Le Nouvelliste vous propose de revisiter de façon ponctuelle de grands moments de l’histoire sportive de la région, à travers les mots des acteurs principaux. Pour le deuxième volet de cette série et à l’aube du cinquième match de la finale de la Coupe Stanley, le Shawiniganais Martin Gélinas nous replonge dans ses souvenirs du printemps 2004, l’un des plus exaltants de sa carrière et de sa vie, vécu dans l’uniforme des Flames de Calgary.
Le temps passe, ça fait déjà 14 ans. Pourtant, j’ai encore frais en mémoire mes buts gagnants, la foule en délire autour du Red Mile, les discours de nos principaux meneurs et l’ambiance qui émanait du Saddledome de Calgary durant ces quatre rondes de séries éliminatoires.
J’ai vécu, au printemps 2004, l’un de mes beaux moments en carrière comme hockeyeur. Cette année-là, l’équipe Cendrillon était en Alberta et j’en faisais partie. Entouré de Jarome Iginla, Miikka Kiprusoff, Craig Conroy et tous les autres membres de l’organisation, j’ai participé à l’une des grandes surprises de la décennie 2000 quand les Flames ont atteint la finale de la Coupe Stanley. Pourtant, à l’instar des Golden Knights de 2018, personne n’avait osé parier sur nous.
Situation précaire
À la mi-février, on ne savait trop à quoi s’attendre. Avec 28 matchs à disputer au calendrier, on se retrouvait dans une position délicate pour les séries, nous étions en danger de les rater.
Fin renard, notre entraîneur Darryl Sutter avait toujours les bons mots pour nous motiver. Il a lancé un défi au groupe: remporter des séries de sept matchs jusqu’à la fin de la saison. À Calgary, les éliminatoires ont donc commencé avant celles des équipes de tête de notre association.
Le plan de Sutter a fonctionné et nous sommes entrés par la porte de côté, contre nos rivaux de Vancouver. Les Canucks détenaient plus de talent, ça crevait les yeux. Dans notre cour, il fallait pousser sur l’attitude cols bleus, sur le fait que nous étions un club difficile à affronter. Ceci dit, les gens nous sous-estimaient.
Après avoir divisé les honneurs des deux premiers matchs à Vancouver, nous sommes revenus à Calgary et Sutter m’a convié dans son bureau. En bon vétéran de bientôt 34 ans, je croyais qu’il allait me confier des tâches précises. Il m’a plutôt reçu en avouant sa déception par rapport à mon jeu, que s’il avait un autre ailier gauche, il me remplacerait sur le champ. Ouch!
Secoué, je suis allé voir l’entraîneur des vidéos Rob Cookson. Ma game était correcte, mais je devais en donner plus. Sutter avait frappé sur le bon clou...
Vancouver
Contre toute attente, nous avons étiré la série jusqu’au septième match, à Vancouver. C’était un 19 avril. Je m’en souviens, car c’est l’anniversaire de ma fille Morgan, ma plus vieille.
Iginla, de loin notre meilleur joueur, nous avait procuré les devants 2-1 en troisième. Puis, en fin de match, il a raté un but dans un filet désert, avant de trébucher sur un bâton, ce qui a conduit au but égalisateur des Canucks, avec moins de dix secondes à écouler au cadran!
Dans la chambre, avant la prolongation, on se sentait comme au salon funéraire. Quatre minutes de silence. Puis, Iginla s’est levé et a motivé les troupes, nous priant de ne pas abandonner. Il a changé l’ambiance en un instant. Quelques minutes plus tard, je marquais le but vainqueur pour éliminer Vancouver: les Flames passaient au deuxième tour pour la première fois depuis 1989!
C’était un grand pas pour l’organisation. Sur la patinoire, Sutter m’a dit qu’il avait rêvé, la veille, que j’allais compter le filet victorieux. Encore une fois, il ne s’était pas trompé!
Detroit
Les Red Wings formaient la puissance de l’Association Ouest et pourtant, on a réussi à les battre à deux reprises par la marque de 1-0, dans les matchs 5 et 6.
Lors du sixième duel, j’ai encore eu l’honneur d’enfiler l’aiguille pour envoyer mon club au tour suivant. Cette fois-ci, en plus, c’était devant nos partisans!
Ces souvenirs remontent à presque 15 ans, mais ils sont encore clairs dans ma tête. Contre Vancouver, j’avais profité d’un retour de lancer de Iginla pour jouer les héros. Face à Detroit, ce fut une savante passe, encore de Iginla, entre les patins de Derian Hatcher. J’avais devant moi un filet ouvert et des milliers de partisans en délire!
J’y repense aujourd’hui et n’importe qui aurait pu marquer ces buts. J’étais toujours posté au bon endroit, au bon moment. La victoire sur Detroit nous a insufflé beaucoup de confiance. Je suis passé à l’histoire en devenant le premier joueur à enfiler deux buts vainqueurs en prolongation pour procurer une victoire dans une série à son équipe, et ce, au cours d’une même année. Le surnom The Eliminator est apparu.
