Le projet a pris de l’ampleur lorsque cette courte liste a été enrichie par le truchement de l’Atlas linguistique de l’Est du Canada, un ouvrage qui porte sa signature, de même que celle de son collègue Gaston Dulong. Il restait à définir chaque mot, tout en s’assurant que ceux qui aboutiraient dans son livre avaient vraiment été utilisés au Saguenay-Lac-Saint-Jean et dans la région de Charlevoix.
« J’ai pris plaisir à retrouver des expressions de mon enfance, certaines que les jeunes ne reconnaîtront pas, et j’ai écrit pour le plus grand nombre. L’un de mes objectifs consistait à montrer que plusieurs mots viennent de loin, souvent de la Normandie. Parfois, on a déformé la prononciation. Il est aussi arrivé qu’on leur donne un nouveau sens », explique Gaston Bergeron.
Ses recherches, qui ont balisé le plus clair de sa vie, l’amènent à dire que le parler québécois, de même que celui des deux régions en vedette dans Discours simple ! , n’a rien à envier à celui des autres. « Je voulais également qu’on aime notre langue française, un bien national d’une grande richesse », affirme le linguiste.
Sorti à l’automne aux Presses de l’Université Laval, son livre renferme 180 pages de mots qui forment autant de souvenirs potentiels pour les lecteurs. La notion de plaisir étant très présente dans l’esprit de l’auteur, il s’est amusé à évoquer la réalité sociale qui se cache derrière ces expressions imagées. Ce n’est pas pour rien, par exemple, que tout un pan du vocabulaire se rapporte aux bleuets, aux chantiers forestiers et à l’hiver.
« Vous ne trouverez par l’expression “la bosse du canot” dans le Robert », mentionne ainsi Gaston Bergeron, en faisant allusion à l’excroissance qui se formait sur la nuque des portageurs. Idem pour « avoir ses fonds », qui n’existe qu’au Saguenay-Lac-Saint-Jean, ou « se lécher les pattes », une manière d’exprimer le fait qu’on se contente de ce qu’on a.
Bien sûr, aucun glossaire n’est complet, même s’il renferme de 4000 à 5000 mots. C’est d’autant plus vrai que le processus de sélection a été balisé par des facteurs tels le lien affectif entretenu par l’auteur, de même que la rareté. « Depuis la sortie du livre, j’ai reçu des commentaires positifs provenant de plusieurs lecteurs de la région. Les gens sont amusés », se réjouit le linguiste.
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Des trésors qui disparaissent de la mémoire collective
Ce qui est frappant lorsqu’on échange avec Gaston Bergeron, l’auteur du livre Discours simple ! , c’est le caractère évanescent du parler traditionnel. Les mots anciens des régions de Charlevoix et du Saguenay-Lac-Saint-Jean, autant que les traits de prononciation propres à nos ancêtres, sont en effet menacés de disparition.
Si on prend l’exemple des vieux qui, ici comme dans Charlevoix, prononçaient leurs « tu » sans ajouter un s entre les deux lettres, cette pratique appartient au passé. « Ça s’est perdu. Cette manière de prononcer a été écrasée par l’autre usage, celui de la majorité. On cherche toujours à s’associer au plus grand nombre », constate l’universitaire aujourd’hui retraité.
De nombreux mots ont connu le même sort, généralement pour la même raison. Ils avaient fleuri à l’époque où les deux régions étaient isolées du reste de la province, avant l’émergence de la radio et de la télévision, avant que les gens se fassent instruire pour la peine. Ajoutez que les voyages sont devenus chose courante et vous obtenez la recette parfaite pour gommer les « coppeurses », le « pinereau » et la « catiche » de la mémoire collective.
« Le parler traditionnel rencontre plein d’écueils. On laisse tomber des mots qui ne sont pas normatifs et ainsi, progressivement, on oublie les mots anciens », décrit Gaston Bergeron. Face à cette érosion somme toute naturelle, il oppose un livre comme Discours simple ! , ainsi que les ouvrages produits par des générations de linguistes québécois. Ils perpétuent un mode d’expression qui, loin d’être vulgaire, témoigne de l’inventivité de nos ancêtres.
« Mon livre a été écrit pour le plus grand nombre, afin de montrer que nos vieilles expressions viennent parfois de loin, de la Normandie, par exemple. On voit aussi que les gens réinventaient le langage, prenaient des mots anglais qu’ils prononçaient, qu’ils écrivaient, d’une manière différente. Ce n’était pas comme aujourd’hui, alors que plusieurs reprennent des mots anglais en les laissant tels quels », constate l’auteur originaire de Saint-Ambroise.
C’est d’ailleurs la menace qui l’inquiète le plus, cette mode qui s’est insinuée partout, même à la chaîne française de Radio-Canada, déplore Gaston Bergeron. « Les mots anglais prennent plus de place et il faut avoir ce phénomène à l’œil, énonce-t-il. Les autorités doivent prendre garde parce que la langue, au Québec, constitue une affaire d’État. Ici, il y aura toujours un combat à propos du français. »