Publié à La Peuplade, il s’agit du premier roman de Mireille Gagné, qui vit à Québec. Après avoir exploré les médiums de la poésie et de la nouvelle, l’idée lui est venue d’évoquer un sujet qui la touche au plus près de son être: le workaholisme. Elle-même a frôlé cet état qui, de son point de vue, n’a rien d’une vertu. Le zona s’est alors interposé, un mal qui, à l’en croire, fut salutaire.
« J’ai un peu sombré dans ça, reconnaît l’écrivaine, en parlant du workaholisme. On veut être meilleurs, que tout soit parfait, mais des questions ont surgi quand, pendant deux semaines, je me suis retrouvée à ne rien faire. Comment peut-on être à bout de souffle à 37 ans ? Qu’est-ce que j’ai raté ? »
Le désir de recentrer sa vie est devenu trop essentiel pour qu’elle puisse le glisser dans une petite case. Une pause ne suffirait pas, ce qui a donné naissance à un projet d’écriture.
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Elle a raconté la transformation de Diane, puis son contrepoint, une expérience vécue à L’Isle-aux-Grues pendant l’adolescence du personnage. Arrivé de la ville avec ses parents, un garçon de son âge, Eugène, est devenu son âme soeur, en même temps qu’une sorte de passeur. Les plantes, la faune et le comportement de la nature: tout lui était familier, à lui, l’étranger. Un jour, toutefois, il est disparu sans laisser de trace et son amie a quitté l’île. Définitivement.
« J’ai intercalé les deux parties avant d’en ajouter une troisième, sans ponctuation, où on voit ce qui a poussé Diane à bout dans le contexte de son travail. C’est là que j’ai réalisé que j’avais un roman entre les mains. Je voulais en écrire un et c’est arrivé par accident », constate Mireille Gagné.
L’île, un personnage
L’autre personnage important dans Le lièvre d’Amérique est L’Isle-aux-Grues, plus spécifiquement son cadre naturel. Garde-chasse, le père de l’écrivaine la connaissait intimement. Il n’avait qu’à tendre l’oreille, jauger la part d’intangible que renferme l’air, pour deviner qu’une volée d’oiseaux se profilerait dans quelques heures. De telles choses échappaient à la compréhension de sa fille, tout comme maintes expressions propres à cette société qu’elle ne fréquentait que pendant les vacances estivales.
« J’ai intégré une partie de ce langage et je trouve que ça rend le livre plus crédible, avance Mireille Gagné. Ça m’a aussi rapprochée de mon père, qui est décédé il y a une dizaine d’années. Il faisait partie de l’île, alors que ma mère, elle, vient de la Gaspésie. »
Cet espace de moins en moins habité, surtout pendant l’hiver, est si différent de Montréal, où Diane est en train de perdre la raison. « Je désirais confronter l’effervescence de la ville à la nature exceptionnelle, magnifique, qu’on retrouve à L’Isle-aux-Grues, affirme l’écrivaine. À force d’y vivre, on est confrontés à sa puissance, ce qui nous ramène vers l’intérieur. »
L’ironie est que le lièvre n’est plus présent sur l’île. La population a été décimée. En revanche, il compte parmi les animaux qui dorment le moins, ce qui correspond au voeu de Diane, tandis que certains de ses attributs sont présents chez Eugène. « Je voulais que le lièvre soit lié à un être humain, tout en demeurant évasive. Ainsi, le personnage d’Eugène, un peu nébuleux, résonnera chez les lecteurs de la manière qui leur convient », énonce Mireille Gagné, dont le roman arrivera en librairie le 20 août.
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UNE COLLABORATION FRUCTEUSE AVEC LA PEUPLADE
Il est des rendez-vous qui tombent sous le sens, comme celui de La Peuplade et du roman Le lièvre d’Amérique. L’ancrage dans le territoire, dans ce cas-ci L’Isle-aux-Grues, reflète le désir de la maison d’édition de constituer un catalogue représentatif de l’imaginaire des régions nordiques.
« C’est après avoir trouvé la légende algonquienne d’Alanis Obomsawin, celle qui conclut le récit, que j’ai contacté Mylène Bouchard. Je trouvais qu’il y avait le souffle de La Peuplade à l’intérieur de ce livre », raconte l’auteure Mireille Gagné.
Ce fut le point de départ d’une collaboration qui, à tous égards, se sera révélée fructueuse.
S’agissant du texte, par exemple, il a fait l’objet de deux lectures. D’abord celle de Paul Kawczak, suivie par le regard qu’a posé Mylène Bouchard, directrice littéraire. Parmi les questionnements qui ont retenu leur attention, on note celui sur les indices qu’il convenait, ou pas, de livrer au lecteur.
À cet égard, l’approche de la romancière rejoint celle des adeptes de la gravure à la manière noire. Travaillant à partir d’une surface peinte, c’est à force de gratter qu’ils libèrent juste ce qu’il faut de lumière. Cent fois sur le métier, il faut soustraire, une philosophie dont on retrouve la trace dans Le lièvre d’Amérique.
« On cherche toujours la lumière. Même si le thème est sombre – le phénomène du workaholisme –, je trouvais important qu’il y ait de l’espoir à la fin, qu’on en sorte grandis, énonce Mireille Gagné. En même temps, de concert avec l’éditeur, j’ai enlevé des éléments afin que toutes les interprétations soient bonnes. C’est un travail délicat, puisqu’il faut trouver le juste équilibre. »
Pour couronner ces efforts, elle a eu le plaisir de découvrir la couverture produite par l’illustrateur Stéphane Poirier. Un ciel noir. Des étoiles, des flammes et un lièvre bleu parti à la belle épouvante.
La surprise fut agréable pour celle qui s’attendait à voir une photographie coiffer son dernier-né. « La couverture est tellement belle! Le lièvre un peu apeuré, avec le feu en arrière. Stéphane Poirier a saisi les émotions qu’on a en lisant ce roman. On sent la peur, la liberté, la douleur », constate Mireille Gagné.