Enfants de petite taille: des rayons de soleil!

Adèle, Anne-Clara et Victor, ici photographiés avec leurs mamans Geneviève Guérette, Nathalie Guérin et Émilie Lachance, sont de véritables aimants à bonheur.

Anne-Clara, 11 ans, Victor, 4 ans, et Adèle, 2 ans, sont des aimants à bonheur. Leur petite taille n’est en rien proportionnelle à la quantité d’amour que les trois enfants, achondroplasiques, sont en mesure de donner et de recevoir chaque jour. Au-delà de leur condition, Anne-Clara, Victor et Adèle ont un point en commun : ils évoluent dans un monde où la différence est valorisée et où tout est mis en oeuvre pour la célébrer.


Le 25 octobre était la journée internationale du nanisme. Il était donc de circonstance de jeter les bases d’une rencontre impliquant des membres des trois seules familles d’enfants achondroplasiques du Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Peut-être y en a-t-il d’autres, a soulevé, en cours d’entretien, la mère d’Anne-Clara Tremblay, une pétillante élève de sixième année de l’école Sainte-Lucie. Mais si tel est le cas, ces familles sont inconnues de Nathalie Guérin et de ses deux amies, Émilie Lachance et Geneviève Guérette, respectivement maman de Victor Roy et d’Adèle Gaudreault.

Trois mamans, trois histoires, chacune aussi riche et aussi touchante que l’autre. C’est ce que réservait cette rencontre, campée dans le décor de la grande cuisine de Nathalie Guérin et de son conjoint, Éric Tremblay, au coeur de leur maison de Jonquière. Autour d’un café, chaque femme a partagé des bribes de son quotidien et a libéré quelques parcelles de son expérience, du diagnostic à aujourd’hui. Être parent d’un enfant de petite taille, que l’on choisisse de l’appeler candidement «nain» ou d’utiliser le terme scientifique «achondroplasique», n’est pas un rôle exempt de défis. Mélyssa Gagnon

+

CHOC, SOULAGEMENT ET INCOMPRÉHENSION

« Un enfant achondroplasique, ça ne vient pas avec un mode d’emploi. Moi, j’en aurais vraiment eu besoin d’un », lance Émilie Lachance, qui a appris deux semaines après l’accouchement que Victor était atteint de cette condition. Celle-ci résulte d’une mutation génétique faisant en sorte que les os ne se développent pas normalement. 

Comme l’image si bien Émilie Lachance, avoir un enfant achondroplasique, c’est comme « tirer ce numéro-là à la loterie de l’ADN ». Car il faut comprendre que dans 80 pour cent des cas, les parents sont de taille classique. L’exemple d’Anne-Clara Tremblay parle de lui-même. Son père fait 6pi3po et sa mère 5pi7po. Les trois autres enfants du couple, Sarah-Ève, François-Louis et Vincent-Olivier, sont eux aussi très grands. 

Choc

Émilie Lachance a eu tout un choc quand elle a reçu le diagnostic de Victor. Et pourtant... Quatre ans après avoir donné naissance à son fiston, Émilie se souvient d’une pensée qui lui a momentanément traversé l’esprit dans les minutes suivant la naissance.

« Victor mesurait 19 pouces et pesait sept livres. Il n’y avait rien qui démontrait qu’il était achondroplasique. Mais quand ils l’ont déposé sur mon bedon, j’ai regardé ses petites mains et j’ai eu un petit ‘‘feeling’’ de maman. Je n’en ai pas parlé à personne », raconte-t-elle. Vingt-quatre heures plus tard, un doute subsistait dans la tête du pédiatre. Le médecin a expliqué au couple qu’il souhaitait les référer à l’Hôpital Sainte-Justine, « juste pour les rassurer ». 

« On était convaincus qu’on allait là pour rien. Mais ils nous ont rapidement confirmé le diagnostic d’achondroplasie. Ils nous ont dit que ce n’était pas inquiétant et qu’on était tombés sur le ‘‘jack-pot’’ des maladies osseuses. C’est quand on est arrivés chez nous et qu’on a commencé à faire des recherches sur le Net qu’on a compris ce que ça voulait vraiment dire. On a eu un choc. C’est comme ça qu’a commencé notre aventure. C’est comme ça qu’a commencé le processus de deuil. Le deuil de l’enfant standard, de l’enfant parfait », raconte Émilie Lachance, qui confie avoir aussi vécu de la culpabilité. 

« Tu ressens de la colère. Tu te sens coupable d’avoir mis au monde un enfant qui ne ‘‘fittera’’ jamais dans le moule », renchérit Émilie. 

