Deuil périnatal: Martine Gendron immortalise la petite étincelle

Martine Gendron accompagne les parents affligés par le deuil périnatal.

« J’essaie de capter la petite étincelle, pas celle de la vie, mais celle de l’amour. J’essaie d’aller capter la douceur du bébé et la douceur du moment. » Photographe et cofondatrice de Portraits d’Étincelles, Martine Gendron accompagne les parents frappés par le deuil périnatal, immortalisant le passage des petits êtres partis abruptement.


Que le décès survienne en cours de grossesse, durant l’accouchement ou pendant la première année de vie du nourrisson, le deuil périnatal touche chaque année plus de 20 000 familles au Québec.

La prise de photos peut faire partie du processus de deuil pour plusieurs parents. Et c’est dans cette optique que Martine Gendron, de Ferland-et-Boilleau, a créé la Fondation Portraits d’Étincelles, en 2015, avec trois autres femmes.

L’organisme offre gratuitement un service de prise et de retouche photo pour les parents affligés par le deuil périnatal, afin de les aider à traverser cette étape difficile et de laisser une trace de l’être aimé malgré sa courte existence. Martine Gendron a découvert ce service en 2011, aux États-Unis, et elle a voulu l’adapter à la mentalité québécoise.

La Fondation Portraits d’Étincelle travaille donc en collaboration avec de nombreux bénévoles et avec le personnel hospitalier de toute la province afin de pouvoir offrir ce service. À ce jour, Martine Gendron compte près de 1100 demandes de parents qui désirent avoir une photo de leur enfant après qu’il ait quitté ce monde.

« Avoir des photos peut faire une différence dans le processus de deuil, a confié la cofondatrice de l’organisme. Grâce à ces photos, les parents peuvent mettre un visage sur leur bébé décédé et le montrer, pour que leurs proches comprennent pourquoi ils ont de la peine. »

Depuis dix ans, Martine Gendron souhaite aider les parents à traverser le deuil périnatal. Elle a d’abord travaillé pour la fondation américaine Now I Lay Me Down to Sleep, avant de s’en détourner et de créer Portraits d’Étincelles, une fondation plus représentative des valeurs québécoises, et qui mise avant tout sur la discrétion, le dialogue et l’accompagnement.

« On va jusqu’à dire à nos bénévoles d’éviter de mettre du parfum, de ne pas parler fort, de ne pas utiliser de flash ou de ne pas mettre des souliers qui font du bruit, pour ne pas déranger, a mentionné Martine Gendron. On rentre dans une bulle intime et on ne veut pas la briser. »

Quand elle enfile son costume de photographe, Martine Gendron essaie alors de capter et de transmettre par ses clichés tout l’amour que les parents ont pour leur bébé, de manière à leur laisser un doux souvenir dans l’esprit.

Celle qui a aussi perdu un enfant il y a quatre ans s’estime privilégiée d’avoir la chance de passer ce moment-là avec les parents endeuillés. Elle sent que son travail et son talent sont ainsi utilisés pour quelque chose d’humainement positif.

La Fondation offre ainsi deux dossiers de photographies, un premier en noir et blanc avec des photos retouchées et un deuxième sans retouches. Martine Gendron s’est rendu compte qu’il était plus facile pour les parents de montrer des photos retouchées de leur bébé à leurs proches, mais qu’ils souhaitaient également recevoir le dossier avec les photos en couleur et non retouchées pour être sûrs que le visage de l’enfant n’a pas été modifié.

Un recueil publié le 15 octobre

Se rendre dans les hôpitaux pour prendre des photos de bambins récemment décédés, parfois encore minuscules, demande une bonne préparation et un mental d’acier que la Fondation Portraits d’Étincelles se charge de combler.

L’organisation compte un peu plus de 147 bénévoles pour l’ensemble du Québec. Chacun a reçu une solide formation, afin de ne pas être déstabilisé par la situation. 

« On prend beaucoup en charge nos bénévoles, a indiqué Martine Gendron. On leur explique comment ça se passe, comment se comporter, quoi dire et ne pas dire, et à quoi s’attendre. »

Les bénévoles ne sont pas rémunérés et les frais de matériel et d’essence pour les déplacements sont à leur charge. Une fois qu’ils se sentent prêts à prendre leur première photo, ils bénéficient en plus d’un coaching d’une vingtaine de minutes afin de faire des rappels et de les encourager. 

« Ils s’attendent tous à ce que ce soit pénible, vraiment difficile côté émotion, mais quand ils sortent de là, 99 % trouvent l’expérience gratifiante », a rapporté Martine Gendron.

La première fois qu’elle s’est rendue à l’hôpital pour photographier un nourrisson, la fondatrice de Portraits d’Étincielles ne s’est pas sentie normale, car elle n’a pas versé une larme devant le triste spectacle qui s’offrait à elle. 

« Le fait d’avoir une caméra, ça crée un filtre, a-t-elle raconté. En plus, j’étais investie d’une mission, ce qui aide beaucoup à faire ce genre de travail. »

Elle suggère d’ailleurs aux bénévoles d’être empathiques, mais pas sympathiques. «La peine appartient à cette famille-là. Il ne faut juste pas se l’approprier. Elle n’est pas à nous. Il faut juste être là pour les personnes, pour les accompagner et les réconforter», conseille la cofondatrice. 

