nombreux juges de la région ont rendu des décisions sur l’importance du droit à l’avocat (qui ont mené à plusieurs acquittements, surtout en matière de facultés affaiblies) en conformité avec une décision de la Cour d’appel de l’Ontario, et les policiers de la SQ ne peuvent l’ignorer dans leurs pratiques.
Or, ils le font et ont dit qu’ils le feraient tant qu’un tribunal ne les rappellerait pas à l’ordre, ce que l’avocat demande pour son client. « Parce que les policiers disent “tout va bien, madame la marquise”, vous êtes en mesure d’envoyer un message et vous dissocier de ces comportements-là. C’est un comportement méprisant pour les droits d’un citoyen et votre décision doit être une dénonciation claire du tribunal de cette façon de faire, et si ça amène un changement de la part de la SQ pour certains aspects, tout le monde est gagnant. Il faut dire que l’histoire d’Yvan Truchon est un comportement qu’on ne veut plus voir chez les policiers. »