Dans l'oeil de Serge Corbin: la rivière, mon terrain de jeu

Le record de 26 victoires de Serge Corbin à la Classique internationale de canots ne sera sans doute jamais battu.

La Classique internationale de canots coule dans ses veines depuis l’adolescence. Auréolé de 26 victoires, un record qui ne sera jamais battu, Serge Corbin est considéré comme l’un des meilleurs athlètes de la Mauricie, toutes disciplines confondues. Pour les raisons que l’on connaît, la traditionnelle descente de la rivière Saint-Maurice, entre La Tuque et Trois-Rivières, est annulée pour 2020. Une première en 75 ans. Le Nouvelliste vous propose, avec ce repos forcé de la Reine du canot marathon, une rencontre à la première personne avec son plus grand ambassadeur, dans le cadre de la série Dans l’oeil de. Celui qui, en vertu d’une victoire provinciale à Saint-Alexis-de-Monts cet été aux côtés de Christophe Proulx, peut se targuer d’avoir gagné des courses de canot dans six décennies différentes...


Propos recueillis par Louis-Simon Gauthier

Du plus loin que je me rappelle, j’ai toujours été sur l’eau. D’où je demeurais avec ma famille, on regardait les bateaux défiler devant le Chemin du Passage, au Cap-de-la-Madeleine, où on pouvait aussi se baigner.

Je n’avais pas 8 ans que je sautais dans une chaloupe, avec mon ami, pour traverser le Saint-Maurice. Notre fun? Ramasser les balles de golf du club Kanipco, situé juste en face.



Je garde de beaux souvenirs de cette époque, qui a forgé la personne que je suis devenu. Les parties de pêche, le pont du chemin de fer, les baignades: j’étais fait pour être sur l’eau.

Les Américains nous faisaient rêver

Les Américains Irwin Peterson, Ralph Sawyer, Eugene Jensen et le Manitobain Gib McEachern; ou encore nos canotiers du Québec Jean-Guy Beaumier et Gil Tinkler: ces hommes étaient nos idoles. La Classique de canots, c’était gros et ça passait devant chez nous. Voir les Américains ou nos canotiers de la place dominer sur la rivière nous motivait à ramer plus vite, lors de nos longues sorties autour des îles.

Je n’avais pas encore l’âge pour y participer. Mon frère Claude, de 12 ans mon aîné, s’était inscrit à l’événement une première fois au milieu des années 60 et il se débrouillait bien. Il a même remporté la Classique avec Beaumier et Luc Robillard!

Je savais qu’un jour, ce serait mon tour. Assister aux victoires de mon frère, aux côtés de milliers de personnes, le voir devancer Peterson et tous les autres, c’était incroyable!



Je dois beaucoup à Claude, qui m’a inculqué cette passion pour le canot. Monsieur Landry, le père de Jean-Guy, un autre canotier, avait acheté une première embarcation à Claude et son fils. Lui aussi, il a été très important pour nous. Pour 10 sous, il nous faisait faire le tour du champ avec une bille de bois sur l’épaule, afin qu’on pratique nos portages! Il prenait ça à cœur et j’imagine qu’il voyait un certain potentiel en nous.

Nous descendions le fleuve Saint-Laurent la fin de semaine jusqu’à Batiscan parfois, des randonnées de 7 ou 8 heures. J’adorais m’entraîner. Même si c’était difficile sur le système! À quoi pouvait ressembler un week-end typique pour les frères Corbin? On se lève, on part en bateau, on mange, on revient, on va se coucher! Ma pauvre mère s’inquiétait pour son plus jeune...

Ceci dit, les séances intenses de rame sur le fleuve et la rivière, pas des cours d’eau faciles à gérer, étaient payantes. Au début des années 70, mon nom commence à sortir dans les médias locaux grâce à des victoires lors de courses régionales au Tour des îles, en compagnie de Claude. On formait un bon duo.

De l’avis de plusieurs, le roi de la rivière Saint-Maurice aurait pu atteindre les Jeux olympiques s’il avait opté pour le ski de fond ou le cyclisme, par exemple.

Au début, je me souviens que mon grand frère ajoutait des roches dans le canot, puisque je n’étais pas assez pesant. Il travaillait fort pour s’améliorer en pensant à la Classique. Luc Robillard, un gars de Mont-Laurier, descendait dans la région de Trois-Rivières plusieurs fois par année pour venir s’entraîner avec Claude. Quand tu es témoin de leurs efforts, difficile ne pas essayer de les imiter.

En allant voir le niveau des glaces sur la rivière un soir de la fin avril, j’ai d’ailleurs failli le payer de ma vie, quand mon canot s’est rempli d’eau. J’ai été chanceux et j’ai pu me sortir de l’eau, avant d’être secouru, alors que j’étais sur un pilier, au milieu de la rivière. Je suis rentré à la maison, emmitouflé dans un gros manteau prêté par les policiers. Ma mère ne l’avait pas trouvé drôle!

Enfin mon tour

En 1972, Claude et moi avons tout gagné sur le circuit régional et provincial. L’année suivante, à 16 ans, j’ai enfin eu ma chance à la Classique. Assister aux courses des berges et se retrouver au cœur de l’action, c’est le jour et la nuit!



On a gagné la première étape, puis la deuxième. L’adrénaline qui te gagne quand tu traverses les portages et que des milliers de personnes sont là pour t’accueillir, c’est difficile à décrire. On se rapprochait de notre but, avant la dernière étape, puis Claude est tombé malade.

Durant la nuit de dimanche à lundi, il avait vomi et n’avait pas dormi. Je ne l’ai pas su tout de suite. En remontant le courant lors du tour des îles à Trois-Rivières, pour l’étape finale, on a manqué de gaz et avons terminé deuxièmes au cumulatif, derrière Dan Hassel et Eugene Jensen.

