Nationalisation chez Rio Tinto: un professeur pose les jalons

La nationalisation des ouvrages hydroélectriques de Rio Tinto relève du domaine du possible, mais exigerait du gouvernement des compensations permettant à la multinationale de remplacer cette énergie avec une valeur équitable, tout comme il serait possible de réévaluer les contrats qui accordent à l’entreprise des droits d’eau sur des périodes de 50 ans.


Le professeur Jean-Thomas Bernard, associé à l’Université d’Ottawa, est un observateur avisé du monde de l’énergie en Amérique du Nord. Il a commencé à s’intéresser à cette question lors de la nationalisation de l’électricité au Québec et a toujours suivi l’évolution des différentes sources d’énergie, dont l’hydroélectricité québécoise.

« La nationalisation de l’électricité a été faite dans un cadre de négociation de gré à gré, à l’époque. Quand on parle de nationalisation, le prix fixé doit tenir compte de l’alternative qui s’offre en remplacement », insiste le spécialiste.



Le prix de l’alternative ne dépend pas uniquement de la valeur des installations liée à la capacité de production. Ce prix doit aussi tenir compte de l’environnement économique global en fonction des caractéristiques spécifiques de la source d’énergie qui, dans ce cas, est hydroélectrique avec des réservoirs qui permettent d’emmagasiner l’eau et ainsi assurer une stabilité dans la production.

Le complexe La Romaine, d’une capacité de 1500 mégawatts, a coûté un peu plus de 6 G$ et permettra de livrer de l’énergie à 6 cents le kilowattheure sans le transport. Le complexe de Rio Tinto a une capacité installée de 3100 mégawatts ou une production de 18 térawattheures. La règle du pouce permet d’avancer un coût de plus ou moins 12 G$, mais il n’a pas besoin de réseau de transport et est situé près des marchés, comparativement aux ouvrages du Nord.

Selon Jean-Thomas Bernard, les actionnaires d’Alcan ont empoché, lors de la vente à Rio Tinto, une valeur additionnelle aux usines qui est associée au réseau de production privé et aux droits accordés à long terme par le gouvernement pour l’utilisation du bassin de la rivière Péribonka.

« Il était admis dans l’industrie de l’aluminium dans le monde que la dernière entreprise à fermer ses usines en cas de crise dans ce secteur serait la compagnie Alcan en raison des avantages reliés à son réseau de production hydroélectrique. Le paysage a encore changé et la valeur de ce réseau est encore supérieure à ce qu’elle était au moment de la transaction avec Rio Tinto », reprend Jean-Thomas Bernard.



Il faut analyser cette dynamique depuis la nationalisation en 1962. À l’époque, Québec a bénéficié de la disponibilité de pétrole à très bas prix qui permettait la production d’électricité à faible coût. L’alternative hydroélectrique a donc été analysée en fonction des prix du pétrole. Robert Bourassa a fait le choix de l’hydroélectricité avec le lancement du projet de la Baie-James et le choc pétrolier de 1973 a transformé ce choix en coup de maître puisque, depuis 1973, le prix du pétrole s’est toujours maintenu avec en prime les problèmes du coût de l’énergie nucléaire.

Aujourd’hui, et ce, depuis quelques années, la valeur de l’hydroélectricité a, selon le professeur, encore augmenté en raison de la crise climatique. L’hydroélectricité offre des avantages incontestables quant à la réduction de gaz à effet de serre et, contrairement aux autres énergies renouvelables, elle permet d’offrir un approvisionnement fiable et stable sur de longues périodes.

La valeur des installations de Rio Tinto pour la production d’électricité est plus élevée que ce qu’elle était lors de la transaction avec Alcan puisqu’il y a eu depuis la crise climatique.

La question est de savoir si cette valeur a augmenté de façon suffisante pour justifier le gouvernement du Québec d’amener Rio Tinto à la table pour renégocier ces ententes afin d’obtenir en retour de meilleurs avantages économiques pour le Saguenay-Lac-Saint-Jean. « Le gouvernement de Terre-Neuve est allé deux fois devant les tribunaux pour dénoncer le contrat avec Churchill Falls, signé entre le gouvernement du Québec et au départ une entreprise privée. La Cour suprême a statué qu’un contrat était un contrat », indique le professeur.

