Chronique|

Le tabou des hommes battus

L’auteur Jean-Normand Dallaire, de Chicoutimi, vient de publier un livre intitulé La descente aux enfers des hommes battus.

CHRONIQUE / C’est un peu compliqué d’aborder le sujet des hommes battus alors que ça fait des années que les femmes subissent de la violence conjugale, un fait de société qui a été traité dans de nombreux documents d’actualité, avec des témoignages accablants. L’expression « syndrome de la femme battue » a tenté de nous faire comprendre pourquoi la femme qui subissait de la violence conjugale restait au foyer avec un conjoint qui la battait.


On nous a aussi expliqué pourquoi une grande majorité de femmes refusaient de porter plainte et de dénoncer leur agresseur, et comment le système judiciaire compliquait la vie de celles qui dénonçaient. Nous avons vu naître des centres d’aide aux victimes d’actes criminels, des centres pour violence conjugale. De plus en plus de femmes dénoncent. La sensibilisation a fait son œuvre et les victimes se font entendre avec de plus en plus de ressources pour les écouter.

Des chiffres en hausse

Mais en 2018, qu’en est-il des hommes battus ? L’auteur Jean-Normand Dallaire, de Chicoutimi, vient de publier un livre intitulé La descente aux enfers des hommes battus. Il évoque, entre autres, des chiffres de Statistique Canada publiés en 2014. Ces données avancent qu’il y a autant d’hommes battus que de femmes battues au pays en ce qui concerne les actes de violence conjugale graves autodéclarés.

« La violence conjugale envers les hommes est un sujet tabou. J’ai amorcé des études de maîtrise sur le sujet à l’UQAC il y a huit ans et j’ai fait rire de moi. Au lieu de compléter ma maîtrise, j’ai choisi de publier un livre pour aider les hommes qui n’ont pas de ressources pour parler de leur situation de violence conjugale », indique l’auteur, qui possède un baccalauréat en psychologie sociale.

« J’ai rencontré 30 hommes victimes de violence, mais seulement huit ont accepté de témoigner. Je n’ai pas pu terminer mes études de maîtrise, car aucun directeur de recherche n’a accepté de m’accompagner dans ma démarche, confie l’auteur. C’est un sujet qui dérange. »

« Le syndrome de la femme battue et le syndrome de l’homme battu se comparent très bien. Les deux sont aux prises avec une dépendance affective. Ce qu’on remarque cependant, c’est qu’un homme vit plus longtemps dans un contexte de violence conjugale que les femmes », fait valoir l’auteur, qui avoue avoir subi lui-même dans le passé de la violence psychologique.

Honte de se faire mener

« Il y a beaucoup de honte chez les hommes qui subissent de la violence conjugale. Pour des raisons d’éducation ou de pression sociale, un homme ne veut pas qu’on sache qu’il se fait mener par sa conjointe. Ce n’est pas le genre de sujet qu’il aborde avec ses amis », soutient l’auteur.

« Les hommes victimes de violence conjugale n’osent pas se défendre, car ils savent qu’une défense physique contre une agression de sa conjointe sera interprétée par un geste de violence par les autorités policières. Même si un homme se défend d’un coup de poing ou d’un coup de pied, s’il serre les poignets trop forts et qu’il y a des marques, la conjointe va appeler la police et c’est lui qui va se faire embarquer », affirme Jean-Normand Dallaire, qui a reçu des témoignages en ce sens.

« Je conseille d’ailleurs aux hommes de ne pas intervenir physiquement, la loi n’est pas de leur côté, ajoute-t-il. Ce qui est le plus difficile pour les hommes victimes de violence conjugale, c’est qu’ils n’ont pas de ressources, pas d’endroit où aller pour raconter leur histoire. Les services sont presque inexistants », déplore celui qui a trouvé très peu de recherches scientifiques sur les hommes victimes de violence conjugale.

Peu de ressources

« Il existe des organismes pour les pères séparés, qui vivent des difficultés après une rupture, mais le sujet de la violence ne ressort pas lors des rencontres. Ils arrivent à exprimer leur peine d’amour, mais n’osent pas aborder la violence qu’ils ont subie. Ils se considèrent comme des “non-hommes”, il y a une grande souffrance et les hommes ne sont pas portés à dénoncer cette violence », explique l’auteur qui souhaite que son livre permette de faire tomber les tabous.

À la fin de son livre, Jean-Normand Dallaire remet en question l’article 810 du Code criminel du Québec qui permet d’arrêter les hommes par peur de ce qu’ils pourraient faire. « L’article 810 est utilisé pour anéantir la liberté des personnes de sexe masculin. Les hommes arrêtés doivent ensuite signer une déclaration avec l’obligation de garder la paix pendant 12 mois », dénonce l’auteur au sujet de cet article de loi qui est toujours au cœur des débats sociaux.