 

Geneviève Guérette s’attendait au pire. Lorsque le diagnostic d’achondroplasie est tombé pour Adèle, elle s’est sentie soulagée.

Soulagement

L’expérience d’Émilie diffère de celle de Geneviève Guérette, qui admet avoir ressenti un grand sentiment de soulagement lorsqu’elle a appris qu’Adèle était naine. Il faut comprendre que dès la 33e semaine de grossesse, dans la foulée d’une échographie, Geneviève savait qu’il y avait anguille sous roche. Les jambes d’Adèle étaient plus petites que les standards et en parfait contraste avec celles, « anormalement longues au même stade », de ses deux grandes soeurs, Aurélie et Mathilde. Il aura fallu plusieurs tests et des semaines d’attente avant que les parents aient l’heure juste. La maladie des os de verre, la trisomie et certains types de cancers osseux ont été évoqués. Ce n’est que trois semaines après l’arrivée d’Adèle, un beau poupon de 7,8 lb et de 49 cm né par césarienne à 37 semaines, que la nouvelle est tombée. 

« Quand elle est née, le pédiatre a dit qu’il ne pouvait pas se positionner. Elle avait une main en trident, l’autre était standard. On se doutait que c’était l’achondroplasie », explique-t-elle.

Mais tant que les résultats ne le confirmaient pas, Geneviève Guérette et son amoureux se préparaient au pire.

« Quand j’ai su que c’était ça, j’étais terriblement contente. Même si je me suis sentie coupable de penser ça sur le coup, j’étais vraiment soulagée que ce ne soit pas une trisomie. C’était une charge tellement grosse, avec deux autres enfants à la maison. Là, je me disais au moins que sa condition lui permettrait d’être autonome et d’avoir un développement intellectuel normal. Elle était en pleine forme », poursuit Geneviève Guérette, qui a puisé beaucoup de réconfort dans ses recherches pour en apprendre davantage sur l’achondroplasie. 

L’acceptation a été facilitée par le fait que la maman d’Adèle ait perdu un premier bébé à 39 semaines de grosses. Du jour au lendemain, comme ça.

« D’avoir vécu le deuil physique d’un enfant, ça relativise beaucoup », dit-elle. 

Incompréhension

Le diagnostic d’Anne-Clara est tombé sur le tard. Quand elle avait neuf mois, Nathalie Guérin a lancé en boutade au papa, en observant leur fille, debout contre le sofa : « Coudonc, [elle] est-tu naine ? » Son conjoint, pharmacien de profession, n’a pas pris le tout à la légère. Quelques jours plus tard, il a dit à Nathalie : « Assieds-toi... » Le couple a demandé l’avis du pédiatre, qui n’en croyait rien. Tout de même, l’opinion d’un généticien a été sollicitée, pour en avoir le coeur net.

« Tu arrives là et il te dit : ‘‘Entre vous et moi, vous le savez que c’est ça.’’ Tu te dis que ça ne se peut pas. Tu pleures toutes les larmes de ton corps, tu imagines tous les scénarios. Tu te raccroches au 1 pour cent de chances que ça ne soit pas ça et tu attends les résultats en espérant qu’ils se soient trompés. Puis, le diagnostic tombe comme ça, à froid, sur le répondeur, entre Noël et le jour de l’An », laisse tomber Nathalie Guérin.

+

L'AMOUR INCONDITIONNEL

Devenir la maman de Victor a fait grandir Émilie Lachance, elle qui ne pourrait imaginer sa vie sans lui. 

« Il n’est pas arrivé pour rien. Il avait des choses à nous apprendre. Victor est attachant et brillant. Les gens l’aiment. Ces enfants-là ont quelque chose et les recherches le démontrent. Ils sont plus heureux que la moyenne des gens. Ils sont résilients et positifs. Ce sont des aimants à bonheur », lance Émilie Lachance, qui est aussi la maman de Simon, 2 ans. Lorsqu’elle était enceinte de son deuxième garçon, les professionnels lui ont promis un suivi serré. Au final, Émilie Lachance a refusé l’amniocentèse et l’échographie du troisième trimestre.

« Je ne voulais pas de tout ça. Je me suis dit : ‘‘S’il est comme Victor, tant mieux ! ’’. Ce n’était plus un drame pour moi », relate la maman.

S’il est une chose avec laquelle Émilie, Geneviève et Nathalie sont en parfait accord, c’est que l’amour d’une maman pour son enfant est inconditionnel et viscéral. Le cheminement vers l’acceptation du diagnostic d’achondroplasie s’est fait à un rythme différent pour chaque famille.


