Dans les quartiers, il n’y avait aucune voiture dans les rues, les gens étaient confinés dans leur maison avec les rideaux grands ouverts. Il y avait quelques voitures sur le boulevard Talbot, mais on avait la paix des jeunes rapides et dangereux qui s’amusent, d’habitude, à faire vrombir leur moteur bruyant lors de leurs petites courses d’accélération.
Curieusement, il y avait un véhicule au lave-auto, peut-être un lavage essentiel, et un autre individu qui passait une commande au service à l’auto chez A & W. La ville était morte et inerte. Je me place dans la peau des policiers et me dis qu’il n’y a aucune raison qui m’inciterait à contrôler les quelques véhicules qui circulent. Ils doivent sûrement avoir une raison d’être sur la route!
Le poste d’essence du centre-ville était ouvert, mais le propriétaire reçoit les clients un par un à l’intérieur et ne vend que des produits essentiels. « Il y a encore des gens qui se pointent le nez à 22 h pour acheter de la bière et je dois les virer de bord », m’a-t-il dit en me parlant dans le cadre de porte.
J’ai croisé surtout des véhicules de service comme Hydro-Québec, Ville de Saguenay, GardaWorld, des taxis et des camions de livraison. Le centre-ville de Chicoutimi était désert et la rue Racine libre à tous ses stationnements. Le seul endroit où il y avait de l’action, c’était dans le secteur de la Maison d’accueil pour sans-abri sur la rue Lafontaine. Le photographe Jeannot Lévesque s’est dit impressionné de voir le pont Dubuc sans voiture.
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Les sans-abri
Un homme qui sortait de la Maison d’accueil pour sans-abri est allé fumer une cigarette à la chaleur au guichet automatique de la Caisse populaire. Les policiers qui circulaient dans le secteur l’ont intercepté pour lui rappeler que nous sommes en situation de couvre-feu et qu’il devait retourner à la maison d’accueil.
Quelques minutes plus tôt, ma collègue Laura Lévesque et le photographe Jeannot Lévesque ont assisté à une intervention similaire près de la cathédrale et nous avons revu cet homme qui courrait dans la rue près de l’autogare.
« On ne peut pas faire grand-chose de plus que de leur demander de retourner à la maison d’accueil », a répondu le policier, qui nous demandait ce qu’on faisait dans la rue. On l’a informé que nous étions journalistes. Quelque part, nous sommes les yeux des citoyens; on va jeter un oeil pour voir un peu comment ça se passe à l’extérieur pendant que vous devez rester chez vous. Les policiers, qui en étaient à leur premier quart de travail depuis la mise en place du couvre-feu, ont été très courtois.
Nous avons rencontré deux travailleuses de rues qui se tenaient pas loin de l’intervention policière. La directrice générale du Service de travail de rue, Janick Meunier, n’est jamais loin de sa clientèle quand c’est le temps de lui venir en aide.
« On les rencontre pour leur expliquer qu’il y a un couvre-feu et leur indiquer comment agir. Lors de la première vague, il y avait des gens qui ne savaient pas que la COVID était parmi nous. Ces gens, sans abri, n’écoutent pas la télé, ne lisent pas les journaux, n’ont pas de téléphone cellulaire. On voit à les informer de la situation sanitaire, à leur procurer des masques et à leur expliquer ce qui se passe », fait savoir la travailleuse de rue, qui était accompagnée de sa collègue Stéphanie Bouchard.
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« Nous allons parler avec les policiers plus tard pour les informer que nous sommes présents dans le secteur et que nous allons organiser des transports entre la Maison d’accueil et le Refuge », a précisé Janick Meunier.
Promenade sur mars
Ça fait vraiment bizarre de voir la ville déserte. J’ai roulé vers Jonquière, sur l’autoroute, pour prendre la sortie de la rue Saint-Hubert et je n’ai croisé aucun véhicule pendant 15 minutes. Là aussi, dans les rues de quartier, les rideaux sont ouverts, il n’y a personne pour écornifler dans les fenêtres.
Les seuls individus qu’on croise dans la rue sont les personnes qui promènent leur chien. Nous sommes en droit de nous demander qui promène qui. J’ai l’impression parfois que le maître du chien a plus besoin de prendre une marche que son animal.
Ça m’a fait penser à la chanson d’Offenbach, Promenade sur mars.
« Je vous espionne de ma fenêtre
Promeneuse qui avez un chien
Vous et le chien
Vivant sans doute sur une autre planète
Où l’homme que je suis
Quoiqu’il en pense
N’a pas accès
Ni de près ni de loin »
La planète COVID n’a pas fini de nous en faire voir. Même s’il y a de la lumière au bout du tunnel, on ne sait pas de quoi encore est fait ce tunnel et combien il est long.
Couvre-feu
Sur les Internet, on raconte que le couvre-feu trouve son origine à une époque où on demandait aux gens d’éteindre le feu de foyer avec une cloche de fonte pour diminuer les risques d’incendie de 20h à 5h du matin.
Pour ce qui est de la région, l’ancien journaliste radiophonique et gardien de la mémoire collective, François Lafortune, nous rappelle sur sa page Facebook que le confinement qui a débuté samedi sous forme de couvre-feu n’est pas une première.
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« Jusqu’aux années 1960, ces règlements municipaux voulaient que les jeunes ne traînent pas dans les rues après 20h ou 21h. Le plus souvent, ces couvre-feux étaient motivés par un souci de bonnes moeurs. Le son de sirènes annonçait l’entrée en vigueur ». On ne peut pas comparer un couvre-feu total décrété par la Santé publique et bonnes moeurs, mais il s’agissait tout de même d’un couvre-feu.
« Une autre mesure civile s’est aussi installée durant la Seconde Guerre mondiale: des exercices d’OBSCURATION. À un moment convenu, les exercices consistaient pour les citoyens à éteindre toutes les lumières. Durant la Guerre, il fallait être prêt à obscurcir toute la région pour devenir invisible en cas d’attaques aériennes des ennemis allemands, déjà présents avec leurs sous-marins dans le fleuve Saint-Laurent. »
François Lafortune cite des textes des journaux Le Colon de Roberval du 16 mai 1939 et Le Progrès du Saguenay du 19 février 1942.