La nuit est tombée depuis quelques heures sur la ville de Jacmel, commune du sud-est d’Haïti. Maurice Cadet est dans sa maison, au bord de la mer. Il est malade ; il a de la difficulté à respirer depuis trois jours. Des proches l’aident à sortir sur sa terrasse à quelques pas de la plage. Assis dans sa chaise préférée, l’écrivain s’éteint à l’âge de 86 ans. Vendredi 29 mai, 22 h.
À 3000 kilomètres de là, à Alma, c’est une onde de choc : beaucoup le connaissaient dans cette ville où il a enseigné de 1967 à 1995. Vingt-cinq ans après son départ, les gens se souviennent encore de sa voix calme, de ses poèmes récités par coeur, de sa porte toujours ouverte, de sa valise-bar qu’il trimbalait dans les soirées.
L’écrivain est décédé dans la ville qui l’a vu naître en 1933, au milieu de ces rues parfumées qu’il a tant racontées dans ses livres.
Il a grandi à Jacmel, cette commune d’Haïti surnommée « ville créative », avec ses maisons colorées pleines de gens, ses plages et ses petits cafés.
C’est là qu’il rencontre sa femme Marie-Claude et que naissent trois de ses cinq enfants. À cette époque, Maurice Cadet a déjà quitté le droit pour l’enseignement.
La situation est tendue en Haïti. Dans les années 60, plusieurs personnes disparaissent sous le régime du président François Duvalier. Les intellectuels sont particulièrement visés. Haïti n’est plus un endroit sûr pour la famille Cadet.
Prétextant un voyage à New York pour visiter des proches, les parents réussissent à fuir le pays. Leurs enfants les rejoindront six mois plus tard au Zaïre, où Maurice Cadet a décroché un emploi de professeur à l’Organisation des Nations Unies (ONU). On est 1965.
Pendant deux ans, la famille vit le bonheur avant que la situation ne s’envenime. Le climat politique est instable et des conflits éclatent un peu partout dans le pays. Des militaires se présentent parfois à la porte de la famille Cadet avec des armes. Ils ne sont plus en sécurité au Zaïre.
Ils sont envoyés à Bruxelles, puis aboutissent à New York pour voir des proches. Maurice Cadet cherche alors un emploi de professeur au Québec, mais ne trouve rien. Il est prêt à repartir pour l’Afrique lorsque le téléphone sonne. C’est un coup de fil d’Alma. On veut le rencontrer pour un emploi d’enseignant.
Le premier cours
Maurice Cadet saute dans un avion, puis dans un train. Le lendemain, à 7 h, il débarque à la gare d’Héberville-Station, sa petite valise à la main. Il embarque en vitesse dans un taxi qui l’emmène à son entrevue. Il obtient le poste et à 8 h, il est debout devant une classe bondée pour donner son premier cours.
Maurice Cadet passe sa première nuit à Alma, à l’hôtel Union. Il est à 3000 kilomètres de son pays, dans une ville qui deviendra bientôt chez lui.
Sa famille traverse le parc des Laurentides pour venir le rejoindre. « C’était une très belle expérience de débarquer à Alma, explique sa fille Yemitsu. On a découvert l’Halloween, les pommes, l’hiver. »
Les enfants s’adaptent rapidement. Leur père organise des soirées où il invite des amis. Les festivités s’étirent souvent jusqu’à tard dans la nuit. « C’était un troubadour. Il avait toujours une petite valise avec son petit bar portable, ses verres et ses bouteilles de whisky », raconte Yemitsu.
Même à 86 ans, l’écrivain continuait à recevoir de vieux amis les samedis pour parler de tout et de rien.
« On n’écrit pas pour les tiroirs »
Maurice Cadet prend rapidement ses aises. Il est l’homme de tous les événements, s’implique dans des comités, fait des lectures de textes.
La porte de son bureau est toujours ouverte à ses étudiants. « C’était comme aller voir un ami, dit Raymond Lemay, un ancien collègue. Il aimait beaucoup ses étudiants. »
Il a été marquant dans le parcours de plusieurs écrivains. Marie-Christine Bernard, professeur de littérature au Collège d’Alma et auteure, se rappelle très bien du moment où Maurice Cadet l’a convaincue de lire ses poèmes en public. « On était debout dans son bureau, explique-t-elle. Il me disait : « Marie-Christine, on n’écrit pas pour les tiroirs. »
L’écrivain était connu pour ses lectures de textes. « Il avait une présence, une façon de nous ancrer dans la poésie, une voix chaude et tranquille », explique Mathieu Simard, professeur de littérature au Collègue d’Alma et ancien étudiant de Maurice Cadet.
« J’ai été marqué par la lecture de l’un de ses poèmes au sujet de l’armement américain et de l’absurdité de la guerre, dit Raymond Lemay. On dit qu’un poète c’est quelqu’un qui se souvient du futur. Ce qu’il nous a lu ce jour-là est arrivé 30 ans plus tard. »
Maurice Cadet a toujours écrit. Pendant sa carrière au cégep, il a signé huit recueils de poésie. « Sa poésie est très accessible, explique son ami et éditeur Pierre-Paul Ancion. C’est à la fois intime et public. »
Les mots de l’écrivain sont ancrés dans les lieux où il a grandi. Il décrit, dans ses poèmes, les habitants de Jacmel, les grandes fêtes dans les rues, les soirées chaudes sur la plage et les façades colorées. « Il parlait souvent d’Haïti, mais pas de la nostalgie. C’était par nécessité », affirme son fils Angelo Cadet, animateur et comédien.
La poète a passé sa vie entre Alma et Jacmel, entre le froid québécois et l’été haïtien. C’est entre ces deux mondes qu’il était heureux. « Une terre Québec, qu’aucun mot, aucune sonorité, ne saurait dire à mes oreilles son charme et sa douceur de vivre », racontait Maurice Cadet dans en entrevue, en 2019, à la revue Bâtisseur.
Le retour aux sources
Il retourne en Haïti à la fin de sa vie. « Je n’avais pas prévu de retour. J’y suis allé en voyage et je suis resté. »
En arrivant à Jacmel, il aide à l’ouverture d’un centre culturel qui porte désormais son nom. La rue où il habitait sera renommée Maurice Cadet et un prix littéraire sera créé en son honneur.
En emménageant à Jacmel, il se retrouve voisin avec son ancienne femme, Marie-Claude, avec qui il a eu cinq enfants. Maurice Cadet va gratter à sa porte tous les jours pour prendre un café. « Ils se sont pardonnés, explique leur fils Angelo. Ils étaient devenus des oiseaux inséparables, mais sans se le dire. »
Le poète n’avait pas peur de mourir. « L’avenir. Pour moi, quel avenir ? Sinon un éternel présent, disait Maurice Cadet, en 2019. Un état continuel de petits bonheurs en compagnie des gens qui vous aiment. »