Émilie Lachance a dû vivre le deuil de l’enfant parfait quand elle a su que son premier enfant, Victor, aujourd’hui âgé de 4 ans, était achondroplasique. Ici, elle pose avec son autre fiston, Simon, deux ans.

« C’est un processus. Ça s’améliore toujours », note Émilie Lachance. 

La curiosité que vouent les gens à leur enfant peut parfois déranger les parents, qui souffrent aussi du regard des autres. 

« On est une minorité visible, clairement. Des fois, j’ai l’impression que les gens le jugent négativement à cause de sa taille. Je n’ai pas cette pensée-là pour lui, moi. Mais je ne veux pas que les gens le prennent en pitié non plus. Victor, c’est un petit et c’est tout », poursuit la maman, pour qui le fait de rencontrer d’autres parents d’enfants achondroplasiques a été fort bénéfique. Ces échanges lui ont permis de dédramatiser cette situation peu commune.

#êtrehumain

Émilie Lachance a récemment reçu une belle nouvelle. La Fondation de l’Hôpital Sainte-Justine a demandé à ce que Victor fasse partie des visages de la campagne #êtrehumain, laquelle a pour but de mettre de l’avant les familles de 20 enfants qui ont un handicap visible. 

« Ils l’ont trouvé beau et ils m’ont approchée. Je suis tellement fière », a confié Émilie Lachance, avant de quitter la maison de Nathalie Guérin. La campagne est supportée par le comédien Jean-Nicolas Verreault et fera l’objet d’une exposition en mars 2019.

+

LUCIDE ET AMBITIEUSE

À l’aube de l’adolescence, Anne-Clara Tremblay est on ne peut plus consciente de sa différence. 

Juchée sur le comptoir de la cuisine, la jeune guitariste, qui vient tout juste d’accrocher ses patins de vitesse après plusieurs années de pratique, a parlé ouvertement, avec une belle et authentique verve, de sa condition, du regard des autres, des taquineries qu’elle subit.

«Je me fais toujours regarder croche. Je dis : ‘‘Je ne suis pas un monstre. Je ne suis pas un robot. Je ne viens pas d’une autre planète. Je suis un être humain!», lance Anne-Clara, ses grands yeux verts écarquillés sous une frange bien droite qui lui donne un petit air malcommode. 

Des fois, les amis d’Anne-Clara, 4 pieds 1 pouce, lui disent : «Ben voyons, t’es pas petite. T’es devenue ‘‘full’’ grande!». Ce à quoi l’élève du programme arts-études répond qu’il ne sert à rien de lui mentir, qu’elle n’est pas stupide et qu’elle demeure très au fait de sa petite taille. 

Le regard des autres, constamment sur elle, n’est pas toujours facile à soutenir. Anne-Clara a de bons et de mauvais jours. Parfois, «ça fait quand même mal», dit celle qui a subi deux opérations aux jambes. Chez les achondroplasiques, tout est plus petit. Ce qui complexifie parfois certaines interventions chirurgicales. 


Nathalie Guérin n’a pas transmis sa grande taille à sa fille de 11 ans, Anne-Clara, mais elle lui a certainement légué sa pétillante personnalité.

Au bout de ses rêves 

L’achondroplasie d’Anne-Clara ne l’empêchera certainement pas de réaliser ses rêves, même si des ajustements et beaucoup de détermination seront nécessaires pour qu’elle puisse atteindre ses buts, tant personnels que professionnels. À commencer, dit-elle, par l’achat d’une voiture adaptée, lorsqu’elle obtiendra son permis de conduire. Puis, ajoute Anne-Clara, il faudra que ses parents l’aident à modifier son futur appartement pour qu’elle puisse y vivre confortablement et de façon sécuritaire. 

À en juger par la personnalité attachante d’Anne-Clara, son aisance à s’exprimer, son entregent et son sourire contagieux, elle sera sans contredit une adulte épanouie, qu’elle devienne comédienne, journaliste ou notaire, trois professions envisagées. Mais pour rendre le bonheur d’Anne-Clara Tremblay entier, il lui faudra toutefois trois ou quatre enfants. Une belle et grande famille, semblable à celle qu’elle est venue boucler en janvier 2007.

«Moi aussi, j’aimerais ça avoir du monde qui m’aime. Encore», lance-t-elle spontanément, sous le regard mouillé de Nathalie Guérin, émue aux larmes.

Adèle Gaudreault, Anne-Clara Tremblay et Victor Roy, en compagnie de membres de leurs familles.