Tout ceci pour dire que jeudi soir, une trentaine de personnes se sont rendues au Centre culturel de Jonquière afin d’assister à la première de la pièce Le Youtubeur – Le problème de l’échiquier, écrite et interprétée par Martin Giguère. Mise en scène par Christian Ouellet, cette production du Théâtre CRI avait fait l’objet d’un report, mais l’attente en valait la peine en raison du sujet abordé et de la manière dont l’histoire est racontée.

C’est celle d’un personnage flamboyant qui se fait appeler Francis Saucisse 66. Cet homme a la parole en bouche, pour employer une vieille expression. S’exprimant dans un français international, puisque son auditoire pléthorique embrasse l’ensemble de la francophonie, il anime une chaîne YouTube s’appuyant sur le jeu vidéo Minecraft.

Il s’apprête à tourner son 3000e épisode à l’intérieur d’une fenêtre de huit ans, ce qui signifie que jour après jour, son public a pu l’entendre et surtout, déterminer si cette séquence incroyable allait se poursuivre. Le vote, jusqu’à maintenant, lui a toujours été favorable. Il y a eu plus de pouces levés que de pouces baissés. On le pense donc arrivé au sommet de l’Olympe, ce que suggère son arrogance de rock star. Or, il y a plein de craques dans la fondation.

Plus complexe qu’on le croit

À bien des égards, cette pièce fait penser aux histoires de faux fins qui abondent au cinéma (et dans la vraie vie). Quand le Youtubeur parle à sa mère au téléphone, comme à une demeurée. Quand il couvre de mépris son unique collaborateur, un monteur prénommé Mathis. Il y a quelque chose de monstrueux en lui, comme le personnage central de la pièce Ogre, imaginé par Larry Tremblay. Zéro empathie. Un narcissique fini.

Peu à peu, cependant, on constate que l’auteur avait d’autres tours dans son sac. Cet homme enchaîné à sa quincaillerie électronique, comme tant de gens l’ont été au fil des 14 derniers mois, est plus complexe que le personnage derrière lequel il se cache. Il a conservé une part de son humanité, mais il serait bête de révéler de quelle manière on le réalise, puisque la pièce sera à nouveau présentée le 29 mai, ainsi que du 2 au 5 juin (toujours à 20h).

Contentons-nous d’écrire qu’il y a des rebondissements fort bien amenés, qui ouvrent une réflexion sur notre rapport à l’argent et à la célébrité, mais pas nécessairement sous le prisme des nouvelles technologies. Après tout, une vedette est une vedette, que ce soit en pitonnant, en frappant des coups de circuit ou en recevant des tartes à la crème au visage. Si elle n’est pas solidement arrimée à la réalité, le regard des autres va changer la manière dont elle-même se perçoit.

Un esprit alerte

Pour que ce texte fonctionne, cependant, il fallait miser sur un interprète de premier ordre et ça adonne bien, le comédien rend justice au travail de l’auteur. Juste de le voir surfer d’un niveau de langage à l’autre (il y en a au moins trois, selon les personnes à qui s’adresse le Youtubeur), c’est une bonne raison d’assister à ce spectacle. On note aussi que les déplacements intégrés dans la mise en scène, entre la console et l’écran vert devant lequel des vidéos sont tournés, réduisent à presque rien le risque que ce solo génère un brin de lassitude.

Un mot, enfin, à propos de la vivacité d’esprit de Martin Giguère. Le spectacle était bien engagé lorsqu’une panne d’électricité est survenue. On a d’abord cru à une entourloupette, mais c’était bien vrai. Par bonheur, l’arrêt fut bref, l’affaire de deux ou trois minutes, si bien que le comédien a repris place devant sa console. Son personnage venait d’amorcer une entrevue avec un journaliste, mais avant de reprendre le fil du texte, Francis Saucisse 66 s’est excusé auprès de son interlocuteur en disant: «Il y a eu une panne d’électricité ici.»

Le public a ri, bien sûr, et l’histoire a continué comme si de rien n’était.