J’ai eu la chance d’assister à la première de cette production le 19 octobre, à l’Opéra de Strasbourg, et ce fut l’un de ces moments où le journaliste cesse d’être un journaliste. C’est avec une immense fierté, en effet, que j’ai vu cet artiste qui a fait les beaux jours de l’opérette du Carnaval-Souvenir de Chicoutimi, dont la carrière fleurit depuis plusieurs décennies en Europe, incarner un type dont les pulsions violentes sèment le drame dans son entourage.
Il tue son demi-frère, qui s’intéressait de trop près à sa jeune épouse, puis s’en prend à cette dernière au cours d’une spirale infernale où sa raison finit par basculer. Tantôt rempli de remords, tantôt rageur, tantôt abattu, son Golaud est si peu en contrôle de ses émotions que même son fils, un petit bonhomme qui, pourtant, l’aime, se fait parfois rudoyer.
On connaissait les capacités vocales du baryton originaire du Saguenay–Lac-Saint-Jean, mais ce qui rend son travail si impressionnant dans le seul opéra composé par Debussy, c’est la présence physique de Jean-François Lapointe. Son jeu est si intense, mais néanmoins maîtrisé, que les autres personnages ont l’air de se ratatiner lorsqu’ils ont le malheur de côtoyer Golaud.
L’effet est d’autant plus saisissant que la scène de l’Opéra de Strasbourg est étroite, tellement qu’on dirait que les interprètes évoluent dans une bonbonnière. Or, le baryton ne se contente pas de déplacer de l’air. Il laisse filtrer le trouble existentiel qui habite Golaud, une pulsion de mort qui est également tournée vers lui. Pas étonnant que le public lui ait réservé de chauds applaudissements, en dépit de ce rôle qui suscite plus de révulsion que de sympathie. Il a reconnu en lui un grand interprète.