Ces lieux qu'on aime: incursion au temps de la guerre froide

Le Diefenbunker, un vaste abri nucléaire bâti au début des années 60, s’ouvre sur un long tunnel de 377 pieds. Il était conçu pour accueillir 400 fonctionnaires, 100 militaires et 35 membres du gouvernement pendant un mois.

Au début des années 1960, la question n’était pas de savoir « si » un holocauste nucléaire allait décimer l’humanité. Mais « quand ».


Un commerce, un coin de rue ou un parc méconnus, un endroit pour rencontrer ou relaxer : les villes regorgent de lieux qu’on aime, souvent loin des circuits plus traditionnels. Cet été, les chroniqueurs des six journaux de Groupe Capitales Médias vous amènent à la découverte de ces petits trésors, de Québec jusqu’en Outaouais, de la Mauricie à l’Estrie ou au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Rendez-vous chaque jeudi de l’été.

C’est dans ce contexte que le premier ministre canadien John Diefenbaker a fait ériger, dans le plus grand secret, un vaste abri nucléaire à 40 km du Parlement d’Ottawa.

Conçu pour abriter 535 personnes pendant 30 jours, il aurait permis à des membres du gouvernement de diriger le pays après une attaque.

Heureusement, le vaste bunker conçu pour résister à une explosion de 5 mégatonnes n’a jamais servi. Mais il est resté intact,

enterré sous un pré où paissent quelques vaches, près du village ontarien de Carp. L’abri souterrain a été transformé en musée depuis sa fermeture en 1994.

Bienvenue au Diefenbunker, le musée canadien de la guerre froide.

Encore aujourd’hui, rien ne laisse soupçonner l’existence du bunker souterrain. Si ce n’est une clôture rouillée et un hangar de tôle blanche anonyme. Mon guide, Brian Jeffrey, m’attend près du bâtiment. Le septuagénaire a lui-même vécu la guerre froide aux premières loges. Il travaillait dans une station de radar du Grand Nord canadien quand les États-Unis et l’URSS menaçaient de faire sauter la planète. « Suis-moi, me lance-t-il en pénétrant dans le hangar. Nous allons faire comme si nous étions les derniers survivants de l’apocalypse. »

Le Diefenbunker s’ouvre sur un sinistre tunnel long de 377 pieds. C’est le « blast tunnel ». Il servait à absorber l’onde de choc d’une explosion. Il débouche sur la véritable entrée de l’abri : d’imposantes portes blindées de 2 tonnes. « Elles fonctionnaient comme un sas. On n’ouvrait jamais les deux portes en même temps », raconte M. Jeffrey.

Le gouvernement canadien aurait dirigé le pays de cette salle en cas de conflit.

L’entrée donne sur deux séries de douches. Elles servaient à nettoyer les particules radioactives collées aux vêtements ou à la peau. L’eau contaminée était évacuée à l’extérieur, tandis que les vêtements radioactifs disparaissaient par une poubelle incrustée dans le mur. À la sortie des douches, un détecteur de radioactivité permettait d’évaluer l’état du visiteur. Si, par malheur, les particules avaient pénétré l’organisme, on se dirigeait vers la clinique, à gauche. En cas de mortalité, c’est le réfrigérateur où l’on conservait la nourriture qui aurait fait office de morgue.

Le Diefenbunker était conçu pour abriter 400 fonctionnaires, 100 militaires et 35 membres du gouvernement pendant un mois.

« On prédisait une guerre très courte qui ne se conclurait pas l’anéantissement des deux superpuissances, explique mon guide. On pensait que les radiations s’évaporeraient en deux semaines. Après 30 jours, on pensait pouvoir sortir et commencer à reconstruire le pays. »

Le bunker abrite un studio de Radio-Canada encore en état de marche. C’est de là, 40 pieds sous terre, qu’on aurait transmis les messages à la nation en cas de conflit nucléaire. Un radio d’époque permet d’écouter le message d’alerte : An enemy attack on America has been detected… On conseillait aux gens de se réfugier… dans leur sous-sol. Deux grosses sirènes à l’entrée de l’abri servaient à alerter la population.

L’ouvrage compte une chambre forte, gardée par une porte de 13 tonnes. C’est là qu’on aurait conservé l’or de la Banque du Canada afin de garantir la monnaie si le pays s’effondrait. Il fallait plusieurs combinaisons pour l’ouvrir. On peut se demander comment on aurait pu déménager l’or dans les brefs moments précédant une attaque.

Seulement 310 lits équipent l’abri. Les occupants auraient dormi en alternance. Dans ce grand sous-marin de béton, le jour et la nuit n’auraient fait aucune différence. Le premier ministre aurait eu droit à une chambre spartiate équipée d’un petit lit. « Les membres du gouvernement qui choisissaient de s’abriter dans le Diefenbunker renonçaient à leurs familles », explique M. Jeffrey.

La chambre forte

C’est de la war room que le gouvernement canadien aurait continué de diriger le pays. La pièce ressemble à une salle de conférence, avec des horloges internationales au mur et plusieurs téléphones. Un téléphone rouge permettait d’établir une communication directe avec la Maison-Blanche.

Des discussions ultrasecrètes se tenaient dans une salle à l’épreuve de l’espionnage électronique. Une « cage de Faraday », explique mon guide. « Encore aujourd’hui, on ne sait pas trop ce qu’on faisait ici tellement c’était secret », raconte M. Jeffrey. À la sortie, de grosses masses sont accrochées au mur. C’était pour détruire l’équipement informatique (de vieux ordinateurs aux allures de Commodore 64) en cas d’intrusion ennemie.

L’existence du Dienfenbunker était censée demeurer secrète. Un journaliste du Toronto Star a éventé le secret dès le 11 septembre 1961, avant même la fin de sa construction. Les Soviétiques étaient au courant de son existence. « Ils avaient même placé un satellite de surveillance au-dessus du site », raconte M. Jeffrey. On peut se demander si l’abri aurait vraiment pu servir en cas d’attaque nucléaire. Une bombe bien placée l’aurait probablement anéanti…

Renseignements : diefenbunker.ca