Hommage au génie créateur

Raôul Duguay était de passage à Jonquière, et a, fidèle à son habitude, laissé sa marque à la salle Pierrette-Gaudreault.

L’éclatement créatif ne prend pas une ride avec le temps. Un demi-siècle plus tard, l’Infonie, regroupement artistique sous la direction de Walter Boudreau de connivence avec Raôul Duguay, résonne avec autant d’originalité. Il n’y avait guère plus évocateur pour lancer les festivités de la 27e édition du Festival des musiques de création (FMC) à la salle Pierrette-Gaudreault, mercredi soir. L’œuvre audacieuse et expérimentale créée au tournant d’Expo 67 a été rendue avec engagement de la part du collectif multidisciplinaire 333ToutArtBel, sous les yeux écarquillés des spectateurs.


Classique de la création musicale contemporaine selon certains, l’œuvre du chef d’orchestre Boudreau a bénéficié d’un hommage retentissant, à la fois fidèle au foisonnement qu’elle a connu au sortir du Refus global, mais avec une touche contemporaine. Les 21 musiciens (dont une section de cuivres composée de huit instrumentistes), disposés en demi-lune accaparant toute la scène, n’ont pas ménagé l’énergie sous les ordres de Philippe Hode-Keyser. Ce dernier s’est attaqué avec ténacité et perspicacité afin de revisiter le répertoire de l’un des compositeurs les plus complexes, selon les dires du poète et auteur Raôul Duguay. Présentée pour la seconde fois depuis un passage à la Sala Rossa à Montréal, cette Ode à l’Infonie est apparue bien huilée sur la scène jonquiéroise malgré ses enchevêtrements musicaux, visuels et narratifs pas toujours faciles à suivre. 

Le flamboyant auteur de La bittt à Tibi était présent sur scène afin de souligner le caractère spécial de ce classique revisité. « C’est le fondement de la culture, la continuité et la pérennité de l’art. Ce pont entre les générations, comme l’hommage à Walter ce soir, est un espoir qui sort de la bouche des jeunes d’aujourd’hui », a lancé Raôul Duguay, avant de se lancer dans son typique « flacottement bilatéral des babilles », en communion presque grégorienne avec le public particulièrement participatif, la formule cabaret de la salle aidant. Puis ce fut l’authentique « allô ! », qui justement fut crée dans cette mouvance infoniaque, devenu depuis la marque de commerce de l’icône de la contre-culture québécoise. La pléiade de musiciens sur scène, dans la fleur de l’âge (certains la précédant, visiblement), a par la suite entamé une ouverture cacophonique pour l’Ode à l’Affaire, premier titre du programme de la soirée. 

À travers un parcours psychédélique et éclaté, le 333ToutArtBel a bien livré la folie créatrice, l’absence de contraintes et la mouvance hippie de l’œuvre déroutante et puissante de l’Infonie. Plusieurs surprises sont venues ponctuer les chansons, à commencer par une projection visuelle inspirée d’un jeu vidéo. De la présence de danseurs qui parcourent la salle pour la pièce Viens danser le OK LÀ ! au solo magistral alliant notes, souffles et beuglements du saxophone soprano qui a précédé, l’hommage au collectif québécois actif de 1967 à 1974 ne manquait pas d’éléments stupéfiants. La seconde partie du spectacle était entièrement consacrée à Paix, cette composition comprenant 50 mouvements qui, à l’époque, peuplait deux 33 tours en entier.

Le pari, par l’équipe du FMC et son directeur artistique André Duchesne, d’initier le rassemblement de mélomanes avec une Ode à l’Infonie, s’avérait complexe et éblouissant. Deux mots qui risquent de revenir sur toutes les lèvres durant les 4 jours (jusqu’à dimanche) durant lesquels le public est invité à moult découvertes musicales.

Formé d’une vingtaine de musiciens, l’ensemble 333ToutArtBel a revisité l’Infonie pour l’ouverture du Festival des musiques de création.

« Vous êtes mon plus bel héritage »

C’est sur ces mots (dédiés à l’ensemble 333ToutArtBel, qui s’attaquait à l’Infonie) que Raôul Duguay a donné sa bénédiction pour que soit revisitée sa contribution poétique à celle musicale de Walter Boudreau. Ne manquant pas de lancer quelques bribes de langage exploréen à l’auditoire, celui qui campe Ysengourd Knörh dans cette odyssée que constitue l’Infonie s’est montré généreux et lucide, à l’occasion de son passage à Jonquière. Rencontré quelques minutes avant le spectacle, le poète et peintre a souligné à plusieurs reprises l’importance de l’investissement des jeunes à la culture, particulièrement ceux en région. « Je tiens à féliciter l’organisation du FMC pour cet hommage à l’Infonie. C’est un véritable cadeau de voir les jeunes reproduire ce que j’ai chanté et ce que Walter a créé il y a 50 ans », s’est émerveillé l’enfant terrible de la chanson québécoise. Il ajoute que c’est majoritairement en région que l’avant-garde artistique naît. « À preuve, il y a 30 ans, on fondait un festival de musique créative... à Jonquière ! » a poursuivi Dugay. Celui qui a fait ses premières armes littéraires au Petit Séminaire de Chicoutimi a applaudi la vitalité de la culture en région, soulignant que la proximité avec la nature y était peut-être pour quelque chose. « Les gens en région redéfinissent la créativité. À preuve, Montréal regorge de créateurs régionaux » a-t-il finalisé, fébrile de monter sur les planches pour se commettre avec sa pièce QCBEC-BBQ, qui fermait la première partie de l’Ode à l’Infonie.