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San Jose
Aucune série n’est facile, mais dans les quatre disputées, c’est celle qui nous a donné le moins de soucis. Les Sharks étaient classés deuxièmes. En les éliminant, nous avons écrit une autre page d’histoire en sortant des séries les équipes 1, 2 et 3 de notre association.
Hé oui, je revendique aussi le but gagnant de la troisième ronde. La séquence commence avec un beau jeu de Craig Conroy au cercle des mises en jeu. Il a été capable de me remettre la rondelle et j’ai effectué une feinte avant de battre Evgeni Nabokov entre les jambières.
On a résisté aux assauts des Sharks, avant d’être sacrés champions de l’Ouest! Je côtoie Craig chez les Flames car il est aujourd’hui directeur général adjoint. Nos conversations ne portent pas souvent sur l’époque où nous étions coéquipiers, mais quand ça arrive, c’est facile de sourire.
La 17e Avenue à Calgary a été rebaptisée Red Mile pendant les séries 2004. Au début, il y avait quelques milliers de partisans. En finale, le cortège s’étendait sur plusieurs kilomètres. Je reste à 4 ou 5 km du Saddledome et les fans étaient presque rendus dans mon quartier!
La finale et les larmes
J’ai eu 34 ans pendant la finale de la Coupe Stanley, face au Lightning. Aussi bien dire que j’étais parmi les vétérans du club. Le Red Mile et toutes les célébrations, j’en ai peu profité. J’avais déjà des responsabilités familiales à l’époque et avec le défi lancé par Sutter, je ne peux pas dire que j’ai pleinement profité de ce printemps fou. J’étais trop concentré sur ma mission, tout en étant conscient que je vivais quelque chose de particulier et de rare.
Les Flames Girls, ces filles qui dévoilaient leur poitrine en public dans le Red Mile, ont beaucoup fait jaser. Sauf qu’en général, les célébrations se faisaient de manière civilisée. Par contre, je sais que certains joueurs en ont profité!
On sentait tout le Canada derrière nous, c’était très spécial. Dans la chambre, il régnait une franche camaraderie. Iggy et Conroy étaient nos meneurs. De mon côté, je prônais plus par l’exemple en étant le premier dans le gym ou sur la glace. J’aimais parler aux jeunes, mais pas en public, devant tout le monde. C’est un rôle qui me plaisait.
Quand on sortait de la maison, tout le monde nous suivait! C’était impossible d’aller manger au restaurant sans signer des autographes ou serrer des mains. Je n’ai jamais eu de problèmes avec ça, les gens étaient derrière nous. Ma famille a bien vécu cette période aussi.
Pour revenir à la finale, on a abordé le tout avec une grande confiance. Le hic, c’est que le réservoir était presque vide. Les gars étaient maganés et ça devait être la même chose pour Tampa.
Le 5 juin, alors que nous menions la série 3-2 avec l’opportunité de soulever la coupe à la maison, j’ai invité une vingtaine de proches au Saddledome. En fin de troisième période avec une égalité de 2-2, Oleg Saprykin a débordé du côté droit et tenté un tir vers le gardien du Lightning Nikolai Khabibulin.
Placé devant le filet, j’ai reçu la rondelle sur mon patin et celle-ci à dévié vers la cage, frappant la jambière de Khabibulin. De mon point de vue, je suis persuadé que la rondelle a traversé la ligne rouge, mais j’étais le seul à bien voir l’action.
Les caméras de l’époque n’ont pu rendre justice à la séquence, ça aurait été différent en 2018. J’y repense aujourd’hui et ça me fait toujours mal. Les réseaux de télévision et Gary Bettman ont eu beau se défendre en disant que l’angle ne rendait pas justice à l’action, je sais ce que j’ai vu. Je demeure convaincu que j’avais, à ce moment, le but de la Coupe Stanley, mon quatrième filet vainqueur des séries qui coïncidait avec l’élimination de nos adversaires.
Au lieu de ça, Martin St-Louis a marqué pour Tampa en deuxième prolongation et quelques jours plus tard, ils gagnaient le trophée, chez eux en Floride.
J’ai pleuré comme un bébé, ce fut la défaite la plus difficile de ma carrière.
D’un autre côté, je ne changerais pas grand-chose, sauf évidemment le résultat du match 6! Je n’ai pas de regrets, nous avons été accueillis en héros à notre retour à Calgary. Parfois, dans la rue, on m’aborde en m’appelant The Eliminator. Certaines personnes se trompent et disent The Terminator!
En 19 ans dans la LNH, je n’ai joué que deux saisons avec les Flames. Deux saisons marquantes, quoique j’aurais aimé ajouter une Coupe Stanley à celle remportée avec les Oilers en 1990. À la fin de ma carrière, nous sommes retournés vivre à Calgary et depuis 2012, je suis entraîneur adjoint pour l’équipe. Je me plais souvent à imaginer à quoi pourrait ressembler un autre printemps magique comme celui de 2004, mais derrière le banc... et avec une finale moins amère!
Propos recueillis
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Propos recueillis par Louis-Simon Gauthier