L’interdiction avant l’éducation

CHRONIQUE / On a appris récemment que, dès septembre prochain, le ministre de l’Éducation de la France, Jean-Michel Blanquer, interdira l’utilisation des téléphones intelligents aux élèves dans les écoles primaires. Cette orientation, qui avait été annoncée lors de la campagne électorale du président Emmanuel Macron, est justifiée par les motifs suivants. D’une part, on prétend que l’interdiction permettra aux élèves d’être plus attentifs en classe et de s’amuser avec leurs camarades pendant les pauses, plutôt qu’avoir le nez dans un écran. D’autre part, on affirme que la prohibition des téléphones réduira la cyberintimidation. En dépit de bonnes intentions, il est malheureux de constater que le gouvernement français privilégie l’interdiction à l’éducation.


D’entrée de jeu, qu’on me comprenne bien : je suis favorable à l’idée que les élèves prennent une bouffée d’air frais et se dégourdissent les jambes pendant les récréations. En outre, il est évidemment souhaitable de chercher à contrer l’intimidation. Cela dit, la mesure adoptée par le gouvernement français risque d’avoir l’effet d’un coup d’épée dans l’eau, voire d’entrainer des effets pervers.

L’interdiction systématique des téléphones intelligents risque de retarder la nécessaire sensibilisation des élèves par l’école aux dangers potentiels et aux usages judicieux de cet outil. Or, étant donné que les jeunes utilisent leur téléphone fréquemment à l’extérieur de l’école, la responsabilité d’éducation reviendra davantage aux parents. On peut toutefois se demander si tous seront aptes à l’assumer. On peut aussi s’interroger sur le contrôle requis dans les écoles pour faire respecter la directive ministérielle, ainsi que sur la surcharge administrative que cette vérification occasionnera au personnel scolaire.

En interdisant plutôt qu’en préconisant une approche éducative, cela pourrait alimenter le désir des élèves de transgresser la règle. On peut imaginer les conséquences en découlant sur la gestion de la classe et le contrôle administratif.

Bien que l’attention soit un facteur contribuant à l’apprentissage, la privation du téléphone intelligent ne garantira pas la présence de cette attention chez les élèves. Comme le dit l’expression, on peut être présent de corps et absent d’esprit. Le véritable enjeu est celui de la mise en place d’activités d’apprentissage qui contribuent à la motivation et à l’engagement des jeunes. Si on n’y parvient pas, les élèves trouveront d’autres façons de se distraire de ce qui est présenté par l’enseignant, et cela, qu’ils aient ou non accès à leur téléphone.

Sans être une solution miracle, le téléphone intelligent offre un potentiel pédagogique pertinent à exploiter en classe. Il s’agit d’un outil qui, en 2017, fait de plus en plus partie du coffre des enseignants. Son interdiction est donc susceptible de nuire au travail de certains d’entre eux. Cela dit, en s’appuyant sur des études récentes, il est raisonnable de partager les précautions du ministre Blanquer quant à l’adoption d’un usage modéré des outils technologiques, particulièrement auprès des enfants de moins de sept ans. Cette modération ne nécessite toutefois pas une interdiction unilatérale à l’école.

En ce qui a trait à l’intimidation, elle dépasse maintenant largement les frontières de la cour d’école. Elle est présente sur les médias sociaux et elle est effectuée à toute heure. Hélas, l’interdiction des téléphones intelligents à l’école protègera donc bien peu les jeunes qui en sont victimes.

Pour conclure, il est regrettable que la mesure qui sera implantée par le gouvernement français fasse fi du jugement professionnel des intervenants en milieu scolaire. La responsabilité de baliser l’usage des téléphones intelligents aurait dû être confiée à chaque école. Dans un monde où l’enseignement souffre d’un manque de valorisation, la France rate une belle occasion d’y travailler collectivement.

L'auteur de cette chronique, Stéphane Allaire, est professeur au Département des sciences de l'éducation de l'UQAC.