Le Quotidien a profité du passage de l’artiste pluridisciplinaire dans la région pour lui demander son avis sur l’annulation de la pièce Kanata. D’abord prudente en la matière, avec ce qu’elle perçoit comme de l’obstination, de la part de Robert Lepage et de sa collègue française Ariane Mnouchkine, à ne pas vouloir inclure d’acteurs autochtones parmi la distribution de 34 comédiens, elle s’est ensuite lancée.
« Robert Lepage n’a rien compris. Il ne voulait pas entendre ce que nous avions à dire et il pensait clairement que sa liberté de création primait sur nos droits. J’ai eu l’impression d’avoir affaire à un colonialiste de l’époque qui disait “oui, je vais vous écouter”, mais qui n’écoute rien au final » a-t-elle finalement lancé, tout d’un trait.
Rappelons que la pièce, qui devait initialement être présentée au Festival d’Automne de Paris, le 15 décembre prochain, avant de faire son arrivée au Québec, en 2020, traitait des rapports entre les Blancs et les Autochtones à l’époque coloniale.
Des représentants des Premières Nations ont fait savoir leur indignation dans un texte collectif signé par 19 artistes d’origine autochtone et par 12 cosignataires.
La lettre avait pour titre Encore une fois, l’aventure se passera sans nous, les Autochtones ? On pouvait entre autres y lire que le groupe ne souhaitait pas « censurer quiconque. Ce n’est pas dans nos mentalités et dans notre façon de voir le monde. Ce que nous voulons, c’est que nos talents soient reconnus, qu’ils soient célébrés aujourd’hui et dans le futur. »
Malgré l’impossibilité d’en arriver à un compromis entre les deux groupes, Natasha Kanapé Fontaine rappelle que les Autochtones ne doivent pas être homogénéisés et qu’un important travail reste à faire pour que les deux peuples puissent cohabiter en harmonie.
«Nous sommes capables de pardonner»
« Bien que Robert Lepage soit un auteur de grand talent, il n’est pas impossible qu’il ait fait une erreur. Nous sommes capables de pardonner et de continuer à tendre la main», a-t-elle soutenu.
«C’est certain que les débats vont ressortir toute la semaine au festival, ce sera une occasion d’aborder les concepts de censures, de relations de pouvoir et de colonialisme lui-même puisqu’au final, c’est ce qui habite encore nos relations entre nous », a conclu la comédienne et activiste.
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FIÈRE PROTECTRICE DE LA PAROLE AUTOCHTONE
Poète-interprète, comédienne et militante pour les droits autochtones, Natasha Kanapé Fontaine marque l’imaginaire de ceux qu’elle croise. Cette semaine, ce sera au Saguenay-Lac-Saint-Jean qu’elle laissera sa marque avec sa participation comme porte-parole au Festival de contes et légendes Atalukan de Mashteuiatsh, un spectacle au Cavô de Chicoutimi mardi et une prestation artistique au Vieux-Couvent de Saint-Prime jeudi.
Originaire de Pessamit sur la Côte-Nord, Natasha Kanapé Fontaine n’a pas toujours été en paix avec son identité, elle qui raconte avoir dû aller chercher des informations qui lui manquaient pour comprendre quelle était sa place dans ce monde. D’où l’importance pour elle de prendre part au Festival Atalukan de Mastheuiatsh, de mercredi à dimanche, un événement qui vise à partager les richesses de la tradition et de l’imaginaire de la culture des Premières Nations.
« Le festival de Mashteuiatsh est unique au Québec. Aujourd’hui, on fait énormément la promotion de ce que les jeunes ont à dire, mais il ne faut pas oublier nos ancêtres. Ils ont accès à des récits ancestraux qui sont le fondement même de notre identité. Et l’identité, c’est ce qui constitue notre personne, notre façon de voir le monde », insiste celle qui se décrit avant tout comme une poète.
Malgré un gouvernement qui souhaitait jadis l’effacement des cultures autochtones et qui insistait sur le fait que tous les rituels, légendes et contes devaient être proscrits, Mme Kanapé Fontaine rappelle tous les efforts qui ont été nécessaires pour faire de la culture des Premières Nations une fierté en soi. « On a réussi à faire revivre cette identité, mais nous avons dû faire le chemin inverse de ce que voulait le gouvernement. Tel un arbre qui pousse dans le béton, on peut penser que c’est impossible, mais il suffit de chercher la lumière pour y arriver. Au final, les efforts auront valu la peine et c’est pourquoi on invite toute la population, tant les jeunes que les Québécois, avec qui nous partageons le territoire, à venir assister aux festivités », souligne celle qui s’est fait notamment connaître du grand public par son rôle dans Unité 9, où elle incarne une prisonnière innue du nom de Eyota Standing Bear.
Pour ce qui est des prestations à venir à Chicoutimi et à Saint-Prime, l’artiste promet un spectacle tout en poésie, alliant parfaitement le slam et le chant, dans un contexte de prestation. Inspirée par l’actualité, elle abordera aussi de nouveaux textes, jamais encore présentés. « Je viens souvent casser mes textes au Saguenay parce je m’y sens comme chez moi, en terrain connu. J’aime offrir cette espèce de proximité qui se crée dans une situation vulnérable comme celle-ci avec les gens de la région. »
La première partie sera assurée par Charles Koroneho, originaire de la Nouvelle-Zélande, avec une plateforme conceptuelle qui explore les concepts de collaboration culturelle et de performance interculturelle en alliant chorégraphie, performance et théâtre.