Des chercheurs de l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et du Groupe de recherche sur les mammifères marins (GREMM) en arrivent à ce constat au terme de la première année d’un projet de recherche de cinq ans, financé par Québec, sur les interactions entre la navigation et les bélugas.
De nouvelles analyses menées à partir de données tirées de photos ont révélé qu’au moins 50% de la population adulte de bélugas du Saint-Laurent fréquentent le fjord du Saguenay. Il en est de même pour environ 67% des femelles adultes.
Les chercheurs pensaient auparavant que seulement 5% des bélugas transitaient dans le fjord, souligne Jérôme Dupras, professeur spécialisé en analyses économiques et écologiques à l’UQO et cochercheur du projet de recherche. Un constat «majeur», estime-t-il, en entrevue avec Le Quotidien.
Un simulateur a ensuite permis d’estimer l’impact que l’augmentation de la navigation dans le Saguenay pourrait avoir sur l’exposition des bélugas au bruit sous-marin. Les premières simulations prédisent des niveaux d’exposition au bruit qui pourraient être trois fois plus élevés que les premières études sur le sujet.
«Ces résultats-là, ils passent de la lumière qui était rouge clignotante où on disait: ‘‘Patience, prudence, c’est risqué’’, à là où on la met au rouge», expose pour sa part Robert Michaud, président et directeur scientifique du GREMM, qui est également cochercheur du projet dirigé par Clément Chion, de l’UQO.
Ce constat de l’équipe, ajouté à la situation critique de la population d’environ 1000 bélugas du Saint-Laurent, menacée et en déclin, amène les scientifiques à recommander un moratoire immédiat. Une évaluation complète des impacts du bruit des navires sur les bélugas doit être complétée avant que des projets de développement qui entraîneraient une hausse du trafic maritime sur le Saguenay puissent voir le jour, estiment-ils.
«Les premiers résultats nous permettent de dire qu’on a besoin de cette approche-là, parce que notre façon de mesurer l’exposition auparavant était erronée», a poursuivi M. Michaud. Le bruit fait partie des trois principales menaces au rétablissement de la population de bélugas, en plus des contaminants et de l’accès à la nourriture.
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«Pas un moratoire qui est anti-développement»
Les scientifiques recommandent à Québec et à Ottawa d’imposer un moratoire jusqu’en 2023. Une version finale du simulateur développé par les chercheurs permettra alors de mieux évaluer les impacts sur les bélugas. Des façons de réduire les impacts de l’augmentation de la navigation pourront aussi être évaluées.
«Ce n’est pas un moratoire qui est anti-développement, ce n’est pas un moratoire éternel», insiste Jérôme Dupras. L’objectif est de protéger le fjord du Saguenay qui représente l’équivalent d’un «refuge acoustique» pour le béluga, en attente de la conclusion du projet de recherche.
Le projet de recherche, qui implique des partenaires du milieu et des acteurs de l’industrie, permettra d’étudier l’impact de mesures de réduction du bruit.
«Donc [étudier] combien on peut mettre de navires, quelles sont les routes, quelles sont les vitesses, quels sont les équipements sur les navires qui vont faire en sorte qu’on pourra faire du développement à telle hauteur, tout en sauvegardant la population qui est à risque», énumère le chercheur.
Les chercheurs ont espoir d’être entendus par les gouvernements, alors que Québec et Ottawa financent des projets de recherche et déploient des plans d’action sur le béluga.
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PAS DE LIEN AVEC LE BAPE DE GNL, ASSURENT LES CHERCHEURS
Les chercheurs assurent que la décision de rendre publique mercredi la recommandation d’un moratoire n’a pas de lien avec le début, dans moins de deux semaines, du mandat du Bureau d’audiences publiques du Québec (BAPE) sur le projet d’Énergie Saguenay de GNL Québec.
Le projet de GNL Québec prévoit l’exportation par bateau sur le Saguenay du gaz naturel à partir de son projet d’usine de liquéfaction à La Baie.
«Nous, c’est vraiment l’idée de partager l’information. Ce n’est aucunement ciblé envers quoi que ce soit comme projet», a souligné Jérôme Dupras, cochercheur du projet de recherche.
Le ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs, qui finance le projet de recherche de 2,1 M$, a demandé à l’équipe de produire un rapport d’activités après la première année du projet.
Le rapport de quelque 120 pages rendu public est daté de décembre. Ce n’est cependant qu’en août qu’une version finale a été remise au ministère et transmise aux différents partenaires, a expliqué M. Dupras.
M. Dupras était l’un des instigateurs et signataires d’une lettre signée par 40 économistes et chercheurs en économie qui remettaient en question le projet de GNL Québec, en octobre dernier.
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JUSQU’À UN MAXIMUM DE 820 TRANSITS SUPPLÉMENTAIRES
Les projets de développement industrialo-portuaires sur le Saguenay pourraient entraîner une augmentation maximum estimée à 820 transits de navires marchands par année dans l’habitat estival du béluga, selon les données utilisées par les chercheurs dans leurs premières simulations.
Ces données sont tirées des informations transmises par la Stratégie maritime du Québec. Québec a obtenu les données des promoteurs des projets de développement en cours comme ceux de GNL Québec et des sociétés minières Métaux BlackRock et Arianne Phosphate.
Cette estimation maximale correspond à une augmentation moyenne d’environ 2,2 transits additionnels par jour sur le Saguenay, peut-on lire dans le premier rapport d’activités du projet de recherche.
Le nombre de transits n’a cependant pas d’impact sur les résultats préliminaires que l’équipe rend publics mercredi, souligne le cochercheur Robert Michaud.
«Quand on évalue l’effet de 600 ou 800 transits de plus, si on le fait avec l’approche proposée par notre équipe, c’est-à-dire en tenant compte des caractéristiques sociales des bélugas, les mesures d’exposition qu’on obtient sont jusqu’à trois fois plus importantes que si on n’en tient pas compte», explique-t-il.
Le niveau d’avancement des projets industrialo-portuaires sur le Saguenay a permis aux chercheurs de générer de premières simulations. L’équipe s’intéressera également à l’estuaire du Saint-Laurent dans ses recherches.
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