Devant une quinzaine de personnes rassemblées dans le hall, il a d’abord exprimé sa reconnaissance pour ce qu’elles l’ont aidé à accomplir. Malgré les limitations qui persistent, cet homme âgé de 53 ans mesure pleinement le chemin parcouru. Certes, le côté droit de son visage demeure paralysé à 20 %, mais il y a quelques mois encore, les dommages étaient tellement sévères que des gestes aussi naturels que siffler ou souffler dans un ballon se trouvaient hors de sa portée.
Nerveux face aux artisans de sa nouvelle vie, Louis Julien les a prévenus qu’il pourrait trébucher pendant la lecture de son texte. « Il est possible que ça coince sur certains mots », a lancé l’artiste avec humour. Rien de tel n’est arrivé, cependant, et son témoignage a été livré avec aplomb. « Je remercie Le Parcours, ainsi que les intervenants qui m’ont permis de retrouver un juste équilibre dans ma vie. Quand on est rendu ici, on se sent magané, seul au monde. J’ai eu des bas, mais aujourd’hui, c’est mission accomplie », a-t-il énoncé.
Fin d’un parcours
Un peu plus tôt, Pierre Martin, coordonnateur clinique, avait rappelé à quel point il est important de souligner la fin d’un parcours de réadaptation. C’est ce dont témoigne le Mur des réussites, un espace situé à proximité du tableau de Louis Julien. Il réunit de courts textes, ainsi que des cordes porteuses d’une charge symbolique. « La blanche illustre les hauts et les bas du parcours, tout comme l’idée qu’on va de l’avant. Celles en couleurs représentent les proches, ceux qui assurent le suivi, tandis que les noeuds réfèrent aux interactions », a-t-il mentionné.
Mesurant 30 pouces par 60, le tableau intitulé Les matelots de l’espoir trouve également un ancrage dans le cheminement effectué par son auteur. Plusieurs n’y verront qu’une scène maritime, des voiliers s’apprêtant à toucher terre, mais pas besoin de gratter longtemps pour qu’apparaisse la vision de l’homme derrière l’artiste. « Les bateaux, c’est moi, et rien ne dit que le plus petit va arriver en dernier. Il y a des jours où ça va bien, mais parfois, les circonstances nous ramènent vers l’arrière », note-t-il avec philosophie.
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Dans son esprit, le port symbolise le retour à la vie normale, « un but réaliste, mais difficile à atteindre », tandis que les couleurs déployées en fond de scène ouvrent une fenêtre sur la confusion que peut ressentir une personne en voie de reconstruction. « C’est dur de voir où finit la terre et où commence le ciel », souligne Louis Julien. Puis, levant les yeux de son texte pour regarder les intervenants, il a révélé que c’était eux, les matelots du titre. Sans leur qualité d’écoute, leur positivisme et leur infinie patience, Dieu sait quel aurait été son destin.
« Vous avez été d’un grand secours », a résumé l’artiste.
L’art, un facteur de réussite
Parmi les personnes qui ont accompagné Louis Julien dans son cheminement, il y a d’abord sa conjointe Annie Tremblay, mais aussi la neuropsychologue Cynthia Lavoie. Heureuse de le revoir à la faveur d’une entrevue accordée au Progrès, elle a mis en relief l’importance des premiers jours au Parcours. « Il y a du chemin à faire. La personne doit s’approprier sa condition, réaliser dans quel état elle se trouve, décrit-elle. Ensuite, on procède à des évaluations afin de monter un plan d’intervention qui couvre une période de trois mois. »
Ce moment charnière, le peintre ne s’en souvient que trop bien. « Tu ne vois plus. Tu ne peux plus entendre et tu as mal à la tête. T’es tout croche », confie-t-il. Lui-même ne le réalisait pas encore, mais des points de lumière émaillaient de son dossier. Son excellente condition physique avait limité les dommages, tandis que sa passion pour la peinture allait constituer une source de motivation importante. « Ce sont des facteurs de réussite auxquels il faut ajouter sa grande motivation. Il voulait tellement », raconte Cynthia Lavoie.
Directrice de la Fondation Santé Jonquière, Sandra Lévesque ajoute une autre pièce au dossier : la proximité physique du CRDP Le Parcours. « C’est une chose que j’entends fréquemment. Les gens sont heureux d’avoir reçu des services ici, dans leur région », avance-t-elle. Ce fut d’autant plus vrai pour Louis Julien, qui réside à Jonquière. Quand il doit rencontrer des spécialistes à Québec, la différence saute aux yeux. L’heure hâtive des rendez-vous ne tient pas compte de la distance à parcourir ni des caprices de l’hiver.
Ces suivis sont nécessaires parce que les maux de tête persistent et qu’il ne voit que d’un oeil, tandis que l’oreille droite est peu performante. Et puis, il y a cette impatience qui l’envahit trop souvent à son goût, un autre chantier inachevé. En revanche, l’artiste en lui reprend du tonus. Il peint moins vite, mais la demande est vigoureuse au Québec, de même qu’aux États-Unis. « Je viens d’envoyer dix toiles à Phoenix, révèle Louis Julien. Je reçois aussi des commandes et les clients comprennent ma situation. Ils sont prêts à attendre. »