D’un autre côté, il nous ramène dans les années 1980, lorsque le gouvernement du Québec a retiré aux papetières les concessions forestières qui représentaient pratiquement un titre de propriété pour les barons de la forêt sur des centaines de millions d’hectares au Québec. « Le gouvernement a en échange accordé l’accès à la ressource avec une autre mécanique pour les usines. »

Jean-Thomas Bernard ne dit pas qu’il est impossible pour le gouvernement de nationaliser une ressource naturelle comme l’hydroélectricité, ou même de renégocier les droits d’utilisation des rivières. Il croit seulement qu’il faudra un gouvernement qui a du coffre pour s’attaquer à cette tâche.



L’équation doit être réalisée avec une production de 18 térawattheures que l’on multiplie par trois cents pour en arriver à une économie de l’ordre de 645 M$ pour Rio Tinto par rapport aux autres producteurs québécois pour la même quantité de métal.

SERGE SIMARD PASSE À L’ATTAQUE

Le candidat à la mairie de Saguenay, Serge Simard, ne craindra pas d’égratigner l’image corporative de Rio Tinto pour forcer le jeu afin de mobiliser la population pour la réalisation d’un projet d’usine de remplacement des cuves précuites du complexe Jonquière, dont la fermeture aura lieu en 2025.

L’ex-député libéral entend bien se démarquer des autres candidats dans ce dossier et n’hésite pas à critiquer sévèrement ses adversaires, Julie Dufour et Josée Néron, qui sont en place depuis maintenant près de 8 ans et qui, selon ses dires, comprennent soudainement qu’il y a un risque important à très court terme pour Saguenay.

« Je comprends bien le conseiller municipal Jean-Marc Crevier de ne pas avoir participé à cette mascarade et il a les bonnes raisons. La présidente de l’arrondissement Jonquière doit savoir depuis 2018 que le prolongement des précuites a été confirmé jusqu’en 2025. Pourquoi rien n’a été fait jusqu’à hier (lundi) pour brasser Rio Tinto et faire savoir notre mécontentement? », questionne le candidat.

Serge Simard a aussi pris bonne note de la position de Josée Néron dans ce débat qui aura un impact majeur pour la Ville de Saguenay. Il estime que la mairesse se place en position de faiblesse quand elle affirme « qu’il ne faut pas taper sur la compagnie si l’on souhaite que Londres investisse au Saguenay ». Une telle position de faiblesse fait dire au candidat Serge Simard que Rio Tinto n’hésitera pas à exploiter ce comportement à son avantage qui n’est pas nécessairement celui de la Ville.

« Ce n’est pas au gouvernement du Québec qu’il faut demander de faire de la pression sur Rio Tinto pour obtenir un projet de remplacement pour les précuites. Ça commence à urger si l’on considère que ça prend six ou sept ans pour la construction d’une nouvelle usine. Il reste 4 ans avant 2025. La mobilisation aurait pu commencer dès 2018 quand nous avons prolongé la vie des précuites. »

Serge Simard a indiqué au Quotidien qu’il allait présenter d’ici quelques semaines sa stratégie pour obtenir la construction d’une usine de remplacement. Il affirme que l’on doit aussi envisager pour Jonquière la technologie AP40. L’ex-député libéral espère que les gens ne se feront pas divertir par le projet Elysis, puisque l’enjeu est une usine de remplacement dans l’esprit des ententes intervenues depuis 2006.

Cette entente prévoyait la construction d’une usine d’une capacité de 500 000 tonnes métriques à Arvida avec la technologie AP60. Rio Tinto a réalisé la phase 1 du projet avec 60 000 tonnes uniquement. L’entreprise devait réaliser l’ajout de 120 000 tonnes à l’aluminerie d’Alma et n’y a toujours pas ajouté une tonne de plus. En contrepartie, Québec accordait des aides financières à l’entreprise en plus de renouveler jusqu’en 2058 les droits d’exploitation de la puissance hydraulique de la rivière Péribonka.

