« Enfin », lance d’entrée de jeu Alain Webster, professeur en économie de l’environnement à l’Université de Sherbrooke, en soulignant que le plan était attendu avec impatience, car le gouvernement n’avait pas encore présenté de stratégie pour réduire les GES.
« Je me réjouis de voir la cohérence de l’État québécois, même si quatre gouvernements se sont succédé depuis la mise en place du marché du carbone », dit-il, en soulignant que plusieurs juridictions, comme ce fut le cas en Ontario, ont fait marche arrière en ce qui a trait à la lutte aux changements climatiques lors de l’élection d’un nouveau gouvernement. Au Québec, le marché du carbone a par ailleurs été voté à l’unanimité à l’Assemblée nationale, note ce dernier. Bien que Québec ait décidé de n’imposer aucune taxe aux individus sur les voitures polluantes, notamment, le marché du carbone est en soi une mesure d’écofiscalité forçant les entreprises à réduire leurs émissions, remarque Alain Webster.
L’expert en économie de l’environnement se réjouit aussi de voir que Québec a proposé l’objectif d’atteindre la carboneutralité en 2050, une cible ambitieuse.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/JBGZ2COICJF4FBT2TMWJRVAB7M.jpg)
Le plan ne présente que 42 % des mesures à accomplir d’ici 10 ans, mais le gouvernement a mis en place un système pour réviser les mesures chaque année. « Une des critiques du dernier plan 2013-2020 était la difficulté de le mettre à jour, souligne Alain Webster. Le gouvernement en a pris bonne note pour être plus agile et bonifier le plan. »
L’agilité sera de mise, car plusieurs technologies évoquées dans le plan pour une économie verte, comme les technologies pour la capture et le stockage du carbone, ou encore la production d’hydrogène vert, ne sont pas encore à point.
Des réductions à un coût variable
En gros, le plan de Québec mise sur trois secteurs clés, soit le transport, l’industrie, et les bâtiments, avec une proportion respective de 42, 41 et 13 % des réductions de GES. En comparant les montants investis dans les différents secteurs avec les réductions escomptées, on peut calculer des investissements de 700 dollars par tonne de GES pour électrifier les transports, 325 $/t GES pour les bâtiments, et 140 $/t de GES pour l’industrie.
Pourquoi Québec mise-t-il sur l’électrification du transport alors que c’est la mesure qui coûte le plus cher? « Ça serait un piège de commencer juste avec des mesures faciles », estime Martin Porier, chercheur principal chez Dunsky, une firme-conseil qui a réalisé un rapport intitulé Trajectoires de réductions des GES du Québec – Horizon 2030-2050.
Si Québec fait seulement les mesures les moins coûteuses en premier, les coûts deviendront exorbitants à terme, faisant peser un poids trop lourd sur l’économie. « Certaines mesures prendront beaucoup de temps à mettre en place, comme l’électrification du transport », dit-il. De plus, les investissements amèneront des retombées structurantes, pour la création d’emplois, la santé et sur la balance commerciale, car plus on utilisera l’énergie produite localement, moins le Québec sera dépendant de sources d’approvisionnement extérieures.
L’étude faite par Dunsky souligne notamment que l’efficacité énergétique permettrait à elle seule de créer ou maintenir 25 000 emplois et de faire croître le PIB du Québec de 4 milliards de dollars en moyenne par année à l’horizon 2030.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/ZXU6IZGJRNA3NGGPPVYEM4OV2Y.jpg)
Un plan d’électrification?
Selon Jérôme Dupras, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en économie écologique à l’Université du Québec en Outaouais, le plan présenté par Québec est avant tout un plan d’électrification, car Québec n’a pas présenté une stratégie plus large pour s’attaquer aux changements climatiques sur tous les fronts. Malgré les coûts importants, il reconnaît que l’électrification des transports est un chantier important pour le Québec.
Même si le plan aurait pu être plus complet, l’expert souligne que Québec a présenté un plan cohérent, investissant plus d’argent que jamais dans la lutte aux changements climatiques, en injectant 6,7 milliards de dollars sur cinq ans, et ce, malgré les effets néfastes de la pandémie sur l’économie.
