« La crise écologique va nous demander de s’aider, au lieu de se haïr. La gauche, la droite, qui se pointent, ça peut créer des failles irréversibles. C’est pour cette raison que le livre suggère de créer des ponts, à la place. Parce que même entre individus qui ne pensent pas la même chose, ça se peut, jaser avec respect », a énoncé l’écrivain au cours d’une entrevue téléphonique accordée au Progrès.
Publié à La Peuplade, qui le mettra en marché le 21 janvier, Indice des feux regroupe sept nouvelles dont les protagonistes sont différents. Certains sont confrontés à la mort, comme l’adolescent qui ouvre le recueil dans À boire debout. C’est aussi le cas du vieil homme qui craint de voir disparaître un orme plus que centenaire, alors que c’est autour de lui que rôde la Faucheuse dans Ulmus americana.
La notion de perte constituant le fil conducteur de l’ouvrage, elle, imprègne les relations entre deux frères devenus étrangers l’un à l’autre. Le cadet si doué, promis à une brillante carrière, est devenu en effet un adepte de l’ascèse. Une autre histoire, elle, montre un jeune banlieusard faisant le deuil de son terrain de jeux, tandis qu’un digne fils de la métropole, tentant d’anesthésier la douleur d’une rupture amoureuse, tombe nez à nez avec un coyote.
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L’Histoire et les histoires
Bien sûr, une dimension de la crise actuelle ressort dans chacune des nouvelles. Le dérèglement du climat. Les animaux qui peinent à se reproduire. Les espaces naturels sacrifiés sur l’autel du développement. Le sort des baleines franches. Antoine Desjardins tenait cependant à faire de la littérature, plutôt que d’asséner aux lecteurs un nième pamphlet aux airs de fin du monde. Il voulait, en somme, raconter des histoires pour que nous ne rations pas le train de l’Histoire.
« Comment décrire la crise écologique sans en parler? C’était ça, mon objectif en produisant ce livre, fait observer l’écrivain. Il s’agissait de montrer de quelle manière la réalité climatique teinte la vie humaine, notamment notre perception de l’avenir, alors qu’on a conscience que la planète est au bord de l’effondrement. En offrant d’autres perspectives, je souhaitais que chacun prenne acte de la situation et détermine ce qu’il peut faire pour que ça aille mieux. »
Le chemin pour arriver à une vision aussi limpide ne fut pas simple, cependant. Une première révélation est venue il y a six ou sept ans, lorsqu’il était suppléant dans une classe de niveau élémentaire. Après avoir assisté à la projection d’un documentaire affirmant que les humains disposaient d’une fenêtre de cinq ans pour changer la planète, les jeunes, qui étaient âgés de 10 ou 11 ans, furent littéralement tétanisés. « Ils venaient de réaliser que c’était le monde dans lequel ils habitaient et je me souviens qu’il y avait eu un moment de silence, rapporte Antoine Desjardins. Ça m’avait marqué et j’ai décidé que pour agir, je ne passerais pas par l’enseignement, par l’alarmisme, le post-apocalyptique. »
Il y a cinq ans, il s’est donc tourné vers la littérature, plus spécifiquement le roman. Mais là encore, il y a eu un os.
« Ça ne se tenait pas. La forme ne convenait pas au sujet, qui renferme tellement d’enjeux. J’ai donc emprunté la voie de la nouvelle et, après deux mois, j’avais rédigé 100 pages, s’émerveille l’écrivain. Ç’a cliqué immédiatement parce que j’ai pu travailler davantage du côté de la sensibilité. C’est fait avec délicatesse et au lieu d’effleurer, ça va plus en profondeur. »
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TROIS NOUVELLES VUES PAR LEUR AUTEUR
Sept nouvelles. Sept fenêtres sur le monde ouvertes par Antoine Desjardins dans son premier livre, Indice des feux. Voici comment il perçoit trois d’entre elles, où les protagonistes sont confrontés à des enjeux différents, en prise directe avec leur vie.
• À boire debout
Le narrateur est un adolescent en colère. Désespéré aussi, parce que la leucémie qui l’a cloué sur un lit d’hôpital ne lui donne aucune raison de croire à une issue favorable. Il le sait et il le sent, tout comme le lecteur peut le percevoir à travers ses formules à l’emporte-pièce, sa langue de papier sablé. «C’est ce que j’aime de la nouvelle, l’idée que chacune ait son langage. Dans ce cas-ci, il était important de ressentir l’urgence d’un type qui repose sur son lit de mort. Il n’a pas le temps de faire des conjugaisons du passé simple. Comme lui-même le souligne, il n’y a aucune place pour le flafla. C’est sa parole d’adolescent qui se sait arrivé au bout», note Antoine Desjardins. Il reconnaît que ce texte fut difficile à calibrer, puisqu’il fallait trouver le ton juste, gage d’authenticité. De surcroît, l’écrivain a dû effectuer des recherches sur la maladie afin de savoir comment elle affectait les gens qui en sont atteints, physiquement et psychologiquement. «La douleur est constante», résume-t-il.
• Feu doux
Une famille au train de vie modeste, avec des parents soucieux d’offrir un avenir meilleur à leur progéniture. Leur définition de la réussite est plutôt convenue, mais les trois plus vieux s’y sont volontiers conformés, dont le narrateur. Il a bûché pour se tailler une belle situation, comme on dit, mais sait que son frère cadet dispose d’un plus gros coffre d’outils que le sien. Tous les espoirs sont donc permis, d’autant que ce prodige, prénommé Louis, collectionne les beaux bulletins, sans même avoir l’air de forcer. Il semble parti pour la gloire jusqu’au jour où, sans avertissement, cet homme tranquille, un brin lunaire, prend conscience que la planète s’en va chez le diable. Il se fait militant, avant de s’imposer un régime de vie proche du dénuement. «Dans cette nouvelle, le fil conducteur, c’est la relation. La relation à l’avenir. La relation aux êtres vivants. La relation de fraternité. Ces frères n’ont plus les mêmes repères, plus les mêmes objectifs. L’aîné croit que Louis fait un trip de hippie, tout en sentant une forme de reproche vis-à-vis son mode de vie conventionnel, alors que ce n’est pas le cas », signale Antoine Desjardins. Ce qui lui plaît dans cette histoire, c’est que l’amour fraternel a le pouvoir de transcender les frictions. «Ça crée quelque chose de beau», estime l’écrivain.
• Ulmus americana
Le livre a failli s’appeler Solastalgie, un mot désignant le sentiment que produit la perte d’un lieu auquel on s’est identifié. Dans cette histoire, on pourrait parler d’une perte appréhendée, celle d’un vieil orme que son propriétaire, grand-père du narrateur, fait traiter dans l’espoir fou qu’il échappera aux griffes de la maladie hollandaise. «Je suis très fier de cette nouvelle, la deuxième que j’ai écrite, confie Antoine Desjardins. Si on peut aimer un arbre de cette façon, une relation amoureuse, est-ce que ça pourrait s’étendre à une forêt? Ce désir de prendre soin, si on l’amenait à une autre échelle, aurait le pouvoir de changer le monde. Ainsi, on ne fermerait plus les yeux sur le saccage de l’Amazonie.»