Histoires d’Étincelles

Depuis plusieurs années, la Fondation Portraits d’Étincelles publie chaque premier du mois le témoignage d’un parent qui raconte l’histoire de son petit ange disparu.

Cette année, à l’occasion de la Journée nationale de sensibilisation au deuil périnatal, qui a lieu le 15 octobre, la Fondation publiera un recueil, Histoires d’Étincelles, rassemblant ainsi plusieurs témoignages de parents et de familles qui ont dû dire adieu un peu trop tôt à leur bébé.

« Ça les aide à faire le deuil et à passer au travers », a rappelé Martine Gendron.

Quand «aujourd'hui» devient «hier»

Ce texte a été écrit par la cofondatrice de Portraits d’Étincelles, Martine Gendron, qui a perdu un bébé il y a quatre ans. Il a été publié le 1er août 2017 sur le site Web de la Fondation. 

Il y a deux mois et demi, j’annonçais avec le plus grand des bonheurs, tranquillement pas vite, à mes proches et amis qu’«aujourd’hui», j’étais enceinte et que si tout se déroulait bien, que mon amoureux et moi allions accueillir cette petite vie que nous avions réussi à créer pour la mi-février 2018.

Le «aujourd’hui» est devenu malheureusement «hier». Nous avons perdu notre bébé, notre étincelle de vie, notre petit bonheur sur deux pattes tant attendu. Pour mes grandes filles, c’est un petit frère ou une petite soeur qu’elles n’auront pas la chance de connaître. Un triste deuil à faire, même si ce petit bébé n’a été présent que quelques trop précieuses semaines.

Certains m’avaient conseillé d’attendre avant d’en faire l’annonce. Tout l’monde sait que le premier trimestre est critique. D’autant plus que j’avais eu quelques petits soucis en début de grossesse. Les statistiques disent qu’une grossesse sur quatre ne se rend pas à terme. Je connais les risques, je les connais ces statistiques, car je suis bien placée en tant que cofondatrice de la Fondation Portraits d’Étincelles.

Mais vous savez quoi? Je suis heureuse de m’être écoutée et d’avoir profité quand même pleinement de ces 10 semaines de bonheur, car du bonheur, sachez que j’en débordais et que pour moi, notre bonheur ne pouvait qu’être partagé! Et puis, nous y avions mis tellement d’amour et de temps avec de multiples rendez-vous en clinique de fertilité. Moi, j’étais heureuse d’être enceinte, heureuse de pouvoir offrir ce beau cadeau de la vie à mon amoureux, afin qu’il puisse s’épanouir en tant que papa. Car il fera sans aucun doute un excellent papa. Et ne vous y trompez pas, nous allons retenter l’expérience dès que possible, après ce deuil.

Je ne regrette pas de l’avoir annoncé autour de moi et d’avoir ensuite eu à partager notre perte, notre tristesse et notre peine, car je sais que la famille et les vrais amis sont là pour les bons moments comme pour les plus difficiles, et que leur compassion et leurs bons mots ne nous feraient que du bien.

Par simple maladresse, un ami m’a dit que ma peine ne devait pas être si grande, car après tout, 10 semaines, ce n’était «pas grand-chose » et que je devais être tellement habituée de voir des bébés décédés... De plus, je ne l’avais même pas pris dans mes bras contrairement à eux...

Par expérience, ayant écouté des centaines de parents me partager leur histoire – cela fait sept ans que j’offre mes services de photographe aux parents endeuillés –, je peux vous affirmer sans me tromper que la peine ne se calcule pas en nombre de semaines. Que le deuil d’un bébé n’est pas plus facile à 10 semaines qu’à 26 semaines ou à 40 semaines. Chacun le vit différemment, car chacun a son histoire.

Oui, je n’étais enceinte que depuis seulement 10 semaines, mais cela faisait déjà deux ans et demi que nous l’attendions et faisions des concessions pour cette grossesse. Deux ans et demi à rêver et à planifier ce que serait notre vie avec ce petit être en plus pour agrandir et consolider notre famille recomposée. Pour mon conjoint, il sera un premier enfant et pour moi, le troisième que j’ai toujours désiré. Et puis, à l’aube de la quarantaine, il ne nous reste pas 10 ans pour réaliser notre rêve, alors le chagrin et la déception n’en sont pas moins importants. 

Et sachez que même avec toute l’expérience acquise en tant que photographe en deuil périnatal, je n’étais pourtant pas préparée à vivre la perte de mon propre bébé, même si j’étais quelque peu « rassurée » de savoir comment le tout se passerait quand ma gynécologue me l’a expliqué.

Au final, cela m’a fait du bien de pouvoir compter sur mon entourage. Je me suis rendu compte que je ne me serais pas vue vivre tout ce bonheur sans eux, et vivre cette tristesse en cachette, sans pouvoir expliquer pourquoi mes yeux se remplissent parfois d’eau sans crier gare, ces temps-ci.

Comme je l’ai répété à plusieurs parents vivant cette même situation, ces dernières années: «Une minute à la fois deviendra une heure à la fois, pour devenir éventuellement un jour à la fois.» 

Ces petites étincelles, on ne les oublie jamais, mais sans aucun doute, elles nous apprennent à devenir plus forts.

Dorénavant, je ne ferai pas qu’«imaginer» la douleur des parents qui sollicitent les services de la Fondation. À vous à qui j’ai parlé et que j’ai rassuré, maintenant, je le sais trop bien...

On t’aime, mon bébé, et on ne t’oubliera jamais.