Selon la définition du GIEC, la carboneutralité se dit d’une activité humaine dont les émissions sont égales aux suppressions de gaz à effet de serre. Cette opération comptable est relativement simple à établir. Il faut d’abord un inventaire normalisé des émissions et suppressions. Pour la carbonégativité, il faut retirer du CO2 de l’atmosphère. Avec les marchés du carbone, les suppressions peuvent être réalisées par des tiers et achetées sous la forme de crédits de carbone. Ce genre d’opération peut même permettre d’effacer des émissions du passé. C’est ainsi que Microsoft a pris en 2020 l’engagement de réduire de plus de la moitié ses émissions en 2030 et d’être carbonégatif par la suite, de telle sorte qu’elle aura en 2050 effacé toutes les émissions de sa chaîne de valeur depuis la création de la compagnie en 1970. Un engagement audacieux que l’entreprise s’est empressée de mettre en œuvre. Mais ce n’est pas si simple. Un article paru dans la revue Nature le 29 septembre souligne les difficultés et les enjeux de cette promesse ambitieuse et nous fait réfléchir sur la faisabilité de la carbonégativité à l’échelle planétaire.
Premier constat, dans la pléthore d’offres de crédit de carbone reçues, la majeure partie n’atteignait pas la qualité requise par les normes de l’entreprise. En effet, tous les crédits d’énergie renouvelable ou d’efficacité énergétique ont été disqualifiés, puisqu’ils ne permettent que de réduire la vitesse de croissance des émissions. Ils sont donc incapables de carbonégativité. Pour cela, il faut que les activités justifiant les crédits de carbone absorbent réellement et durablement le CO2 déjà présent dans l’atmosphère.
Les solutions comme la plantation d’arbres ou la fixation du carbone dans les sols se qualifient, car elles captent le CO2 de l’atmosphère et le transportent dans la biosphère. Reste l’incertitude du temps de séjour. La question de la permanence est délicate et doit être assurée par les promoteurs, comme nous le faisons avec Carbone boréal. Les solutions permettant de stocker le CO2 atmosphérique sous forme minéralisée dans les océans sont aussi intéressantes. Mais les solutions les plus fiables sont celles qui peuvent capter le CO2 atmosphérique dans la lithosphère. Deux types sont considérés par Microsoft: le captage et le stockage de CO2 issu de la combustion de la biomasse et le stockage géologique de CO2 atmosphérique par captage direct comme le projet ORCA le fait en Islande depuis peu.
Les difficultés rencontrées par Microsoft pour réaliser son engagement soulèvent de sérieuses préoccupations. Les méthodes permettant de retirer du CO2 de l’atmosphère présentent des limites bien réelles si elles doivent être mises à une échelle compatible avec les besoins énormes que laissent entrevoir les engagements des pays et des entreprises dans un horizon très court. Les solutions basées sur les écosystèmes comme la plantation d’arbres et l’enrichissement des sols en carbone poseront rapidement des conflits d’usage des terres. Pour leur part, les solutions technologiques sont actuellement expérimentales, elles coûtent très cher, sont intensives en ressources et il faudra des investissements majeurs et immédiats pour qu’elles puissent jouer un rôle significatif.
L’idée est belle, mais la réalité est têtue. Même si nos politiciens promettent d’atteindre des cibles ambitieuses à Glasgow en se fiant sur la compensation, la capacité de mobiliser des crédits de carbone de qualité pour y arriver n’est pas garantie. Quant à la carbonégativité, on est encore loin de pouvoir l’envisager à l’échelle globale. En conséquence, il faut d’abord réduire rapidement les sources de gaz à effet de serre de manière à limiter le recours à la compensation. À bon entendeur salut!
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