«J’ai un devoir de mémoire vis-à-vis ce violon, a confié Sébastien Deshaies à l’occasion d’une entrevue téléphonique accordée au Progrès. Auparavant, j’interprétais beaucoup de pièces de “Ti-Jean” Carignan. Je parle de lui dans mes conférences, mais là, j’approfondis le répertoire de monsieur Boudreault afin de le partager avec les gens. Il faut qu’ils redécouvrent sa musique.»
Un sentiment d’urgence filtre dans sa voix, non parce que le temps lui est compté, mais en raison du geste posé par Lévis Boudreault, le fils de Louis, à la fin de juin. Ce jour-là, ils n’ont pas eu besoin de rouler longtemps pour se voir, puisque les deux résident dans la même ville. C’est toutefois à plusieurs kilomètres de là, dans le village de Saint-Jean-Port-Joli, qu’ils se sont connus en septembre 2019.
« Lévis m’a entendu jouer là-bas, pendant un spectacle où je rendais hommage à “Ti-Jean” Carignan. Lui et son épouse ont eu un échange avec ma conjointe. Nous avons ensuite réalisé que nous vivions au même endroit », raconte Sébastien Deshaies.
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/SGKOM4TVYBGPDPRTJSVBNT4ZMU.jpg)
Neuf mois plus tard, il a eu la surprise d’hériter du précieux instrument et, comme pour rendre la chose un peu plus solennelle, c’était pendant la Fête nationale.
« Monsieur Boudreault, qui était menuisier, avait développé un intérêt pour la lutherie. Il a fabriqué huit violons et je suis propriétaire du plus ancien, parce que Lévis voulait qu’il revive, décrit le musicien. Aussitôt, j’ai demandé à un ami luthier de le remettre en état et il y est parvenu sans même avoir besoin de l’ouvrir. Je trouve que c’est de la matière brute qui est l’fun à jouer. On voit qu’il est bien ajusté, que la sonorité est intéressante. Il a un son de violoneux. »
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/JEH4KTGXVBA3BEZXE623CVXEMQ.jpg)
:quality(95)/cloudfront-us-east-1.images.arcpublishing.com/lescoopsdelinformation/CQKFORIUI5AMJFSTGZPLN7HCDM.jpg)
Fait à signaler, ce violon n’est pas celui sur lequel Louis «Pitou» Boudreault avait l’habitude de jouer. Cette pièce de collection est préservée à La Pulperie de Chicoutimi. Encore étonné de sa bonne fortune, le Shawiniganais prend plaisir à apprivoiser des pièces comme Le batteux, enregistrée dans les années 1970, ou Le reel du pendu. Il y a quelques jours, il a utilisé l’instrument pour la première fois à Sainte-Thérèse, lors d’une activité intitulée Le violon du Québec raconté. Le contenu, bien sûr, a été remanié.
« Je donne souvent des conférences dans les bibliothèques et dès que ce sera possible, j’aimerais le faire au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Une approche avait été faite il y a deux ans, mais ça n’avait pas abouti. Le violon change la donne », estime Sébastien Deshaies.
En attendant que la crise sanitaire se résorbe, il continue d’accumuler des témoignages et des documents. L’objectif consiste à sortir un documentaire en 2021, parallèlement à un spectacle qui ferait la part belle au virtuose de Chicoutimi.
+
UN VIRTUOSE UNIQUE EN SON GENRE
S’il n’en tenait qu’à lui, Sébastien Deshaies emprunterait une capsule temporelle afin d’aboutir à Chicoutimi au début du 20e siècle. Passionné par le violoneux Louis «Pitou» Boudreault, il pourrait voir dans quel contexte celui-ci s’est initié à la musique folklorique et comment s’est développé son style unique, reconnu de par le monde.
« Il est né en 1905 et a commencé à jouer à l’adolescence. Son père (Didace) et son grand-oncle Thomas Vaillancourt étaient des violoneux réputés. Monsieur Boudreault n’ayant jamais suivi de cours, il a appris par observation, ce qui était pratique courante à l’époque. C’est ce qui amenait de petites variantes dans les interprétations », explique le musicien originaire de Shawinigan.
La différence entre Louis « Pitou » Boudreault, son père et son grand-oncle, est qu’il a acquis une grande notoriété dans les années 1970. On a pu le voir dans le documentaire La veillée des veillées, entre autres, en plus de l’entendre sur quelques microsillons. Il a aussi participé à des festivals internationaux, sans toutefois négliger le rendez-vous annuel que constituait le Carnaval-Souvenir de Chicoutimi.
Appelé à cerner ce qui le distinguait des autres musiciens, Sébastien Deshaies souligne un trait caractéristique du Saguenay–Lac-Saint-Jean. « Comme on dansait beaucoup le brandy et la “danse frottée” dans cette région, le jeu de monsieur Boudreault était très rythmique, avec des tapements de pieds. Il a été le principal représentant de ce style », décrit-il.
Le visionnement de plusieurs documentaires a aussi fait ressortir la virtuosité du Chicoutimien. « Il jouait des pièces en bémol, par exemple, ce qui requiert beaucoup de dextérité, fait observer son jeune collègue. C’est de cette manière que monsieur Boudreault a créé l’une de ses rares compositions, La traversée du Saguenay. »
Il est également fasciné par la capacité du violoneux de produire ce qu’on appelle un bourdon. « C’est le principe de la double corde, comme pour s’accompagner, note Sébastien Deshaies. Il raccordait son instrument afin d’ajouter une note sous la mélodie. Cette pratique était conforme à l’ancien style, dont l’origine remonte au 19e siècle. »
Le plus étonnant est que Louis «Pitou» Boudreault avait cessé de faire de la musique pendant 35 ans lorsqu’un concours de circonstances en a fait une célébrité instantanée. Comme le rapporte L’Encyclopédie canadienne, il assistait à un concours de violoneux à Montréal, en 1973, quand on l’a poussé à s’inscrire. Il l’a fait contre son gré, avant de remporter la compétition.
« Sa renommée tardive trouve son équivalent chez “‘Ti-Jean”’ Carignan, qui conduisait un taxi pour gagner sa vie. Après qu’on ait reconnu son talent, monsieur Boudreault s’est mis à jouer en Europe, à Toronto. Lise Payette l’a reçu à l’émission de télévision Appelez-moi Lise. Lui, par contre, a toujours eu la nostalgie du temps où son père et son grand-oncle animaient des soirées », raconte Sébastien Deshaies.