L’Opéra des gueux: un mélange de drôlerie et de philosophie appliquée

Guylaine Rivard et Martin Giguère incarnent des époux dépareillés dans la comédie musicale L’Opéra des gueux. Elle est présentée jusqu’au 30 mars par le Théâtre CRI, à la Salle Pierrette-Gaudreault de Jonquière.

CRITIQUE / La loi de la jungle est présentée dans toute sa nudité, sa cruauté qu’atténuent plusieurs touches d’humour et d’humanité, dans la nouvelle production du Théâtre CRI intitulée L’Opéra des gueux. Cette version du classique anglais The Beggar’s Opera, de John Gay, montre à quel point il y a encore de beaux restes, le principe voulant que l’homme soit un loup pour l’homme.


Derrière le caractère enjoué des chansons, la gouaille des personnages, c’est à une leçon de philosophie appliquée que nous convie la compagnie jonquiéroise jusqu’au 30 mars, à la Salle Pierrette-Gaudreault (le spectacle est à l’affiche du mercredi au samedi, à 20 h). Chaque source de plaisir a son prix et chaque alliance, même celle du sang, peut être retournée dans le temps de le dire, au sein de l’univers brillamment recréé par le metteur en scène Éric Chalifour.

Il est vrai que les moyens déployés par le Théâtre CRI sont exceptionnels, ce qu’illustre la participation de huit comédiens, ainsi que du musicien Bruno Chabot, futur lauréat de l’Ordre du Bleuet (voir autre texte en page 14). Ils évoluent dans un ingénieux décor évoquant les bas-fonds de Londres au 18e siècle : un quai, un bordel et une prison à sécurité minimale, de même que l’antre d’un receleur.



L’élément le plus spectaculaire, tellement beau qu’on dirait une statue, est une immense grue en bois construite par Serge Potvin. À l’oreille, en revanche, ce sont les chansons qui retiennent l’attention. Souvent, elles sont anachroniques, mais ce n’est pas grave. Quand la troupe entonne un air qui n’aurait pas déparé dans les années 1960, que de jolies chorégraphies lui confèrent un surcroît de légèreté, on apprécie en se disant qu’il s’agit d’une œuvre de fiction, pas d’un documentaire.

L’âpreté au gain affichée par le receleur Peachum, un rôle que Martin Giguère assume avec juste ce qu’il faut d’aigreur, représente le fil d’une histoire qui épouse un ton dramatique avant de tourner au comique. Cet homme reproche à sa fille de s’être amourachée de Filch, qui est pourtant l’un de ses complices. Or, ce criminel proche de ses sens a aussi partie liée avec la fille du geôlier Lockit. Comme dans un vaudeville, tout ce beau monde va lui courir après, déclenchant une suite de péripéties délirantes.

L’élément comique est souvent porté par Patrice Leblanc (Filch), dont le jeu physique accentue le côté fantaisiste du spectacle. Tour à tour séducteur, victime, manipulateur, baveux et condamné à mort, il court, danse, chante avec tant d’abandon qu’on dirait un petit gars jouant à la guerre avec ses amis. Le jour où on lui met la corde au cou, cependant, la vindicte populaire donne le frisson. « Crève ! Tu fais honte à la vie », lance le bon peuple, pas plus honnête, mais prompt à se draper d’une vertu imaginaire.

D’autres performances ressortent, dont celle de Marilyne Renaud campant une enjôleuse à la solde de Peachum, ainsi que de Jean-Simon Boulianne, qui personnifie un type se prenant pour le cadeau de Dieu fait aux femmes. À l’évidence, le directeur musical de l’Harmonie du Saguenay a plusieurs cordes à son arc. On remarque aussi Guylaine Rivard, qui incarne l’épouse de Peachum. Sa fidélité à géométrie variable symbolise l’absence de balises morales dans lequel baigne - joyeusement - L’Opéra des gueux.