OPINION / « Le Québec a l’occasion de se positionner comme le fournisseur du meilleur gaz naturel liquéfié disponible sur le marché. » C’est par cette affirmation tout simplement fausse que Stéphanie Fortin, directrice aux communications de GNL Québec, a clos sa lettre ouverte du 16 mai dernier, où elle affirmait pourtant faire preuve de rigueur scientifique, « sans aucun parti pris ». Elle répondait ainsi à une lettre de notre collègue Marc Durand, expert en géologie, parue le 9 mai. Il nous semble nécessaire de revenir ici sur plusieurs affirmations non fondées avancées par Mme Fortin au nom de la science.
Des estimations contestables et contestées
Non seulement le gaz qu’exporterait GNL Québec ne serait-il pas le « meilleur gaz naturel liquéfié disponible sur le marché », mais il serait en fait l’un des pires au monde. Et la raison en est bien simple : d’ici 2040, les gisements conventionnels de gaz naturel canadien ne compteront que pour 4% de la production annuelle, le reste étant extrait de sources non conventionnelles selon des procédés de fracturation qui causent des bouleversements irréversibles de la roche-mère. GNL Québec se vante de s’approvisionner en gaz 100% canadien. Or, malheureusement pour cette entreprise et pour nous tous, le caractère « local » de sa marchandise n’est certes pas garant de sa qualité environnementale, bien au contraire.
Le Canada peut bien prétendre se doter du meilleur cadre réglementaire possible pour cette industrie, aucune législation adoptée dans quelconque parlement ne pourra jamais empêcher le gaz naturel résiduel de puits exploités de fuir pendant des décennies, voire des siècles après l’extraction commerciale, contaminant les aquifères et contribuant de façon importante à l’augmentation des gaz à effet de serre.
Nous aimerions bien adhérer à l’idée que les émanations fugitives de méthane comptent pour 1% de la production de GNL, mais une analyse objective a tôt fait de nous ramener sur terre. L’analyse du CIRAIG citée par Mme Fortin a adopté deux postures scientifiques fort discutables. Lors de la phase active des puits, le CIRAIG a retenu un taux d’émission fugitif de méthane minimal et contesté au sein de la communauté scientifique. Un des experts-ingénieurs gouvernementaux chargés d’évaluer l’étude d’impact de GNL Québec s’est d’ailleurs étonné de ce taux jugé très bas. Par ailleurs, l’analyse du CIRAIG demeure aveugle aux processus géologiques complexes se déroulant après la fermeture des puits, sur le long cours, période où le méthane non extrait (80% du gisement) migrera dans les fractures pour s’échapper dans l’atmosphère.
Du gaz naturel non conventionnel en compétition avec du gaz conventionnel et des énergies renouvelables ?
Le meilleur gaz au monde que GNL Québec prétend exporter est principalement destiné au marché européen, un marché approvisionné au tiers par du gaz conventionnel russe, sans compter l’émergence de production continentale d’électricité par énergie éolienne. Ainsi, en comparaison avec le gaz conventionnel russe ou l’énergie éolienne, le gaz naturel non conventionnel canadien est une source d’énergie beaucoup plus émettrice de GES que les principales énergies qu’elle concurrencerait.
GNL Québec tente par ses stratégies de communication de faire oublier cette réalité gênante, en invoquant des contrats hypothétiques avec des pays asiatiques consommant du charbon. Là encore, en se rangeant du côté d’une science sans parti pris, une littérature croissante tend à démontrer que le calcul des fuites de méthane dû à l’extraction du gaz naturel issu du procédé de fracturation rend celui-ci tout aussi émetteur de GES que le charbon, et pourrait même le surpasser.
En somme, le gaz naturel liquéfié canadien est à ranger dans la catégorie des problèmes climatiques. Lorsque GNL Québec s’y réfère à titre « d’énergie de transition », elle adopte une rhétorique fallacieuse et s’ajoute à la longue liste des entreprises fossiles prêtes à toutes les échappatoires communicationnelles pour rassurer un actionnariat de plus en plus conscient des risques de voir ses actifs s’échouer, dans un contexte où un nombre croissant de grands fonds d’investissement délaissent ces types de projet.