La pièce manquante : les milieux naturels
Dans son Plan pour une économie verte, Québec investit « seulement des fonds de tiroirs, soit 2 % du budget, alors que la littérature scientifique suggère que l’on pourrait atteindre de 30 à 40 % de nos objectifs de réduction des GES en captant le carbone dans les milieux naturels », remarque toutefois Jérôme Dupras.
En quelques mots, Québec souligne qu’il investira 88 millions de dollars en sylviculture et 110 millions en agriculture, mais aucun objectif de réduction de GES n’y est associé. Au lieu de réduire les émissions de GES, les milieux naturels sont en mesure de capter du carbone, notamment en reboisant des terres en friches, générant ainsi des émissions négatives.
« Selon moi au Québec, les milieux naturels devraient être notre cheval de bataille pour s’attaquer aux changements climatiques », dit-il, en ajoutant que le Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) reconnaît la foresterie comme un outil de lutte aux changements climatiques. Bien que déçu de ne pas voir plus de mesures de capture du carbone en milieu naturel dans le plan présenté pour Québec, Jérôme Dupras voit tout de même le tout d’un bon oeil, car l’inclusion de projets du genre pourra bonifier le plan plus tard... à un coût assez faible. Plusieurs projets de reboisement peuvent se faire à moins de 30 $/t de GES capté, dit-il.
Selon le rapport Groupe de travail sur la forêt et les changements climatiques (GTFCC), commandé par Québec et publié en novembre 2019, pour déterminer comment le secteur forestier peut contribuer à l’atteinte des cibles de réductions de gaz à effet de serre, l’intensification de l’aménagement forestier pourrait permettre de capter jusqu’à 5,2 mégatonnes (Mt) de CO2 par année à un coût moyen de 10,46 $/t de GES. En ajoutant d’autres mesures d’aménagement forestier, les forêts québécoises pourraient permettre de réduire le bilan carbone du Québec de 10,4 Mt de CO2/année à un coût de 87,03 $/t de GES, soit 13 % du bilan carbone de la province.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/7D7JTOHRL5FL3BE4NQHJMHX4XQ.jpg)
Selon Jérôme Dupras, Québec étudie le dossier tout en demeurant prudent, car la province n’a toujours pas entériné un protocole de séquestration du carbone forestier... une mesure attendue depuis plusieurs années.
Dès que le protocole sera prêt, plusieurs projets pourraient voir le jour, car le chercheur travaille notamment avec l’Union des producteurs agricoles et le Conseil de l’industrie forestière du Québec pour présenter des projets de reboisements sur des bandes riveraines non cultivables. « On a identifié un potentiel de 50 000 hectares à reboiser », dit-il, ce qui permettrait de planter entre 50 et 75 millions d’arbres. « Ça ferait un énorme puits de carbone tout en amenant plusieurs autres écobénéfices », conclut le chercheur.
+
LE PLAN POUR UNE ÉCONOMIE VERTE EN CHIFFRES
• Réduire les émissions de GES de 37,5 % sous leur niveau de 1990 d’ici 2030.
• Atteindre la carboneutralité d’ici 2050.
• Avoir 1,5 million de véhicules électriques en circulation au Québec d’ici 2030.
• Aucune vente de véhicules à essence neufs à partir de 2035.
• 55 % des autobus urbains et 65 % des autobus scolaires électrifiés en 2030.
• 100 % des automobiles, VUS, fourgonnettes et minifourgonnettes du gouvernement et 25 % de ses camionnettes électrifiées en 2030.
• 50 % de réduction des émissions liées au chauffage des bâtiments en 2030.
• 60 % de réduction des émissions du parc immobilier gouvernemental en 2030.
• 10 % de gaz naturel renouvelable (GNR) dans le réseau en 2030.
• 50 % d’augmentation de la production de bioénergies d’ici 2030.
• 70 % de l’approvisionnement énergétique des réseaux autonomes en énergies renouvelables d’ici 2025.