[MATIÈRE À RÉFLEXION] Les changements de l’industrie du taxi 

Hugo Lapointe, président de Taxis-Unis

La pandémie mondiale a touché plusieurs secteurs de l’économie et l’industrie du taxi n’y a pas échappé. Un an après l’arrivée de la COVID-19, le président de Taxis-Unis, Hugo Lapointe, fait le point. Propos recueillis par Le Progrès.


La pandémie a modifié plusieurs secteurs de l’économie, dont le vôtre. Comment les chauffeurs se sont adaptés aux mesures sanitaires? Est-ce que vous avez déjà eu des doutes pour votre sécurité?

En ce qui concerne les mesures sanitaires, nous avons installé des plexiglas entre le conducteur et les passagers. Nous n’avons plus le droit d’embarquer de gens à l’avant; c’est donc trois personnes maximum à l’arrière. Il y a du désinfectant pour les mains, les masques sont obligatoires. C’est comme ça depuis le début de la pandémie.



Nous avons parfois eu peur pour notre sécurité. À l’hôpital, des gens potentiellement atteints embarquaient, mais les voitures étaient toujours désinfectées avec des produits. Ce n’est pas arrivé souvent, mais nous nous sommes parfois dit que la situation n’était pas agréable. Nous avons côtoyé des gens peut-être atteints de près.

Au départ, avec les masques, c’était difficile: les gens n’aimaient pas ça. Mais là, c’est mieux accepté et ça va bien. Pour les chauffeurs, quand nous sommes à l’avant, protégés par un plexiglas, nous ne sommes pas obligés d’avoir un masque. Mais si le client l’exige, nous le mettons. Et c’est obligatoire pour le client. Mais si nous devons débarquer à l’épicerie ou pour aider un client, nous devons mettre un masque.

La situation liée à la pandémie a évolué au cours des derniers mois. Le nombre de cas a connu des variations, certains commerces ont été fermés et un couvre-feu a été imposé. Comment pouvez-vous comparer l’achalandage avant la COVID-19 et maintenant?

Au début de la pandémie, personnellement, j’ai stationné mon auto pendant deux mois dans la cour. Il y avait 90 % du travail qui était parti alors plusieurs ont fait comme moi. Ça ne valait pas la peine, mais nous avons toujours assuré le service. Par contre, il était grandement réduit. Certains travaillaient quand même, et peu à peu, avec l’ouverture des commerces, le travail est revenu, les contrats aussi.



L’été passé n’a quand même pas été si pire, même si c’était beaucoup moins bon que les autres avec les festivals. Comparativement à d’autres commerces qui ont dû fermer, il ne faut pas se plaindre. Présentement, nous sommes à environ 70% de ce qu’on faisait avant.

Au niveau des bars, des festivals, ça nous fait mal. Les rassemblements nous faisaient travailler, les spectacles de musique, les partys, le Festival des vins, le Festival des bières. Le soir, la nuit, c’est moins bon, alors il y a moins de voitures. Nous donnons quand même le service pendant le couvre-feu parce qu’il y a des travailleurs essentiels. C’est aux gens de savoir s’ils sont essentiels ou non. Nous ne faisons pas de contrôle. Pour la majorité, ça se passe bien. Si les policiers font un contrôle, c’est au client de prouver qu’il a le droit de circuler.

Au cours des derniers mois, vous avez modifié votre offre de service en incluant la livraison pour différents restaurants locaux. Parlez-nous-en. Comment ça se passe? Y a-t-il d’autres projets dans les plans?

Pour nous, les restaurants, c’était un bon marché, mais ce que nous avons perdu en clients, nous l’avons gagné en partie avec la livraison. Nous nous sommes virés de bord assez vite. C’est une bonne chose que nous ayons pu trouver certains contrats comme ça pour pallier au manque d’ouvrage.

Ç’a commencé avec Carl Huth de l’Inter. Il nous a approchés, car il voulait quelque chose de local. C’est tout à son honneur. Il ne voulait pas utiliser les applications. Nous nous sommes assis et nous avons regardé ce que nous pouvions faire. Chacun a mis un peu d’eau dans son vin et nous avons trouvé un plan qui fonctionne. Ç’a été de former les chauffeurs, il y a eu un peu de réticence, mais quand arrive une pandémie, il faut s’adapter.

