Chronique|

Pour en finir avec la réunionite

Une frappante infographie de la firme Atlassian montre que 91 % des travailleurs rêvassent, 39 % somnolent et 73 % font carrément autre chose durant les réunions.

CHRONIQUE / Certains jours, je tombe si souvent sur des boîtes vocales que je soupçonne un complot.


Mais vous savez ce qui est encore plus frustrant qu’une boîte vocale? Un message qui dit quelque chose comme : «aujourd’hui, je serai absent du bureau, en réunion toute la journée». 

Toute la journée! On devrait dénoncer leurs patrons. C’est une forme de cruauté envers les travailleurs. 

Bon, ce n’est plus un secret pour personne : les organisations modernes souffrent de réunionite aiguë. Les employés en ont ras le bol et les cadres aussi. Mais la maladie est si enracinée qu’on dirait que les réunions s’additionnent en dépit de l’aversion généralisée.

Steven G. Rogelberg, professeur à l’Université de Caroline du Nord à Charlotte spécialisé dans l’étude des réunions, vient de publier un nouveau livre intitulé The Surprising Science of Meetings (La science surprenante des réunions, non traduit en français), dans lequel il raconte que les gens ont quatre sortes de réactions quand il leur explique ce qu’il fait dans la vie : 

Je fais juste ça, des réunions; 

 Si vous voulez en savoir plus sur les mauvaises réunions, suivez-moi pendant une journée;

 Parfois, on a des réunions sur les réunions; 

 Vous devriez étudier mon organisation, ce serait un cas exemplaire de réunions dysfonctionnelles.

Les recherches du professeur Rogelberg révèlent que les employés assistent régulièrement à huit réunions par semaine, alors que les cadres en assistent à douze, dont la plupart durent au moins une heure. Et c’est pire pour les directeurs, qui consacrent en moyenne 60 % de leurs heures de travail aux réunions. 

Une frappante infographie de la firme Atlassian montre par ailleurs que 91 % des travailleurs rêvassent, 39 % somnolent, et 73 % font carrément autre chose — genre lire leurs courriels, les nouvelles ou dérouler leur fil Facebook — durant les réunions. 

Pas étonnant que près de la moitié des travailleurs cités par la firme considèrent que les réunions sont la source numéro 1 de perte de temps au travail. 

Et pourtant, les réunions continuent à s’organiser à la pelletée, comme si c’était un mal nécessaire — ou une forme de procrastination institutionnalisée. Ce qui donne peut-être raison à l’économiste John Kenneth Galbraith qui a déjà dit que les «réunions sont indispensables si vous ne voulez rien faire». 

Alors, on fait quoi? Fini les réunions? 

Le problème, c’est que les réunions ne répondent pas tant à un besoin de productivité qu’à des besoins démocratiques, explique le professeur Rogelberg. L’inclusion, la participation, l’appartenance, la cohésion et le travail d’équipe seraient compromis sans les réunions. Vaut mieux une réunionite aiguë qu’une dictature. 

«Ce dont il faut se débarrasser, écrit Rogelberg, ce sont les mauvaises réunions, le temps perdu en réunion et les réunions facultatives.» 

Combattre le temps élastique

Une des solutions les plus solides pour augmenter l’efficacité des réunions est la contrainte de temps, selon l’auteur. 

Pour les réunions comme pour toutes sortes de tâches, le temps est élastique. Plus on en a à notre disposition, plus on a tendance à en prendre.

Il y a même un nom pour ce phénomène : la «loi de Parkinson», du nom d’un professeur d’histoire qui a écrit un article marquant dans The Economist en 1955. Cette loi veut que «le travail s’étale de façon à occuper le temps disponible pour son achèvement».

Pour contrer la loi de Parkinson, Rogelberg suggère de fixer à l’avance le temps d’une réunion — et de réduire sa durée habituelle de 5 à 10 %. Au lieu d’une réunion de 60 ou de 30 minutes, on peut donc passer à 50 ou 25 minutes. Et si ça semble suffisant, on peut essayer de retrancher encore quelques minutes. 

Le gros avantage de la contrainte de temps? Les participants à la réunion ont tendance à aller droit au but, plutôt que d’emmerder les autres avec leurs digressions. 

Mais il y a aussi un problème de nombre de participants. Plus il y en a, plus les réunions sont improductives. 

Jeff Bezos, le PDG d’Amazon et l’homme le plus riche au monde, a ainsi instauré la «règle des deux pizzas» pour limiter le nombre de personnes présentes à une réunion inévitable. 

La règle? Ne jamais tenir une réunion où deux pizzas ne pourraient pas nourrir tout le groupe. Ce n’est pas bon pour la ligne, mais au moins, ça met les réunions au régime.