Chronique|

Croire en Grande-Anse

ÉDITORIAL / Stéphane Bédard dit vrai lorsqu’il affirme qu’un lien ferroviaire entre Dolbeau-Mistassini et les installations portuaires de Baie-Comeau serait une catastrophe pour le Saguenay-Lac-Saint-Jean. Ce serait comme jeter à la poubelle quatre décennies d’efforts visant à faire du port de Grande-Anse l’une des principales voies d’accès aux marchés internationaux dans l’Est du pays.


L’ex-député de Chicoutimi, aujourd’hui président du conseil d’administration de Port de Saguenay, monte aux barricades et s’engage à tout faire afin d’empêcher la réalisation du projet qui se dessine dans le Haut-du-Lac, pour lequel le gouvernement fédéral vient d’annoncer une aide financière destinée aux études de faisabilité. Certes, une éternité sépare cette démarche embryonnaire et une éventuelle première pelletée de terre, mais comme le dit si bien le principal intéressé : « Si tu ne t’organises pas, tu vas te faire organiser. »

L’enjeu est crucial et mérite, en effet, qu’on s’y attarde avec toute l’énergie nécessaire. Au cours des dernières années, la région s’est dotée d’une infrastructure de calibre national ainsi que d’un plan d’action qui facilitera l’accès au site de Grande-Anse, notamment par le biais d’une desserte ferroviaire indépendante de celle qui appartient à Rio Tinto. Tout est là, moyennant une véritable volonté gouvernementale de valoriser les installations portuaires de Saguenay.

C’est d’ailleurs cette variable qui semble ponctuée d’un point d’interrogation. Les instances gouvernementales considèrent-elles toujours Grande-Anse comme une option incontournable, alors que de plus en plus de voix s’élèvent en faveur de la protection du béluga ? Les politiciens et hauts fonctionnaires ont-ils déjà lancé la serviette plutôt que d’attaquer le problème avec courage ? Sont-ils prêts à sacrifier le développement d’une région plutôt que de croiser le fer avec les groupes militants ?

Évidemment, si la science démontre clairement que le passage de quelques navires de plus dans le fjord aura des répercussions irréparables sur la faune aquatique, il y aura lieu d’agir en conséquence. Pas seulement ici, mais également sur l’ensemble de l’habitat, jusqu’aux Grands Lacs. Comme le répète Stéphane Bédard, ce n’est pas au Saguenay-Lac-Saint-Jean de défrayer seul le coût de la conscience collective.

Mais à ce jour, fait-il valoir, il n’existe aucune preuve concrète d’une hécatombe à venir, sinon que le son bouleverserait les habitudes du béluga. Des solutions sont d’ailleurs en cours d’élaboration afin de réduire au minimum l’impact du passage des bateaux.

À l’époque actuelle, nul projet ne peut se réaliser sans d’abord être évalué de façon pointue par les experts gouvernementaux. Récemment, l’Agence fédérale en environnement a démontré sa rigueur en commentant sévèrement l’étude d’impacts de la compagnie GNL Québec.

La communauté scientifique est elle aussi aux aguets et jamais n’a-t-elle été considérée avec autant d’attention qu’aujourd’hui. Le rapport de la Chaire en éco-conseil de l’UQAC rendu public lundi, concernant les mesures compensatoires auxquelles devrait se plier GNL Québec pour son usine de liquéfaction des gaz afin de se prétendre carboneutre, est une autre preuve que rien n’est désormais laissé au hasard.

Bref, il n’est plus vrai que tout s’achète et il en sera de même pour la protection des bélugas du Saint-Laurent ou de toute autre espèce menacée.

Alors, d’ici à ce qu’il soit prouvé scientifiquement qu’une augmentation minime du trafic maritime dans le fjord aura des conséquences dévastatrices sur la faune aquatique, peut-on continuer de croire en Grande-Anse comme moteur de développement économique et surtout, protéger nos acquis ?