Nous étions un peu déçus, mais la victoire, ma première en carrière en 1974, ne serait que plus satisfaisante. À 17 ans, je réalisais mon rêve d’être sacré champion de la Classique! Malgré tout ce que j’ai vécu ensuite, dont les neuf triomphes consécutifs jusqu’en 1982, ça demeure mon plus beau souvenir sportif.

À mon humble avis, c’est la période où la compétition à la Classique aura été la plus forte. La moitié des canotiers provenait de l’extérieur du Québec. Ce serait bien de pouvoir revivre cette époque.

Quarante-six ans plus tard, je suis encore en contact avec eux. Il y a de belles amitiés. C’est toujours agréable de se remémorer les grands et les petits moments. Les anecdotes, on en collectionne! Curieusement, j’emmagasine plus facilement les souvenirs des éditions où j’ai terminé deuxième. Allez savoir pourquoi!

Plus que des victoires

Je n’ai jamais cherché la gloire ou la reconnaissance, mais j’ai pleinement savouré toutes mes victoires en canot long parcours. Je ne peux pas dire que la Classique était ma compétition préférée, sauf que ça reste la nôtre, c’est notre Classique. Elle a toujours eu un cachet particulier.

Comment oublier des personnalités comme Irwin Peterson? À 50 ans, il fumait ses cigarettes et pourtant, il était encore parmi les meilleurs! À l’époque des pitounes sur la rivière, je me souviens que nous avions carrément créé un chemin, à travers les bûches. On a tricoté de Mattawin jusqu’à Saint-Roch-de-Mékinac, en s’assurant de ne pas briser la pince du canot!

Une autre fois, avec Normand Mainguy, je n’avais plus de rame pour continuer. Des plaisanciers nous observaient au loin et un homme avait eu la générosité de me prêter sa grosse rame en aluminium de 70 pouces. J’ai été dépanné comme ça pendant 30 minutes!



Serge Corbin et son coéquipier Christophe Proulx, lors de la course de Saint-Alexis-des-Monts, plus tôt cet été.

Sans surprise, il y a aussi eu des rivalités. Ça fait partie du sport, même que ç’a pu alimenter de manière favorable la couverture de la Classique par les médias. Le ton a parfois monté avec certains compétiteurs, preuve que tous s’y investissent avec le sérieux que ça demande.

Pas de regret

On m’a souvent signifié que j’aurais pu devenir un olympien, dans un sport plus connu et médiatisé. Des professeurs à l’UQTR parlent encore de mes résultats à la VO2max (consommation maximale d’oxygène)! Je n’ai jamais abordé les choses de cette façon, car j’ai fait ce que j’ai aimé. Tant mieux si le succès suivait!

Plus jeune, j’ai reçu des offres pour rejoindre l’équipe de cyclistes du Québec. On me fournissait deux vélos et un entraîneur. Ça ne m’intéressait pas.

À la fin des années 70, j’ai bien connu Pierre Harvey. On faisait partie de l’équipe du Québec, mais je revenais à ma passion durant la saison estivale.

Si le club de canoë-kayak avait été fondé plus tôt à Trois-Rivières, je l’aurais sûrement rejoint. Est-ce que j’aurais pu avoir un parcours similaire aux Frost, Dober, Beauchesne-Sévigny et Vincent-Lapointe? Peut-être. Je suis serein avec ça et le plus important, c’est que je suis encore en santé à 63 ans.

J’ai dû me faire opérer à l’épaule gauche au début des années 80, conséquence des mouvements répétitifs dans le canot. Mon médecin m’avait conseillé d’arrêter le canot. Ça m’aurait énormément déçu.

Serge Corbin, entouré de Réjean Morinville et Michel Beauchesne.

Je suis allé consulter un spécialiste à Québec et ce fut l’une des bonnes décisions que j’ai prises, car cela m’a permis de renouer avec la compétition, malgré une épaule qui n’est jamais revenue à 100%.

La suite? On ne sait jamais...

Ma dernière Classique remonte à 2010. J’ai souvent dit aux organisateurs que j’y retournerais si l’occasion d’y performer se présentait à nouveau. Dans ma tête, si je monte à La Tuque, c’est pour gagner à Trois-Rivières.

J’ai pris part à la course de Cooperstown en mai 2018 et 2019. Je sais que plusieurs ont espéré que j’annonce mon retour officiellement. Les circonstances s’y prêtaient, car Guillaume Blais et Normand Mainguy, tour à tour, cherchaient un coéquipier. Ça s’est bien passé.

Se préparer en vue de la Classique internationale de canots, ça demande du temps. Si je m’y remets, ce sera à 100%, pas juste à moitié. Je ne dis pas oui... et je ne dis pas non!



La culture du canot, un héritage

Comme vous, je suis triste qu’il n’y ait pas de Classique cette année. La pandémie a chamboulé nos vies, mais je sais que plusieurs personnes ont aussi redécouvert les sports de rame. Je me réjouis de voir autant de monde sur la rivière ou le fleuve, cet été. J’espère que cela entraînera un regain de popularité pour le canot long parcours.

La rivière est belle, moins polluée qu’avant. Avec la drave, pendant longtemps, l’eau était noire et on ne voyait pas au travers. Elle est plus limpide aujourd’hui, heureusement!

À bien y penser, nous sommes privilégiés d’avoir un si grand terrain de jeu dans notre région, en plus du parc national. Il n’y a pas une tonne d’endroits où je me suis senti mieux que sur la rivière Saint-Maurice, dans la longue portion longeant la route 155. Quand la montagne reflète dans l’eau, tu réalises la chance que tu as de vivre ça.