Quel avenir pour l’argent comptant?

Il est tout à fait légal de refuser l’argent comptant. Aucune loi n’oblige qui que ce soit à accepter des billets de banque ou tout autre mode de paiement pour régler une transaction commerciale.

Paiement par carte seulement. Argent comptant refusé. Carte de débit ou de crédit si possible. Plusieurs commerces jugés essentiels, qui sont toujours ouverts pendant la crise de la COVID-19, ont décidé de ne plus accepter – ou le moins possible – l’argent comptant afin de réduire les risques d’exposition au virus. Est-ce que la fin des billets de banque et de la monnaie a donc sonné ?


En début de semaine, la Banque du Canada a publié un communiqué demandant aux commerçants de continuer à accepter l’argent comptant, encourageant « les Canadiens à utiliser le mode de paiement avec lequel ils sont le plus à l’aise ». La Banque y allait de cette recommandation afin que les gens qui ne comptent que sur l’argent comptant puissent continuer d’acheter leurs biens essentiels. C’est pourquoi elle n’a pas cessé d’alimenter les institutions financières en billets pour ne pas qu’il y ait rupture de stock.

Refuser l’argent comptant est-il légal ? Tout à fait, mentionne Amélie Ferron-Craig, consultante en relation avec les médias pour la Banque du Canada, lorsqu’interrogée par Le Progrès.



« Il revient au vendeur de déterminer quels modes de paiement il accepte. Aucune loi n’oblige qui que ce soit à accepter des billets de banque ou tout autre mode de paiement pour régler une transaction commerciale. La méthode de paiement utilisée dans toute transaction constitue une entente privée entre acheteur et vendeur », explique-t-elle.

Et même si on dit que les billets ont « cours légal », il n’est pas obligatoire de les accepter.

« Le cours légal est un terme technique qui signifie que le gouvernement fédéral a fait des billets émis par la Banque du Canada la monnaie officielle du pays. Autrement dit, c’est la monnaie approuvée au Canada pour le remboursement des dettes. Mais cela ne signifie pas pour autant que l’on soit obligé de l’accepter automatiquement comme forme de paiement », ajoute Mme Ferron-Craig.

Pas plus risqué qu’un autre objet

Le Dr Isaac Bogoch, infectiologue et chercheur à l’Institut de recherche de l’Hôpital général de Toronto, reconnaît toutefois dans le communiqué de la Banque du Canada que « le COVID-19 peut rester sur les surfaces de quelques heures à quelques jours, et cela pourrait inclure l’argent comptant ». Il n’est toutefois pas plus risqué de manipuler de l’argent que de toucher une poignée de porte, un comptoir de cuisine ou une rampe d’escalier, donne en exemple la Banque du Canada.



« On peut réduire les risques par différentes méthodes, notamment en veillant à ce que tout le personnel des commerces de détail puisse appliquer de bonnes pratiques d’hygiène des mains », ajoute Dr Bogoch.

Les gens qui manipulent de l’argent comptant doivent donc suivre les règles d’hygiène nécessaires, dont se laver les mains. Il est même possible de laver les billets de banque en polymère avec un peu d’eau et du savon, car ils résistent à l’humidité. Mais attention ! Ce n’est pas recommandé pour les billets en papier...

Là pour rester

Damien Hallegatte, professeur de marketing au département des sciences économiques et administratives de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC), reconnaît que la crise de la COVID-19 entraîne et entraînera beaucoup de changements. Cependant, il ne croit pas que la situation actuelle sonnera la fin de l’argent comptant.

« On a toujours tendance à voir des révolutions. Par exemple, avec l’arrivée des VHS, on croyait que ce serait la fin du cinéma. Au contraire, les entrées ont explosé. Les nouvelles choses ne font pas disparaître les anciennes, elles s’ajoutent », indique M. Hallegatte, qui ne pense pas qu’il y aura une révolution en lien avec le paiement par carte ou de baisse drastique de l’argent comptant.

Selon lui, le fait que la Banque du Canada reconnaisse l’argent comptant et demande aux commerçants de l’accepter est « intéressant ». C’est la preuve, pense-t-il, qu’il n’y a pas de volonté politique de la faire disparaître. « Est-ce que pendant la crise, nous aurons encore accès aux billets ? Ça répond à ma question. Et ça va un peu dans le sens de ce que je pense ; l’utilisation de l’argent comptant, c’est ancré. »

M. Hallegatte rappelle qu’il y a déjà eu un changement important quand les consommateurs ont pu payer sans numéro d’identification personnelle (NIP) pour les transactions de moins de 100 $, faisant augmenter le nombre d’achats par carte. Ceci a eu plus d’impact qu’en aura la crise actuelle, assure-t-il. Et les gens veulent continuer d’avoir le choix.



« Les jeunes vont payer 1 $ ou 2 $ avec leur carte, mais les plus vieux moins, dit-il. Si c’était nouveau (les cartes), peut-être que les gens diraient que c’est pratique, mais ceux qui ont le goût de les utiliser le font déjà. Je pense qu’on surestime beaucoup les changements que ça va avoir. »

Daniel Hallegatte UQAC

Le professeur de marketing rappelle que les gens sont de plus en plus préoccupés par le vol de leurs données et l’intrusion dans leur vie privée, ce qui peut en refroidir plusieurs.

« Les entreprises et le gouvernement veulent nous suivre partout. Les moyens électroniques laissent des traces », rappelle-t-il, ajoutant que les billets laissent une certaine liberté et, surtout, le côté « privé » des achats.

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MIGRATION VERS INTERNET

Chez Desjardins, il n’est pas possible de prédire ou non si l’argent comptant est appelé à disparaître, mais le porte-parole Jean-Benoît Turcotti confirme que 92 % des transactions au sein de l’institution se font en dehors des guichets automatiques et des comptoirs caissiers, lesquels n’accueillent plus que 6 % et 2 % des transactions. 

Il rappelle que la migration des membres a commencé depuis de nombreuses années. En effet, en cinq ans, le nombre d’opérations par AccèsD (Internet et application mobile) a augmenté de 34 % tandis que les opérations au guichet et au comptoir ont chuté de 37 % et de 31 % respectivement. Elles permettent notamment de payer les factures, d’effectuer des virements entre personnes ou entre comptes, etc. Selon M. Turcotti, le fait que les gens puissent déposer des chèques avec leur téléphone est aussi très apprécié et a contribué à la hausse des transactions via AccèsD.

« On voyait déjà une tendance et elle continue de s’installer. C’est juste normal », indique le porte-parole.

Et qu’en est-il des personnes âgées ?

Jean-Benoît Turcotti cite une étude publiée en 2018 par le CEFRIO et qui indiquait que 80 % des gens de 65 ans et plus avaient Internet à la maison. Selon lui, bon nombre d’entre eux ont adopté la technologie. 

« C’est une tranche d’âge qui s’initie tranquillement à la maison », ajoute-t-il.

Quant à l’aspect de la sécurité, M. Turcotti assure que tout est mis en place pour que les opérations soient sécuritaires et il assure qu’il existe toujours une protection pour les transactions frauduleuses.