Dans un mémoire réalisé pour la Ville de Saguenay, l’économiste Roger Boivin de la firme Groupe Performance Stratégique évaluait les avantages consentis à Rio Tinto à un peu plus de 15 G$ pendant la durée de l’entente, alors que l’entreprise s’engageait à un investissement immédiat de 2 G$. L’entente de 2006 a été modifiée, à la demande de Rio Tinto, afin d’inclure d’autres types d’investissements dans les différentes installations de la région.

Position de Rio Tinto

La multinationale n’a émis aucun commentaire, au lendemain des sorties des conseillers municipaux Julie Dufour et Jean-Marc Crevier. La porte-parole régionale Malika Cherry a simplement affirmé que l’entreprise allait continuer de travailler avec les représentants de la région et il n’est pas question pour le moment de donner des précisions sur les échéanciers des projets sur la planche à dessin.

Le conseiller municipal a profité du dépôt par sa collègue Julie Dufour d’une résolution au conseil de Saguenay, lundi soir, pour demander à l’entreprise de procéder à l’annonce rapide d’une usine de remplacement pour Jonquière pour surprendre tout le monde. L’ex-syndicaliste a émis des doutes sur les véritables intentions de la présidente de l’arrondissement Jonquière avant d’évoquer pour la première fois une campagne de promotion de la nationalisation des ouvrages.

« J’ai toujours été opposé à l’idée de la nationalisation des barrages de Rio Tinto en autant que ça permettait aux travailleurs de la région d’avoir des emplois bien rémunérés. J’ai défendu ce principe sur plusieurs tribunes un peu partout, mais aujourd’hui, je me demande si ce n’est pas la seule façon de faire comprendre à Rio Tinto de respecter ses engagements envers la région avec la création d’emplois », a insisté Jean-Marc Crevier.

Le conseiller n’avait aucune objection à appuyer Julie Dufour malgré son questionnement quant à l’opportunité de présenter une telle résolution. Il a toutefois rappelé que pendant plusieurs années, il a milité en faveur d’une plus grande mobilisation de la région face aux avantages énergétiques accordés au producteur d’aluminium. Pendant ces années, a répété Jean-Marc Crevier, l’entreprise produisait de plus en plus d’aluminium avec de moins en moins d’employés.

« Les gens doivent comprendre que Rio Tinto, avec le coût de l’énergie dans la région, détient un avantage qui lui rapporte, année après année, 600 M$ de plus que les producteurs qui bénéficient du tarif L d’Hydro-Québec ailleurs dans la province. C’est 600 M$ de plus année après année. Si Hydro-Québec possédait les barrages, elle ferait 600 M$ de plus de profit qu’on pourrait utiliser pour notre développement », a ajouté le conseiller au terme de la séance publique.

Devant les caméras, le conseiller municipal a avancé qu’il fallait que la région cesse de craindre que l’entreprise quitte la région : « Rio Tinto ne partira pas avec les barrages, le lac Saint-Jean et les rivières. »



La présidente de l’arrondissement Jonquière a déposé cette résolution en évoquant le momentum pour Saguenay de réclamer une usine de remplacement pour les cuves précuites. Le marché de l’aluminium n’a jamais été aussi lucratif et il est déjà assuré que l’entreprise va fermer les cuves précuites sans donner de détails sur ses véritables intentions avec le parachèvement de son plan de modernisation avec la technologie AP60.

La mairesse Josée Néron ne s’est pas opposée à cette résolution qui s’inscrit, selon ses propos, dans le travail qu’elle réalise depuis qu’elle a décidé de créer la table régionale de l’aluminium. Josée Néron diffère toutefois de stratégie puisqu’elle considère que « ce n’est pas en tapant sur la compagnie que Londres va investir dans la région ».

Le président du comité des finances de la Ville, Michel Potvin, qui a rappelé l’importance de ce contribuable, a malgré tout endossé la position de Jean-Marc Crevier. Michel Potvin est allé plus loin quand il a rappelé les demandes de l’Association de l’aluminium du Canada (dont Rio Tinto est membre), qui réclame des aides financières importantes de l’État. Selon Michel Potvin, Rio Tinto réclame le beurre, l’argent du beurre et encore plus pendant qu’elle crée de moins en moins d’emplois dans la région.