D’autres restaurateurs ont vu que ça fonctionnait et nous ont approchés. La Voie Maltée, le Rouge Burger Bar, Joachim, le Bistrot D, ce sont tous des restaurants pour qui nous faisons la livraison.



Ça nous a permis de garder notre main-d’oeuvre de soir. Il y avait un gros manque d’appels, alors ça nous a permis de les garder avec nous. Ces nouveaux contrats ont été bons pour nous.

Dans les autres projets, il y a peut-être la livraison de colis. L’avenir passe beaucoup par la livraison. Nous regardons ce que nous pouvons faire avec des commerces locaux, ce que nous pourrions livrer. Il n’y a encore rien de concret, mais il y a des choses dans les plans.

Plusieurs secteurs de l’économie connaissent une pénurie de main-d’oeuvre. Est-ce votre cas? Pour quelqu’un qui aimerait être chauffeur de taxi, comment ça fonctionne?

Pour être chauffeur, avant, il y avait des examens à la SAAQ (Société de l’assurance automobile du Québec), mais une formation de 35 heures se donne maintenant en ligne.

Oui, il y a une pénurie de main-d’oeuvre. Nous avons beaucoup de retraités comme chauffeurs occasionnels, mais avec les lois fiscales selon lesquelles les retraités ne peuvent pas gagner beaucoup en raison de l’impôt, c’est parfois plus dur de recruter.

La pénurie de main-d’oeuvre est là partout, nous la vivons aussi. Avec le ralentissement dû à la pandémie, nous avons eu besoin de moins de chauffeurs, mais quand ça va reprendre, nous allons peut-être plus sentir le manque de main-d’oeuvre. Nous l’appréhendons. Nous ne savons pas ce qui va arriver. Ce n’est pas évident.

Hugo Lapointe, président de Taxis-Unis.

L’industrie du taxi s’est transformée au cours des dernières années, notamment avec l’arrivée d’Uber. Dans une région comme la nôtre, est-ce qu’une telle entreprise – Uber est basée à San Francisco – peut faire sa place et survivre?

C’est impossible pour moi de dire que non, ce n’est pas possible. Selon moi, de telles plates-formes vont dans les endroits où la concentration urbaine est assez importante. Saguenay est une grande ville, mais avec une grande superficie. La concentration de la population n’est pas vraiment là. Comme un rassemblement de villages. La superficie est grande, la population est vieillissante, alors ce n’est pas tout le monde qui veut payer avec des applications ou des cartes de crédit dans son téléphone.



Nous avons tout ce qu’offre Uber. Une application mobile qui permet de nous suivre en temps réel, mais en plus, vous pouvez payer en argent comme avant, par débit, crédit, Paypass. Uber, c’est juste avec le crédit. Nous sommes encore plus technos que ces plates-formes-là. Nous pouvons être appelés par téléphone, par l’application et vous pouvez nous arrêter sur le bord de la rue. Nous avons la chance d’être une compagnie d’ici, établie depuis plusieurs années.

Pour en revenir avec la difficulté de trouver de la main-d’oeuvre, elle est là pour tout le monde. Nous avons des contrats et nous avons de la misère à recruter nos chauffeurs. Alors ça ne serait pas évident pour eux d’en trouver.

Je ne sais pas si dans les petites places comme nous, Uber a déjà vraiment fonctionné. Ici, tout le monde se connaît. Souvent, nous continuons la conversation que nous avions commencée avec notre client.

Et votre industrie, celle du taxi «traditionnel», est-ce qu’elle a un avenir, ici, au Saguenay-Lac-Saint-Jean?

Je pense que oui. Le transport de personne n’arrêtera pas demain matin. Uber n’a rien inventé. Ils font du transport rémunéré de personne. Tout le monde a besoin d’un transport, nous sommes dans une population vieillissante, les besoins sont là et les compagnies ont besoin de faire livrer des trucs.

Nous avons un avenir et nous sommes implantés depuis plusieurs années. Nous sommes une entreprise locale. Je vois un bel avenir, c’est sûr et certain.