Dernièrement, avec le dépôt du rapport d’enquête de la coroner sur la mort de Joyce Echaquan, il a beaucoup été question du racisme systémique au Québec. Le débat s’est transporté jusqu’à l’Assemblée nationale et les partis politiques ont eu l’occasion d’exposer leur point de vue. De son côté, le premier ministre François Legault a choisi de s’enfermer dans le déni, affirmant vouloir protéger «nos valeurs» et éviter un procès en racisme contre les Québécois. Cette prise de position est d’autant plus déplorable qu’elle repose selon moi sur une mauvaise compréhension du concept de racisme systémique. Mais qu’est-ce que le racisme systémique, justement?
D’entrée de jeu, il est bon de rappeler que le racisme systémique ne signifie pas que tous les Québécois sont racistes, mais simplement qu’il existe dans la société québécoise divers facteurs sociologiques, tels les normes sociales et des rapports de pouvoir, qui tendent à favoriser ou à défavoriser certains individus en fonction de leur origine ethnique. Le racisme systémique fait donc référence à une forme de discrimination basée sur des relations inégalitaires socialement construites. Cette discrimination étant par ailleurs le fruit de processus historiquement ancrés, il sera forcément long et difficile de corriger les souffrances et le sentiment d’humiliation qu’elle génère chez celles et ceux qui en sont victimes.
Certes, en matière de lutte contre le racisme et la discrimination, le Québec a accompli de fabuleux progrès dans les dernières décennies, mais il n’en demeure pas moins que des problèmes subsistent. Il n’y a rien de honteux à le reconnaître. Mais pour y parvenir, il faut d’abord se sortir de la tête la vieille définition du racisme, laquelle consiste à prétendre que certaines «races» seraient intrinsèquement supérieures à d’autres. De nos jours, le racisme arbore un visage bien différent, sous une forme beaucoup plus subtile et pernicieuse faite de stéréotypes, de préjugés et de biais inconscients.
Est-ce à dire que nous serions tous racistes sans le savoir? Pas exactement, mais cela signifie très certainement qu’en raison de facteurs sociohistoriques sur lesquels nous n’avons individuellement aucun contrôle, certains groupes d’individus sont, aujourd’hui encore, plus susceptibles que d’autres de subir de la discrimination. Le cas des Autochtones en est la triste démonstration. Ainsi, en réduisant le racisme à des attitudes et à des comportements individuels, François Legault omet toute la dimension sociologique du problème. C’est un peu comme s’il croyait que les racistes apparaissent par génération spontanée! Or, les attitudes et les comportements racistes des individus sont le plus souvent issus d’un contexte social plus général.
Prenons l’exemple des musulmans. Comment nier que, depuis les attentats du 11 septembre 2001 à New York, un climat de méfiance généralisée s’est installé à leur égard? Dans l’imaginaire collectif, certaines figures archétypales se sont rapidement imposées, à commencer par celle du musulman belliqueux et conquérant. Sur le plan rationnel, nous savons bien qu’il ne faut pas céder aux amalgames et à la généralisation, mais qui peut sincèrement prétendre échapper totalement à ces biais implicites? On le voit, l’approche systémique du racisme n’implique pas forcément que les individus et/ou les institutions soient ouvertement et explicitement racistes, mais il n’en demeure pas moins que divers facteurs sociohistoriques participent à entretenir les préjugés envers certains groupes d’individus.
En terminant, je ne peux évidemment pas passer sous silence le cas particulier que constitue le Québec. Forcément, on me rétorquera que les Québécois n’ont pas de leçon à recevoir de quiconque, nos ancêtres ayant eux-mêmes été victimes de racisme systémique sous les régimes britannique et canadien. C’est vrai, les Canadiens-français ont bel et bien subi le mépris et les tentatives d’assimilation. Longtemps, ils ont aussi été exclus des postes importants en raison de leur langue et de leur culture. Mais bien que cela puisse en partie expliquer l’hésitation des Québécois face au concept de racisme systémique, il me semble qu’il ne s’agit pas d’une raison suffisante. Et surtout, cela n’exclut aucunement l’existence du racisme systémique au Québec.
Je me plais plutôt à penser que les Québécois ne sont ni pires ni meilleurs que les autres. Globalement, nous sommes un peuple ouvert et tolérant, mais nous n’en sommes pas moins imparfaits. Parfois, il nous arrive de céder un peu trop facilement à la xénophobie. Je suppose que cela nous vient des blessures du passé, ou encore de ce sentiment d’insécurité identitaire propre aux «petites nations». À ce propos, la position de François Legault s’avère particulièrement révélatrice. De son propre aveu, le premier ministre dit craindre que la reconnaissance du racisme systémique ne vienne affaiblir les valeurs et l’unité de la nation québécoise. Je ne partage évidemment pas son appréciation de la situation, mais je crois comprendre ses raisons.
Vu sous cet angle, le débat sur le racisme systémique ressemble davantage à un malheureux quiproquo qu’à une forme de rejet ou d’insensibilité à l’égard de «l’autre». Cela est d’autant plus triste que les Québécois et les Autochtones ont selon moi beaucoup plus en commun qu’ils ne semblent actuellement capables de le reconnaître. Mais le fait est que tant et aussi longtemps que Québec s’entêtera à nier le racisme systémique, le chemin vers la réconciliation demeurera une voie sans issue.