D’un millénaire à l’autre; promenade au cœur de notre patrimoine

Erik Langevin

PAGE UQAC / Question de se changer les idées, au moment où les activités sont restreintes, pourquoi ne pas en profiter pour faire un retour dans le passé lointain ou plus récent. Je vous invite à découvrir notre patrimoine lors de vos prochaines promenades.


L’auteur de cette chronique est Érik Langevin, directeur du Module des sciences humaines et directeur du Laboratoire d’histoire et d’archéologie du subarctique oriental (LHASO)

L’archéologue que je suis tient à vous rappeler que certains lieux patrimoniaux extérieurs sont accessibles même en temps de confinement. Pourquoi ne pas profiter de la période hivernale pour vous retremper dans le passé à deux endroits où nous avons fait de nombreuses interventions archéologiques au cours des dernières années ? Je vous invite donc à visiter avec moi le Poste de traite de Chicoutimi et le site de Val-Jalbert.

Témoins de deux époques bien distinctes, ces deux lieux constituent des joyaux patrimoniaux qui représentent à la perfection l’époque où ils ont été aménagés, en ce sens qu’on peut aisément y ressentir, grâce aux vestiges et au traitement muséologique, les mêmes émotions qui devaient traverser tous ceux qui ont fréquenté ces lieux pendant près de cinq millénaires sur le site du Poste de traite où, il y a 100 ans, au village de Val-Jalbert.

Le poste de traite de Chicoutimi

Entre 2013 et 2019, une collaboration exceptionnelle entre la ville de Saguenay et les archéologues du Laboratoire d’archéologie de l’UQAC a permis que des fouilles archéologiques aient lieu sur le site du Poste de traite, maintenant aménagé en parc urbain, dont l’accès vous est possible près de l’intersection des rues Price et Dréan. Ces fouilles ont non seulement mené à la découverte de dizaines de milliers de vestiges témoignant de l’occupation du lieu, mais également d’infrastructures à fonction religieuse, économique et domestique. L’analyse de tous ces témoins du passé a permis de mieux comprendre ce qu’était le quotidien de ceux qui ont fréquenté ce lieu, qu’ils fassent partie des Premières Nations ou encore des Euro-Québécois.

Qu’en était-il de ce quotidien ? Au cours des dernières années, la population régionale a pu observer et interroger les archéologues sur ce lieu en saison estivale. L’expérience hivernale en est peut-être une encore plus particulière. Si vous vous rendez sur les lieux lorsqu’il fera aussi froid que -20°, laissez votre esprit évoquer seulement ce que pouvait être la vie d’il y a 1000 ans, voire au XVIIe siècle, sans électricité, seul pendant de longs mois d’hiver, sans épicerie au coin de la rue et, évidemment, sans aucun moyen de communiquer avec l’extérieur. Notre confinement actuel devrait dès lors vous sembler bien confortable. Vous ne serez donc pas étonnés d’apprendre que parmi les nombreux objets datant des années 1700 que nous ayons découverts s’en trouvaient plusieurs permettant de tromper l’ennui, tels que des pipes, des bouteilles d’alcool (eh oui !) et, surtout, des guimbardes, communément appelées ruine-babine, en quelque sorte ancêtre de l’harmonica. N’hésitez pas à monter sur le promontoire, ce qu’on appelle le plateau des chapelles, et après avoir lu les panneaux d’interprétation, admirez le Saguenay, les glaces qui le figent, et imaginez seulement combien ces chasseurs, trappeurs, commerçants devaient attendre avec espoir les temps plus chauds qui leur permettraient de se regrouper à nouveau afin de festoyer.

Le site de Val-Jalbert

Après avoir effleuré ce que devait être la vie de ceux ayant affronté les hivers d’il y a 5000, 1000 ou 400 ans sur les lieux du Poste de traite de Chicoutimi, on pourrait ressentir une certaine complicité avec ceux qui ont vécu le début du XXe siècle, en se disant que ceux-ci avaient une vie hivernale plus aisée. Au village historique de Val-Jalbert, situé entre les actuelles municipalités de Chambord et de Roberval, malgré la simplicité apparente des maisons, ceux-ci profitaient d’un luxe peu courant dans la région à cette époque. On pouvait en effet se vanter de profiter d’une gamme de services digne d’une municipalité bien nantie : éclairage électrique, eau courante et chauffage au poêle à bois avec les résidus de bois de l’usine. À son apogée, ce village de compagnie comptait 80 maisons et quelque 500 habitants. La petite communauté avait son magasin général (où, parmi les marchandises, des bouteilles de sauce Worcestershire et des bouteilles de gin garnissaient les étagères), une boucherie, un bureau de poste, une banque, un couvent/école et une église. Plusieurs ruines ont été conservées, certaines restaurées, alors que d’autres gisent toujours sous la surface. Nos interventions archéologiques effectuées au moment où la nouvelle centrale électrique a été érigée, il y a quelques années de cela, ont d’ailleurs permis de mettre au jour de nombreux vestiges de cette période.

La vie d’autrefois est d’ailleurs encore palpable, évoquée dans les rues de maisons bien alignées, dans l’usine au pied de la chute, dans les méandres de la rivière Ouiatchouan et dans le sentier menant à l’ancienne scierie à vapeur à un kilomètre en amont du village, un environnement où industrie et vie domestique se côtoyaient et se soutenaient mutuellement. Les fouilles archéologiques menées de 2010 à 2017 en témoignent éloquemment.

Si Val-Jalbert a vécu aussi sa pandémie - la grippe espagnole a soufflé à travers le village comme un vent malveillant en 1918, emportant 14 personnes – c’est davantage un manque de ressources financières pour moderniser l’usine qui entraîna la fermeture du village en 1927, après seulement un quart de siècle d’existence. Mais combien d’histoires nos hivers d’antan peuvent-ils nous raconter autour d’un bon feu de bois ? À vous de le découvrir au cours de vos promenades au cœur de notre passé.

Le clavardage aura lieu le mercredi 27 janvier à midi sur zoom : https://uqac.zoom.us/my/quotidien